Le Monde - 26.10.2019

(Wang) #1
0123
SAMEDI 26 OCTOBRE 2019
styles

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Notre journaliste a réalisé ce
trek avec Terres d’aventure.

Terres d’aventure propose
le trek vers le K2 et le col
de Gondogoro. Prochain
départ le 11 juin (24 jours,
à partir de 5 050 €).
Terdav.com
ou 01­70­82­90­00.

Attention, classé 5 chaussu­
res, le voyage demande
autour de sept heures de
marche par jour environ,
pendant quatorze jours, et
exige une très bonne condi­
tion physique (on monte à
plus de 5 000 mètres, zone
dans laquelle le mal des
montagnes peut frapper),
plus une expérience de
cramponnage pour le pas­
sage du col. Nous sommes
en haute montagne, et rien
n’y est sûr : le passage du col
n’est pas garanti, et un
échec (des jours de sécurité
autorisent deux tentatives,
trois au grand maximum)
oblige à repartir en sens in­
verse au lieu de terminer la
boucle par la vallée de Gon­
dogoro. Un guide français
accompagne le voyage.

La compagnie Qatar
Airways opère des vols de
Paris­CDG1 via Doha, vers le
Pakistan. 2 vols quotidiens
pour Islamabad.
Renseignements sur
Qatarairways.com. De là, il
faut prendre un avion pour
Skardu, et un 4 × 4 pour re­
joindre Askole.

C A R N E T
D E R O U T E

VOYAGE
askole (pakistan)

C


eux qui avaient la
chance de l’avoir « fait »
en parlaient d’un air
gourmand, comme
d’une merveille inaccessible. De­
puis une dizaine d’années, le Ka­
rakoram, massif montagneux
dans le nord du Pakistan, était
classé « rouge » par le ministère
des affaires étrangères, interdi­
sant à ceux qui ne souhaitaient
pas y partir seuls l’un des plus
beaux treks du monde, le cin­
quième d’après le classement du
Lonely Planet : trois semaines de
marche dans un univers pure­
ment minéral, écrasant et su­
blime à la fois, dominé par de gi­
gantesques montagnes et mon­
tant au pied du K2, le deuxième
plus haut sommet du monde
(8 611 m), pour passer ensuite le
mythique col du Gondogoro
(5 585 m). Depuis mai 2018, la zone
a été reclassée en « orange », et les
tour­opérateurs d’aventure ont
pu remettre à leur programme ce
trek exceptionnel.

L’aventure commence dans le
petit village d’Askole, effleuré par
les dernières vagues du glacier
Biafo, le troisième plus long du
monde. Ses quelques maisons en
torchis, sa rue principale, ses fem­
mes écrasées sous de lourdes
charges de foin sont les dernières
traces de vie que nous verrons en
trois semaines. Le Karakoram est
la zone la plus jeune de l’Hima­
laya. Tout y est acéré, élancé,
comme jeté vers les cieux. Pas
d’arrondis ici, pas de formes dou­
ces ou érodées : les pics se succè­
dent les uns aux autres, faces pla­
tes et lisses, parfois rectilignes,
formes pyramidales se poussant
presque du coude pour mieux at­
teindre les cieux.
Le but final est double : d’abord
le plateau de Concordia (4 500 m),
dominé par le plus important re­
groupement du monde des plus
hauts sommets de la planète –
quatre 8 000 m : le K2, les Gasher­
brum I (8 080 m) et II (8 035 m) et
le Broad Peak (8 051 m) ; ainsi que
dix 7 000 m –, puis le col du Gon­
dogoro, qui débouche sur la val­
lée du même nom. Les étapes,

d’une dizaine de kilomètres cha­
cune, demandent cinq à
sept heures de marche quoti­
diennes. Chacune se termine
dans un camp, éphémère et sou­
vent rudimentaire, de tentes que
des porteurs, partis les premiers
lourdement chargés, montent à
chaque étape. Rien ne saurait être
écrit sur ce trek somptueux qui
ne prenne aussi en compte cette
donnée : tout ce que nous parcou­
rons en ahanant, les porteurs pa­
kistanais, pour la plupart issus de
la région montagneuse du Baltis­
tan, le font avec des charges de
vingt­cinq kilos sur le dos, parfois
de simples mocassins aux pieds,
et à une vitesse bien supérieure à
la nôtre.
La montée le long des glaciers
Biafo puis Baltoro est magnifique
pour les yeux et tuante pour les
pieds. Le terrain est dur. Il faut
avancer parmi des pierriers sur
lesquels le chemin se devine plus
qu’il ne se voit. Quelques passa­
ges humides et boueux sont diffi­
ciles même pour les mules. Par­
fois, il faut passer sur un pont
plus ou moins solide, et avancer
au­dessus du flot impétueux des
rivières Braldu ou Panma. Mon­
tées et descentes se succèdent au
gré des crevasses, égayées parfois
par la bouche d’une grotte gla­
ciaire laissant passer une eau
verte et glaciale. Des morceaux
de glace blanche émergent,
comme de grosses meringues sur
un gâteau.
Chaque matin, le paysage est
plus austère que la veille. Le
brouillard, qui nous est tombé
dessus après trois jours de grand
beau temps et de grosse chaleur,
lui donne un aspect mystérieux,

fantomatique, une allure de ta­
bleau de Caspar David Friedrich.
Autour de nous, les monts se suc­
cèdent : Paiju Peak, Cathedral
Peak (6 247 m), dont le sommet
évoque vaguement la silhouette
de Notre­Dame de Paris, les tours
de Trango (6 286 m pour la plus
haute), gigantesques parois de
granit, terrifiant Graal pour les
grimpeurs. Il est courant de voir,
d’un côté ou de l’autre, dans un
tourbillon neigeux, se déclencher
une avalanche.

