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FRANCE
SAMEDI 26 OCTOBRE 2019
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C’
est l’acte II de son dispo
sitif antiRassemble
ment national (RN). La
mise en œuvre opéra
tionnelle d’une volonté
politique. En janvier,
avant les élections européennes, le délégué
général de La République en marche (LRM),
Stanislas Guerini, avait exhorté ses troupes à
mener « une campagne offensive » face à l’ex
Front national. Il avait alors annoncé la créa
tion d’une cellule interne chargée de mettre
en place « une stratégie de lutte » contre la
formation d’extrême droite.
Neuf mois plus tard, la réflexion est bien
avancée. Selon les informations du Monde,
basées sur une note de travail interne, le
parti présidentiel a d’ores et déjà bâti un
plan de bataille pour endiguer la progres
sion du parti de Marine Le Pen, lors des élec
tions municipales. Cette doctrine doit être
présentée officiellement par la direction de
LRM en janvier 2020, lors d’une conférence
de presse.
Son objectif? « Faire front contre le FN », se
lon ce document de travail, en empêchant le
RN d’étendre son implantation municipale
lors du scrutin de mars 2020, après qu’il a
déjà conquis dix villes en 2014, dont Béziers
(Hérault) et Fréjus (Var). Une menace consi
dérée comme sérieuse par LRM, où l’on re
doute, par exemple, que la communauté
d’agglomération de Béziers, aujourd’hui aux
mains de la droite, tombe dans l’escarcelle de
l’extrême droite. « Les digues cèdent les unes
après les autres, s’alarme le délégué général
adjoint de LRM, Pierre Person. Dans ce con
texte, nous voulons faire barrage à la volonté
d’implantation du RN. »
Pour y parvenir, le mouvement macroniste
a décidé d’opérer de manière méthodique. Il
a d’abord recensé une centaine de commu
nes où le parti lepéniste risque de l’empor
ter, en identifiant trois bassins d’expansion
principaux : l’Hérault, le Nord et la Moselle. Il
a ensuite défini trois attitudes différentes à
adopter, dans l’attribution de ses investitu
res et de ses soutiens pour les municipales.
VILLE « PRENABLE »
Le premier cas de figure, le plus simple, con
cerne « quelques villes à risque RN », où la ma
jorité pense disposer d’une tête de liste suffi
samment forte pour pouvoir l’emporter.
Dans ces endroits, LRM a investi son propre
candidat. Cette situation se présente notam
ment à Perpignan, où le « marcheur » Ro
main Grau tentera d’empêcher le député RN
Louis Aliot de conquérir la mairie.
A Beaucaire (Gard), les macronistes ont
choisi Lionel Depetri, suppléant de la dépu
tée Françoise Dumas, pour ravir une ville
dirigée par le parti lepéniste. Autre exemple :
à Arles (BouchesduRhône), ville actuelle
ment dirigée par le PCF mais identifiée
comme « prenable » par le RN, le parti
présidentiel a choisi d’investir sa députée
Monica Michel.
Pour contrer l’extrême droite, les partisans
d’Emmanuel Macron prévoient deux autres
scénarios, qui ressemblent à une réhabilita
tion du front républicain. Dans le cas où LRM
« n’est pas en mesure de proposer une offre
sous son étiquette permettant le plus grand
rassemblement », le mouvement a décidé de
« soutenir une autre offre politique », selon la
note. En clair, d’appuyer un candidat issu
d’un autre parti républicain, théoriquement
bien implanté et apparaissant en mesure de
résister à la pression du RN. C’est notam
ment le cas dans le Nord, avec le soutien au
maire sortant de Wattrelos, Dominique
Baert, issu du Parti socialiste, ou encore à
Dunkerque, avec le sortant Patrice Vergriete
(divers gauche).
A Forbach, en Moselle, c’est Alexandre Cas
saro, venu du parti Les Républicains (LR), qui
a été choisi par les macronistes pour conqué
rir cette ville convoitée par le RN et par le pré
sident du parti Les Patriotes, Florian Philip
pot. Dans l’Hérault, dans des villes visées par
le RN, LRM soutient d’autres élus de droite :
l’édile sortant Claude Arnaud (divers droite)
à Lunel ; le maire sortant (exLR), François
Commeinhes, à Sète ; et le conseiller munici
pal d’opposition, Pascal Resplandy, à Béziers,
qui affrontera le maire sortant Robert Mé
nard, soutenu par l’exFN.
