Le Monde - 26.10.2019

(Wang) #1

“Lesfemmesn’ontpas ungoût particulier,féminin,


maiselle ssemontrentplus sensiblesà


l’expérience,plus spontané es, moins dans l’analyse


ou lescodes masculins qui obligentàs’y connaître,


àsavoirenparler.”Margot Ducancel, blogueuse


quitombeà38%chez les hommes. »Peut-êtreont-elles surtout
étééduquéesàsemontrer plus modestes...Marie Mascréentiredes
enseignementsentermesmarketing :«Lesfemmes désirentplus
d’informations.Unproducteur qui veut les intéresser devrafournir
plus de données, sur leterroir,parexemple, le type de vin, le moment
deconsommation.Autantd’éléments qui sontdevenus plus impor-
tantsdans le marketing du vin que de vouloir cibler lesfemmes en
tant quefemmes »,analyseMarie Mascré.
C’est justementpour leverces complexesque Mar got Ducancel,
12000 abonnés surInstagram,acrééleblog Rouge aux lèvres en
2016.«Audébut, j’ai voulu aider mescopinesàapprendrelevin, en
restantentrenous, sans les mecs, puis je me suis approprié lescodes
de lapresseféminine pour parler du vin »,explique la jeunefemme
de 32 ans. Depuis 2018, elle organise aussi des dégustations entre
filles.«Ellesn’ontpas ungoût particulier,féminin, mais elles se mon-
trentplus sensiblesàl’expérience, plus spontanées, moins dans l’ana-
lyse ou lescodes masculins, qui obligentàs’y connaître,àsavoir en
parler »,ajoutecelle qui se dit plus«girly»que«girl power ».
Au début del’été, le 23juin,l’ambianceétait plusmilitantelorsde
la premièrerencontredel’associationWomen DoWine, dans la jolie
salle de La Bellevilloise,àParis. Plusieurscentaines defemmes s’y

sontretrouvées pour parler«sexismeet harcèlement », «pourenfinir
avecles vins defemmes »aussi, dans une ambiance«souriante,
détendue, vibrante »,selon les mots deSandrine Goeyvaerts. Cette
cavistebelge est la présidente de cetteassociation internationale,
non mixte, quirevendique 450 adhérentes. L’objectif estclairement
féministe:«Mettreenlumièreles femmes, sous-représentées média-
tiquementdans le monde du vin ».Pour la grande majoritédecelles
présentesàcesalon, aucun doute, iln’existepas plus de vinspour
femmes que de la musique ou de lapeinture genrées.«Onaéduqué
lesfemmesàprendre du blanc, moinscalorique, desrosés,qui seraient
plus “girly”,bonbonsroses, quoi,mais il s’agit d’uneconstruction
culturelle.Legoûtn’est pas lié au sexe »,assèneAudrey Martinez,
ingénieureagronome et œnologue au domaineLa Vivarelle, à
Tourbes (Hérault).Pour cettequadratonique, iln’yapasplus de
spécificitédes vinsconfectionnéspardes femmes que degoûtlié au
genre.«C’est pareil,cela dépend de la personnalitédelaviticultrice,
de sa sensibilité, de sescapacités, son savoir-faire, sa créativité. »Et
quand ontaquineAudrey Martinez sur sonrosé intituléMadame
Rêve rosé –n’aurait-ellepascédé au«girly f ashion spirit»?–, la
vigneronne esquive :«CeMadameRêveexisteaussi en blanc et en
rouge; le nomrend hommageàlasyrah, l’un des seulscépagesde
rougeàêtregrammaticalementféminin et quiades côtésfougueux,
indisciplinés,comme moi.»Auxvins trapus d’antan–leLanguedoc
voulait prouverqu’il savait fairedes vins de garde –,Audrey Martinez
préfèrelarecherched’équilibre, des acidités qui affinentles vins.
Un objectifcommunàdenombreuses viticultrices.Mais, plus que
la signature d’un genre, il caractérise unchangementdegénéra-
tion.Marie-PierrePiquemal, du même âge qu’Audrey Martinez, a
délaissé les vinscharpentésréalisés auparavantpar sonpère puis
son frère.Quand elleapris encharge la vinification du Domaine
Piquemal,àEspira-de-l’Agly (Pyrénées-Orientales), ilyadix ans,
elle acherchéàceque la trametannique de ses vins, en Côtes du
Roussillon,«nesoit pas trop bodybuildée ».«Quand j’ai sorti mes
premiersvins, onm’adit qu’ils s’étaientféminisés,se rappelleMarie-
PierrePiquemal.Mais je ne suis pas sûreque lefait d’êtreune
femme soit le principal déterminant. »
Ayantréuni quelque 600à700 viticultrices dans son association,
Chai sElles, Carole Gaillardveut tout de même croireàdes carac-
téristiquescommunesàces femmes du vin.«Jeles sens plus
justes, plus vraies, démontrantplus de sensibilitéàcequeDame
Natureleur apporte, peut-êtreaussi plus attirée par le bio »,dit
cettechef deréseau quiavancemême que lesfemmesferaient
des vins plus puissants, pluscomplexesque les hommes,«une
manièrepour elles de s’affirmer ».
Présidente de Ladies Wine, une associationbordelaise quiréunit
des femmesdu vin, EstelledePins, elle,pense quecertains vins
plaisentdavantage auxfemmes. Elle enveut pour preuve le
concoursmondial des vinsFéminalise, une dégustation réalisée
pardes femmes professionnelles, dontl’édition 2019, treizième du
nom,avu4541 vins goûtéspar510 femmes.«Lejuryest spécifi-
quementfémininet, àchaquefois quej’achèteune bouteille qui a
étéprimée, j’adore.Ondoit donc avoir desgoûts encommun »,
taquine Estelle de Pins.Unedémonstration pour le moins empi-
rique qui ne risquepasdecloreledébat.
Danssa cave au nomévocateur, Et siBacchus était unefemme,
située rueMonge àParis, Élodie Cadiou affirme que«lesfemmes
sontplus bourgogne, elles aimentl’élégancedupinot noir,lasubtilité
dans lacouleur,quand les hommes sontplus bordeaux, ilyades
différences d’éducation ».Bien sûr,cela nevaut passtatistique. La
patronne dece magasin ouvert en 2012 souligne surtout la plus
grande ouverture d’esprit de sesclientes:«Elles sontplus curieuses,
moins sectaires que les hommes, elles vontselaisser guider,endécri-
vantplutôtcequ’ellesn’aimentpas. Elles sontaussi plusàl’aise,car
je suis unefemme, même si au début, quand j’ai ouvert lacave,cer-
taines me demandaientoù était lepatron. »Quel que soit leur goût,
les femmes ne sontpas immuniséescont re le sexisme.

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dossiervin

Illustration Charlotte Molas pour

MLem

agazine du Monde
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