Le Monde - 26.10.2019

(Wang) #1

Coppola


le 28avril 1967,lapremièrefoisque “lemonde”aécrit

FrancisFord coppola vient de
recevoir,le18octobre,leprixLumière 20 19
pourl’ensemble desacarrière,àl’occasion des
dixansdufestival lyonnais présidéparThierry
Frémaux(égalementdélégué généraldu
FestivaldeCannes). Lenomducinéasteamé-
ricainapparaît pourla premièrefois,entoute
discrétion,dansl’éditiondu28 avril1 96 7du
Monde,dansunavant-papierconsacré à
laSélectionofficielleduFestivaldeCannes.
FrancisFordCoppolaprésenteencompétition
sondeuxièmefilm,BigBoy,aprèsDementia 13
(19 63 ), filmd’horreuràpetitbudget, produit
parlepapedelasérieB,RogerCorman.
Autantdireque leréalisateur, alorsâgé de
28 ans,n’estpasencorele«Napoléon»qu’il
s’apprêteàdevenir,aprèslasortie duParrain
(19 72 )auxÉtats-Unis.Àvraidire,personne
n’attendaitCoppola,afortioridansleplus
grandfestivaldecinéma,et encoremoinsle
journalisteduMondeJeandeBaroncelli,quise
contentedenoter :«Les grandescompagnies
américainesseméfientduFestivaldeCannes,
et il ne fautpas espérermontsetmerveillesde
You’reaBigBoyNow[titreoriginal],de Francis
Ford Coppol a.»Lefilmétait sortiauxÉtats-
Unisendécembre1 966 –ils’agissaitdufilm
de fin de thèsedeCoppolaàUCLA–sanspas-
serinaperçu. Bienaucontraire,cettehistoire
degarçontourmenté tombantamoureux d’une
danseusedecabaretplusâgéequeluiavait
alertéMikeNichols.LeréalisateurduLauréat,
quisortirait l’annéesuivante,mettaitenscène
unehistoired’amourcomparableentreun
jeunehomme etunefemmemûre.Dansson
compterendudu 1erjuin1 96 7,lorsdelasortie
françaisedeBigBoy,JeandeBaroncelli

consacreunecritiqueaufilm.Ils’agitdupre-
mierarticleduMondeentièrementdédié à
Coppola,etlejournalisteyfaitpreuved’une
évidenteprescience:«Présenté au dernier
FestivaldeCannes,BigBoyn’avaitguère
retenu l’atte ntion.Ilyavait po urtantdes quali-
tésdanslefilm deFrancisFord Coppola, et
d’abord l’ambitionsympathiq ue de renouveler
un peulestyle de lavieille comédie hollywoo-
dienne.(...)Le films’achèvesur unecourse-
poursuiteetquelquesinsolences, quinous
réconcilient avec cettecomédie aigre-douce
et avec sonauteur.BigBoyn’estqu’une
pochade. Mais on pourraitbienentendre
parler ànouveaude FrancisFord Coppola.»
Pourtant,son nom neréapparaîtraplusdans
lescolonnesduMondeavantlasortie du
Parrain.Sesdeuxfilms suivants,La Valléedu
bonheur(19 68 )etLesGensdelapluie(19 69 ),
pourtantdistribuésenFrance,n’aurontdroit
àaucunecritique.C’estde nouveauJean
deBaroncelli,le17octobre1 97 2,quis’attelle
àlasagamafieuseduréalisateuraméricain.
ÀsasortieauxÉtats-Unis,enmars,le film
avaitfaitsensation,recueillantlesélogesde
lacritiqueaméricaine.Quivoit enCoppola
–avecMartinScorsese,WilliamFriedkin,
StevenSpielberg,GeorgeLucasouBrian
DePalma–,lechef defiled’unegénération
decinéastesque l’onn’appellepasencorele
«NouvelHollywood».LepapierduMonde
soulignequ’enFranceLe Parrainne trouve
pasl’accueilqu’ilareçu auxÉtats-Unis:
«Est-ilutiledepréciserque la crit ique sociale
qu’auraitpususciter l’histoire estdiscrète,
pour ne pas direinexistante.Certes, les
auteursnenouscachent pas queleparrain

tientdanssapoche deshommes politiques,
desmagistrats, despolicier s, mais ilsn’insis-
tent guère.Ces choses-làvontdesoi,etil
eûtété indélicat de tropmettre lespoints
surles “i”. La dernière imagedu filmlaisse
entendre que, grâceàl’énergiedeMichael, la
“famille” aretrouvétoute sonactivité.LaMafia
continue.C’est sans doutecequ’onappelle un
“happy end”.Autantenemporte le gang...Les
recettesfabuleu sesduParrainne nousempê-
cherontpas de penserqu’un autrefilm sur
la Mafiareste àfaire .Unfilm,cette fois ,sans
romantisme, sans concessions, sans folklor e.
Un filmsordideet cruel.Àl’image de laréal ité.»
AvecConversationsecrète(19 74 ), Francis
FordCoppolarevientauFestivaldeCannes,
enmajesté.Leréalisateuraméricainfait
désormais l’unanimité,àcommencerdans
lescolonnesduMonde,oùil esttraitédela
manièrequ’ilmérite.JeandeBaroncelli fait
deConversation secrète,dansunarticle du
24 mai1 97 4,lefavori pourlaPalmed’or:
«Ilétait temps... L’oiseau rareest arrivé,alors
quenousdésespérionsdeletrouver.Bienque
le ju ry soit,paraît-il,encore très hési tant,
la cause pour nousestentendue :c’est
TheConversation,de FrancisFord Coppola,
quidevrait remporter,vendredisoir,leGrand
Prix du vingt-septième FestivaldeCannes.
C’estunfilm quiatoutesles qualités du
meilleu rcinémaaméricain:intellige nce
du sujet,virtuosité de la mise en scène,
vigueurdel’interprétation.»Coppolarepartira
bienaveclaprécieuserécompense,qu’il
remporteraunesecondefois,cinqans plus
tard,en1 97 9, avecApocalypse Now.
textesamuel Blumenfeld

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lasemaine
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