Le Monde - 26.10.2019

(Wang) #1
Pourquoichanger uneformule quiperd ?Printemps 1995 :
Jacques Chirac, mairedeParis depuis 1977,vientd’êtreélu àsatroi-
sièmetentat iveprésidentdelaRépublique, lerêve de sa vie.Qui
pour lui succéder àParis?Lefidèle etterne Tiberi, premier adjoint,
ou lebouillantJacquesToubon, mairedutreizième?Àunproche
qui luiaconseilléd’install er AlainJuppédans sonancienfauteuil,
Chiracarépondu :«Onnepeut pasfaireçaàJean.»Pour compliquer
le tout, il s’est bien gardé derégler le problèmeavantson élection,
décidéàrempilerpour un quatrième mandatencas d’échec à
l’Élysée. Tiberi?Toubon?Toubon?Tiberi?«JacquesChiracatou-
jourseudumal àrégler les problèmes d’hommes»,analyseFrançoise
de Panafieu. Ce seraTiberi.Le Mondeécrit alors:«Sans l’air d’y
toucher lechef de l’État s’assureune longue période de tranquillité
dans lacapitale.»On peut sourire.
Au soir du secondtour des municipales en juin, la gauche, emmenée
parlepresque inconnu Bertrand Delanoë,reprend six arrondisse-
ments dans le nordetl’est de la capitale. Premièrealerte pour la
droiteparisienne.Le RPR ne détientplus la majoritéàlui seul au
conseil.L’UDFexige departiciper davantage aupouvoir.Même s’ils
sontpeu nombreux, lesballaduriens sefont entendre.Le pireest à
venir.«Tiberin’apas decharisme»,«Onnegagnerapas avec lui,il
nousfaut une pointure».Àpeine installé dans sonfauteuil de maire
de Paris, l’ancien premier adjointest l’objet d’une violente cam-
pagne de dénigrement. Il suscitelacondescendancedes uns, la pitié
des autres et lapeur detous. Autreproblème:àl’Élysée, la méthode
Chirac,faitedepromesses alternées etcontradictoires,atteintses
limites.Lesaffaires et la dissolutionratéede1997 favorisentler etour
de la gaucheàMatignon. La droiteparisiennepanique:ilf aut chan-
ger decheval. Toubon, quin’apas digéréson éviction de la succes-
sion en 1995,passeàl’offensive et crée, au printemps 1998, un
groupedissidentafin de priverdesamajoritélemaireempêtrédans
l’affairedes faux électeursducinquième arrondissement.Mais, au
momentdeporterl’estocade, plusieursélus se défilent.«Onm’a dit
de passer devantavec la lampe de poche, les autresm’ontsuiviavec
un revolver »,dira-t-il dans leformidable documentaired’Yves
Jeuland etPascal Sauvage,Parisàtoutprix.Leputschfait pschitt.
«Avantcette date,Jean était un type affable,se souvientunélu.
Après, il va devenir dur.Unautrehomme.»
Mais lesrebelles nerenoncentpas àavoir sapeau. Lesélections de
2001 sontl’occasion d’une nouvelle révolte. Trois candidats se pré-
sentent faceàlui :Françoise dePanafieu, ÉdouardBalladur et
PhilippeSéguin. Chirac déjugeTiberi et imposeSéguin aprèsavoir
fait organiserparleRPR un simulacredesélection. Certains leaders
de la droiteparisienne s’interrogentencoresur ce choix encoura-
geantlacandidature d’un hommeavec lequel lechef de l’État ne
partage riencontre une autre,Tiberi, quil’avait accueillidans son
arrondissement.Pour l’un,«Chiracaeupeur de Séguin, de ses
colères»;pour un autre:«l’ancienprésidentdel’Assemblée l’amenacé
de lefaireperdr een2002 en se présentant contrelui ».Resteun
imprévu, le sortant refuse decéder sa place. Commecesbaleines
dontnul ne saitpourquoi elles s’échouentsur les plages, Séguin, à
peine désigné, prépareson suicidepolitique. En s’installantàlaqua-
trième placesur la listeconduitepar l’inconnueRoxane Decorte
dans le dix-huitième, il envoie le signal déroutantqu’il ne souhaite
pasêtreélu. Cette campagne l’ennuie. Il souritpeu, s’enferme dans
un mutisme hautain, joue aux machinesàsous dans lesbars du
quartierMarcadet-Poissonniersaulieu detaperlacausette avec les
consommateurs. Il lit des discours, brillants, d’untonmonocorde.
Un verredewhiskydans une main, une Gitane sans filtredans l’autre,
il s’égaredans lacontemplation du désastreàvenir.«Quandtu as
vécu lacampagne de 2001, qu’est-cequi peut t’arriver de pire?se sou-
vientVincentRoger,conseiller deParis et,àl’époque, jeune soutien
de PhilippeSéguin.J’en gardebeaucoup de tristesse. Il s’est abîmé
danscettecandidature. Iln’était pas profilé pour traiter avec lesTiberi,
les Dominati...Une fois, je suis allé le voir pour lui demander:“Avez-
vous vraimentenvie d’êtreélu?”Je n’ai toujourspas laréponse.»

