Le Monde - 26.10.2019

(Wang) #1

NeditespasàMireN deLorgeriL
qu’elle est devenue unsymboleféministedela
prise depouvoir dans un milieu viticole plutôt
machiste.Non, cettefemme, néeàVersailles en
avril 1964, catholique pratiquante,nesesentni
l’âme ni lavocation d’unepétroleuse.Pourtant,
son élection, le6juillet 2018,àlatêteduConseil
interprofessionnel des vinsAOCduLanguedocet
des IGPSud deFrance(CIVL) est une première,
s’agissantd’une structureaussi importante.
Des femmesavaientdéjà certes accédé àlapré-
sidencedesyndicatd’appellation d’origine
cont rôlée (AOC) dans nombrederégions viti-
coles. MirendeLorgeril était d’ailleursàlatêtede
l’appellation cabardès depuis 2015.Mais sa nou-
velle nomination l’afait changer d’échelle :
l’« interpro» du Languedocréunit quelque
3000 producteurs, sur vingt-trois appellations
différent es. SiMirendeLorgerilpréfère banaliser
quandcertaines estiment quecette élection est
«énorme »et qu’«elle vafairebouger leschoses »,
elle se dittout de même heureuse decont ribuer
à«lavisibilitédesfemmes ».«Jesuis scotchée
quand je vois, dans uneconférence, une estrade
avec dix hommes pour prendrelaparole.Comme
s’iln’yavait pas defemmescapables de parler de
la vigne, du vin, de son marché... »,assène-t-elle.


Nomméefemme entrepreneuredel’année 2015
parLaTribuneWomen’s Awards, ellen’est pas
peufièred’êtrelapremièreàreprésenterunbas-
sin viticole auconseil spécialisé vin de
FranceAgriMer.Cette instance, quiregroupe
treizerégions viticoles,comprend près d’une
soixantaine depersonnes, dontseulementdeux
femmes,MirendeLorgerilpour leLanguedoc et
une représentantedes salariés descoopér atives.
C’estpeudireque la marge de progression en
termes deparitéest importante.
MirendeLorgerilconfie avoir hésitéavant d’ac-
cepter de prendrelatêtedel’interprofession des
vins duLanguedoc–cequi n’étaitpasson ambi-
tion.Avantd’enarriverlà, elleabâti, avec son
mari,Nico las, unpetit empire. C’estce dernier qui
l’aentraînée dans le monde du vin. Fille d’avocate
et de professeured’anglais, elleaseulement
18 ans quand elle épouse Nicolas deLorg eril. Elle
entreprend des études de droit international et,
quatreans plustard,donne naissanceàson pre-
mier enfant.Le couple auratrois fils, Enguerrand,
Henri et Charles, qui ontrespectivement32, 31 et
27 ans, et une fille, Blanche, 23 ans. Alorsque son
marireprend, en 1990, le domainefamilial, le
châteaudePennautier (AOC cabardès), latoute
jeuneMirenest enformation au domaine de la
Tuilerie, encostières-de-nîmes,dansleGard,
auprès de la viticultriceChantalComte.«C’était
unefemme passionnée par les arômes et j’ai décou-
vert, grâceàelle,l’universduvin defaçoncom-
plète»,se souvient-elle. Là, elle est notamment
chargée du développementdemarchés etcom-
prend«lelien entreunterroir et le clientfinal,ses
attentes, etcommentparler d’un vin ».Elle
apprend aussi,comme nombredeviticultrices, à
se débrouiller entreses enfants très jeunes et sa
profession. En 1992, ellerejointleChâteau de
Pennautier etycréeladistribution.Jusqu’alorsle
vin, comme dansbeaucoup de domaines de la
région, finissait en vrac.«Jesuis partie sur les
routes avec mes petites bouteilles et ma petite
valise. »Aujourd’hui, plus rienn’est petit dansce
qui s’appelle le GroupeLorgeril.Cinq autres

domaines sonttombés dans l’escarcelle :le
Château de CaunettesetleDomaine de Garille,
en cabardès, le Château de Ciffreenfaugères, la
Borie blanche en minervois-la-livinièreet le Mas
des Montagnes encôtes-du-roussillon.Miren
de Lorg eril fait aussi profession de négoce et c’est
d’ailleursàcetitrequ’elleapris la présidencedu
CIVL.Tous les trois ans,celle-ci est successive-
mentexercée parunreprésentant issu d’un des
deuxcollèges, négoce ou producteurs.
La nouvelle présidente marchedonc surces
deux pieds et produit quelque 2,7millions de
bouteilleschaque année, sur une quinzaine d’ap-
pellations ,dont55%partentàl’export.«Tous
nos vins, qu’ils soientissus de nos domaines ou du
négoce, sontvendus sous notrenom,comme peu-
ventlefaireLouisJadot enBourgogne, laMaison
Chapoutier en vallée du Rhône ou Gérard
Bertrand enLanguedoc »,expliqueMiren
de Lorg eril. Selonelle, êtreproductriceetnégo-
ciante permet unréel équilibre.«Jevends par
exemple plus derosés que jen’en produis.Quand
uncommercialrevientdes États-Unis et me dit
qu’ilfaut durosé, je peuxrépondreplusfacile-
mentparceque jefais du négoce. »
ÀlatêteduCIVL, la productrice-négociante veut
fairebouger les lignes, développer lesAOCetles
IGP(indication géographique protégée), leur
qualité, qui, dit-elle,n’a«plus rienàvoiravec
l’artillerie lourde d’antan».Unesuitelogique
pour celle quin’apas peur de l’engagement. En
2017,elle atenté l’aventurepolitique.Sollicitée
parLes Républicains«pourreprésenterlasociété
civile »–elle n’apas sa carte au parti, assure-t-
elle –, elle s’était présentéeaux élections législa-
tivesdans la 1recirconscription de l’Aude, frôlant
la barredes 10%:«Unerelative déception au vu
de macampagne deterrain »,concède-t-elle. Elle
s’estime désormais plus utileàlatêtedel’inter-
profession.«Jevaislibérer lesénergies, apporter
un nouvel élan»,ditcetteadeptedelarandon-
née. Etpourquoipas, si letemps lui en laisse l’oc-
casion, écrireunguide derandos viticoles dans
le Languedoc. R. B.

MIRENDELORGERIL,


La patRONNE
D’uNsyNDIcat
INtERpROfEssIONNEL

130

dossiervin

Maison

Lorgeril
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