Dans le bureauDelaDirection De
Duval-leroy,unepeluche dewestie estpostée
devant la vastefenêtre.Répliqueexacted’A sti, le
petit chien blanc de CarolDuval-Leroy,qui ne la
quittejamais, elle trompeles visiteurs.Même
quand la maîtresse des lieuxn’estpaslà, onpeut
quandmême croirequ’elleyest. Celle que sachef
de cave,SandrineLogette,n’hésitepas àqualifier
de«lionne»,et passeulementenréférenceàson
signe astrologique.
Derrièresonregardbleu acier,surmonté d’une
chevelureblonde impeccable, hitchcockienne, le
feubrûle. Lapoignée de main de CarolDuval-
Leroyest aussiferme que saparole, elle intimide
parsapersonnalité, impressionneparsonpar-
cours.Quand on lui suggèreprudemmentqu’elle
n’apas choisi sa vie, ellebalaietouteréserve:
«Bien sûr que je ne l’ai paschoisie!Mais je suis
ravie :j’ai tenu ma promesse.»
Cettepromesse, c’estcelle qu’elleafaiteàson
mari, emporté parun cancer en 1991, la laissant
veuveà36ans,àlatêted’une maison decham-
pagne et mèredetrois petits garçons. Elle, la
fille d’un industrielbelge,passionnée de gastro-
nomie et debateaux, que rien ne prédestinait à
produireduchampagne, s’était engagéeàtenir
la barreletemps que leursfils soientenâge de
reprendrelasociété.«Ilest parti tranquille grâce
àcette promesse.Commentaurais-je pu la
rompre?»CarolDuval-Leroyadoncréussiàce
que l’entreprise,fondée en 1859,restefamiliale
et indépendante.Elle afait bien mieux quecela,
en hissantles champagnesDuval-Leroyjusque
sur lestables étoilées.Même s’ilafallu s’endur-
cirpour yparvenir.
La reprise démarremal, avec unchef de cave«qui
me prenait pour uneconne»,lancecelle quin’a
rienperdudeson franc-parlerbelge. Sentant
qu’elle nepeut pastravailler enconfiance, elle le
remplaceen1 994 parSandrineLogette,àl’époque
œnologueresponsable ducontrôle qualité,auprès
de qui elle apprend le métier depuis le décès de
son mari :«Jesavais qu’on pourrait construire
ensemble la signaturedelamaison.Quand je lui ai
proposé le poste, elleavoulu prendrequelques
jourspour se décider,mais je l’ai mise au pied du
mur.»Se forme alorsunduo inédit. CarolDuval-
Leroyest àcette époque la seulefemme PDG
d’une maison dechampagne, SandrineLogette la
seulefemme œnologueàceniveauderesponsa-
bilité.«Onabâti unerelation deconfiance»,
expliquecelle qui œuvredepuis auxcôtésdela
veuveblonde de Champagne. CarolDuval-Leroy
agagné en dureté, mais c’est une carapacequ’elle
adûseconstruire. «Si elle n’avait pas étésiexi-
geante,onn’en serait paslà aujourd’hui.Son dyna-
misme fut salutaire. Et puiscettepetitefemme
blonde, pétillante,colle parfaitementàl’esprit du
champagne.»La PDG deDuval-Leroyal’œil sur
tout, accompagne sa nouvelle maîtresse dechai
chez lecoiffeur,surveille sestenues, tientàceque
la maison présente une imageféminine, soignée.
Ensemble, ellespoussentlevieillissementdes
cuvées :minimum trois anspour unchampagne
brutclassique, minimum dixpour un millésimé.
Ensemble, elles créentune cuvéedeprestige :
Femme de Champagne,clin d’œilàcelles qui
comme ellesévoluentdans un monde d’hommes.
En 2000, elles serapprochentdelasommellerie
et bâtissentpar la suiteune cuvéeMOF,enpar-
tenariatavecles MeilleursOuvriersdeFrance
sommeliers.Puis proposentàdes chefs étoilés de
leurconstruiredes cuvées sur mesure.
CarolDuval-Leroy amis dix anspour se dire:«Ici,
c’estchez moi.»Mais elle assume la transforma-
tion. Alorsque la production sevendait principa-
lementsous le nom de marques de distributeurs
pour des grandes surfaces (Euromarchéou
Sainsbury’sauRoyaume-Uni), elleapularecen-
trer autour de la qualitéetrebâtir sonpositionne-
ment.«Leproblème detout PDG, c’est de savoir
qu’onaledernier mot, sans êtresûr quece soit le
bon.Avec un mari,onpeut encoreéchanger le soir,
recueillir son avis. J’étaistouteseule. C’étaitça,le
plus dur.»Voilà quelques années que ses trois
enfants,Julien, Charles etLouis, l’ontrejointe.
Comme son aîné aimeàledire, elle travaille désor-
mais«àla carte».S’efface petit àpetit :«J’aitenu
ma promesse, les mettretous les trois dans l’entre-
prise.Je n’étais que larégente. Ce sonteux les héri-
tiers.Aujourd’hui,jesais que je peuxfermer les
yeux;çasepasserabien.»Ellepeut enfintomber
l’armureets’attendrir devant sespetits-enfants.
Dontles photosrecouvrent son bureau. Cette
année,pour la premièrefois de sa vie, elleapris
un mois devacances. Et ellecomptebienrecom-
mencer l’an prochain. O. N.
CAROLDUVAL-LEROY,
LA PDG
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Duval-Ler
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dossiervin