Àl’Hôtel de ville aucontraire, JeanTiberirend coup pour coup.
On le cr oyait faible, il épatemême ses ennemisparsacapacitéde
résistance.BernardBled, son directeur de cabinet aux allures de
cardinal, leremonte tous les matinscomme unependule :«Outu
es tué,oututues »,lui susurre-t-ilàl’oreille dès l’aurore.Quand
plusieursdizaines deconseillersrefusentdevoter le dernier bud-
get de sa mandature,lemairedeParis les prive de leursdéléga-
tions et desavantages quivont avec. Certains d’entreeux cachent
les clés de leurvoitur edefonction... Xavier Chinaud, ancien élu de
Paris,aujourd’huiconseillerpolitiqued’ÉdouardPhilippeà
Matignon,raconte:«Unjour,dans uneréunion au local decam-
pagne deSéguin, onavuarriver très enretard le maireduving-
tième, DidierBariani.“Désolé... nous a-t-il dit.Je n’ai plus dechauf-
feur,etjen’aipas l’habitude deconduiredans Paris. En plus, je ne
connais pas le métro.”»Un des raresmoments de rigolade dans
une campagne plus gorgée deressentimentqu’une lande irlan-
daise de pluie. Bertrand Delanoël’emporte.Humiliation.«Delanoë,
pour nous, c’était untocard,rumine encoreunacteur decette
farce.C’était leCastaner de l’époque.»

Poison


mortel, la division, estconsubstan-
tielle de la droiteparisienne. En jan-
vier 1977,quandJacques Chirac
annoncesacandidaturepour les
premières municipalesàParis depuis laRévolution de 1789,
il affronte le trèscompasséMichel d’ Ornano, jusqu’alorsmairede
Deauville, quialesoutien du présidentdelaRépubliqueValéry
Giscardd’Estaing.Poignée de mainfacile et estomac solide, Chirac
s’impose.L’affrontemententre les deux droiteslaissedesblessures.
Bretteur en campagne, le nouvel élu sefait diplomatepour assurer
sa tranquillité.Tout s’achète, même lapaix.«Chirac apartagé
le pouvoir en laissantles maires seconstruiredes petitsroyaumes,
des dynasties »,sesouvientFrançoise dePanafieu,conseillèrede
Paris de 1979à2014, ancienne maireetdéputée du dix-septième.
De plus, la capitale offresuffisammentdefromagesàdistribuer
pour satisfaireles fidèles et calmer les aigreursdes autres.«Ila
organisé “la maison”, ainsi qu’il appelait l’Hôtel de ville, sur
trois piliers,continueFrançoise dePanafieu :les élus historiques qui
avaientété le chercher,une administration efficace et les jeunes élus
qui lui devaientleur début decarrière. Ilafait d’eux sagarderap-
prochée. Ils se seraientfait tuer pour lui.»Peuàpeu, Paris devient
un archipel dechapelles, de fiefs, debaronnies.Peuimporte tant
que la droitegagne.
Élu historique de la capitale, PhilippeGoujon,toujoursmairedu
quinzième arrondissement,raconte:«Nous avons vécu trop long-
temps sur le legs deJacques Chirac comme si notredomination devait
durerpendantdes siècles.Nous avons pris lesdeuxgrandschelems
de 1983 et 1989[la droiterafle alorstous les arrondissements]
comme une assurance-vie. En 2001, nous nous sommes persuadés
quecen’estpas Delanoë qui avaitgagné, mais nous qui avions perdu
àcause de nos divisions.Du coup, l’analyse sociologico-politique de
notreéchec aattendu.Pour nous,Paris était encoreune ville bour-
geoise ou petite-bourgeoise.»«Le gaullisteàmoustache avait dis-
paru sans qu’on s’enrendecompte»,s’amuse Claude Goasguen
longtemps maireduseizième arrondissementetdésormais député
de la circonscription. Et deconclure:«Les transformations sociolo-
giques se sontfaitesànotredésavantage.Larénovation voulue
par Chiracdel’estdeParis aaccélérélamutation de la ville.Àcela
s’est ajoutéledépart desforces vives de la Chiraquie après 1995.
Lesmeilleurssontdevenus ministres ou sontpartis en province
comme Juppé.Je suis le dernier desMohicans.»
Personnen’a-t-il rien vuvenir des nouvellesattentes des
Parisiens en matièred’écologie ou de transports?Françoise
de Panafieutempère:«J’aiessayé d’entenir comptecomme
adjointe aux espacesverts. J’airéduit la circulation dans les bois
de Boulogne et deVincennes, j’ai encouragéles culturesavec

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