Une écharpe de nuages
Le plateau de Concordia n’offre
aux yeux que sommets enneigés
et cimes imposantes. Au loin le
Chogolisa (7 665 m), le Crystal
Peak (6 252 m), le Marble Peak,
plus proches des hauteurs plus
évasées du Broad Peak, derrière
les élancements des Gasherburm.
Et, incontestable vedette des
lieux, le triangle presque parfait

TOUT CE QUE


NOUS PARCOURONS


EN AHANANT,


LES PORTEURS PAKISTANAIS 


LE FONT AVEC DES CHARGES


DE VINGT­CINQ KILOS


SUR LE DOS, PARFOIS


DE SIMPLES MOCASSINS 


AUX PIEDS, ET À UNE 


VITESSE BIEN SUPÉRIEURE


À LA NÔTRE


au pied


du k2


L’un des plus


beaux treks


mène au K2,


au Pakistan,


la montagne


la plus


dangereuse


du monde.


Longtemps


classé en « zone


rouge » par


le ministère


des affaires


étrangères,


il est à nouveau


accessible.


Aux marcheurs


aguerris...


Glacier
Biafo

PAKISTAN

CHINE

Askole

Skardu

Hushe

Plateau de
Concordia

K2
(8 611 m)

Gasherbrum I
(8 080 m)

Broad Peak
(8 051 m)

Col du
Gondogoro

20 Km

tera alors aux malchanceux qu’à
refaire le chemin en sens inverse.
Ceux que le dieu des cimes aura
bénis ne seront pour autant pas
au bout de leurs peines. La des­
cente de l’autre côté du col, vers la
vallée de Gondogoro, est presque
plus dure que la montée. C’est un
(très) long éboulis au flanc de la
montagne, sous la menace per­
manente de chutes de pierres. Là
encore, des cordes sont nécessai­
res, sur lesquelles on se déplace
avec un mousqueton et un nœud
autobloquant. Il faut faire vite,
puiser dans ses dernières forces
avant de rejoindre, trois heures
d’inquiétude plus tard, une plus
sûre moraine. En bas, deux lacs
jumeaux, l’un bleu, l’autre vert,
miroitent côte à côte.
De l’autre côté du col, le paysage
change du tout au tout. Il s’adou­
cit, prend des allures alpestres. On
y voit des bouquets de fleurs vio­
lettes et roses, des asters, des
edelweiss. Au camp de Huis­
prung, où enfin il est permis de
s’arrêter, les glaciers de Trinity et
du Gondogoro se rejoignent, et le
Laila Peak (6 096 m), dont la flè­
che s’élance avec la pureté d’un
dessin géométrique, se reflète
dans les eaux de la rivière. C’est
ensuite la paisible descente vers le
village d’Hushe. La civilisation se
fait d’heure en heure plus pré­
sente. Dans des champs cultivés,
des femmes (surtout des fem­
mes) travaillent dès potron­mi­
net. Les chèvres se multiplient, et
des bœufs font leur apparition. En
approchant d’Hushe, le vrombis­
sement d’un moteur se fait enten­
dre. Nous savons alors que nous
sommes bien redescendus.
hubert prolongeau

du K2, au cou souvent enrubanné
d’une écharpe de nuages. Son
camp de base (accessible après
huit à dix heures de marche sup­
plémentaire) abrite le mémorial
dressé pour ceux qui ont voulu le
vaincre et n’en sont jamais reve­
nus. Montagne la plus dange­
reuse du monde, le K2 fait lourde­
ment payer leur audace à ceux qui
entreprennent de le gravir :
378 personnes y sont parvenues,
et 85 y ont trouvé la mort.
Mais le vrai clou du trek se situe
quelques heures de marche plus
loin : l’ascension du col de Gondo­
goro, égale en difficulté et en ver­
tige à celle d’un sommet. Le dé­
part se fait en début de nuit, à
22 heures, pour que la neige soit la
meilleure possible. La lune, pres­
que pleine, baigne le décor d’une
lueur laiteuse. Après une marche
nocturne d’une heure sur le gla­
cier, ce sont 800 mètres de déni­
velé à gravir, souvent sur des pen­
tes très raides. La majeure partie
du parcours est d’ailleurs effec­
tuée avec un Jumar, cette poignée
bloquante très utilisée en spéléo­
logie, accroché à des cordes fixes.
Au fur et à mesure de l’avance, le
soleil se découvre et caresse le K2,
qu’il peint en rose pale, triangle
lumineux qui accompagne le
grimpeur. Au sommet, les plus ra­
pides assistent à la montée de
l’aurore sur la chaîne, les plus
lents prenant en cours de route le
spectacle, ce qui n’en atténue nul­
lement la magie. Ce passage du
col est le grand moment du
voyage. Il en est aussi le plus aléa­
toire. Le mauvais temps et sur­
tout une neige trop peu gelée
dans laquelle on s’enfonce peu­
vent en interdire l’accès. Il ne res­

A gauche : la descente
dans la vallée
du Gondogoro.
Ci­contre : les sherpas
au pic Paiju.
Ci­dessous : au fond
le K2 (à gauche)
entouré de nuages
et le Broad Peak
(à droite) depuis le
plateau de Concordia.
PHILIPPE BARTHEZ
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