« MAIN TENDUE »
Le dernier cas de figure concerne les villes où
le parti macroniste prévoit de se désister,
afin d’empêcher l’élection d’un candidat du
parti lepéniste. Là où il est préférable de « ne
rien faire pour ne pas risquer d’éparpiller les
voix », précise la note de travail. Selon nos
informations, LRM compte ainsi ne pas pré
senter de candidat à Denain (Nord), où le RN
a des chances de ravir la municipalité. Alors
que le MoDem y a désigné un chef de file en
la personne de Sabine Hebbar, dans l’espoir
qu’elle porte les couleurs de la majorité, le
mouvement macroniste, lui, préconise de ne
pas présenter de candidat pour aider la
maire sortante socialiste, AnneLise Dufour
Tonini, à conserver l’hôtel de ville.
Même attitude à Hayange (Moselle) : LRM
entend ne présenter aucun « marcheur »
face à Fabien Engelmann, qui avait rem
porté le scrutin en 2014 sous les couleurs de
l’exFront national. « Dans une logique de
responsabilité, nous allons procéder, dans
plusieurs endroits, à un désistement républi
cain avant le premier tour, sans aucun préa
lable, pour faire barrage à l’extrême droite »,
explique Pierre Person. Avant de préciser
qu’au second tour, LRM pratiquera « tou
jours la main tendue lorsqu’il s’agira de ras
sembler face au RN ».
Audelà, les stratèges macronistes ont
établi une feuille de route à suivre d’ici aux
municipales. Parmi les objectifs affichés :
« décortiquer le bilan » des municipalités
dirigées par le RN pour mieux le dénoncer,
ou encore livrer une analyse fine du corpus
de ce parti pour le « combattre point par
point », avant l’élection.
Plus original, la formation majoritaire sou
haite avoir « une stratégie postélectorale »
dans les villes qui seront gagnées par le RN,
en y menant, après le scrutin de mars 2020,
une forme de « guérilla juridique ». « On veut
avoir des gens sur place capable de relever
toutes les irrégularités – d’ordre administratif
ou juridique – dans la gouvernance des vil
les », expliqueton, en donnant comme
exemple la fin des subventions à des associa
tions, ou des atteintes à la liberté de la presse.
Les dirigeants macronistes assument de
mettre l’essentiel de leurs forces contre l’ad
versaire, qui les a distancés aux élections
européennes. Une volonté d’Emmanuel
Macron luimême. Ce dernier ayant de
mandé, le 16 septembre, de « confirmer cette
opposition » aux municipales. Comme s’il
s’agissait de réduire le débat à un match à
deux. Autant pour marginaliser les autres
partis d’opposition que pour installer le
duel avec la formation lepéniste, afin de re
jouer, en 2022, le match de la présidentielle
de 2017.
alexandre lemarié
Les yeux rivés sur 2022,
Macron occupe le terrain
Le chef de l’Etat se concentre sur les sujets régaliens
et environnementaux, ses points faibles présumés
I
l n’en parle jamais en public
mais a déjà les yeux rivés sur
l’échéance. A mimandat,
cinq mois avant les élections mu
nicipales, Emmanuel Macron et
ses fidèles réfléchissent à la stra
tégie à adopter pour la présiden
tielle de 2022. « Le temps de l’enra
cinement sonne avec ces munici
pales mais viendront derrière les
sénatoriales (...), les départemen
tales, les régionales et puis, les pré
sidentielles et les législatives. Et
c’est dans ce cycle électoral qu’il
faut maintenant voir les choses »,
a ainsi déclaré le chef de l’Etat aux
parlementaires de la majorité, le
16 septembre, lors d’une rencon
tre à huis clos.
Dans cette optique, M. Macron
entend garder jusqu’au bout la
posture du réformateur, en parti
culier sur le dossier des retraites.
« Cette réforme fera partie des
marqueurs du quinquennat. Cela
incarne la volonté transformatrice
du président », observe le député
La République en marche (LRM)
Roland Lescure. Pas question,
donc, d’y renoncer. « Les retraites,
ce sera aussi le marqueur de notre
capacité à réformer, appuie la
députée et porteparole de LRM
Aurore Bergé. On sera évalué sur
notre capacité à tenir sur ce sujet. »
Audelà, le président de la Répu
blique souhaite occuper au maxi
mum le terrain, afin de ne pas
laisser d’espace à ses adversaires.
« Le président veut saturer l’es
pace, comme Sarkozy le faisait »,
confie un proche. Après un début
de quinquennat dominé par des
réformes économiques et socia
les, le locataire de l’Elysée a ainsi
demandé à ses troupes de mettre
l’accent sur les sujets régaliens et
environnementaux ces dernières
semaines. « On a épuisé le projet
sur la fiscalité, le travail, le pouvoir
d’achat, la bioéthique ou le socié
tal, donc le président veut investir
de nouveaux thèmes théorique
ment réservés à la droite et aux
écolos, décrypte un poids lourd de
la majorité. C’est son histoire, il a
toujours fait du judo pour élargir
sans cesse son espace politique.
Donc il continue. »
Lors de sa tournée actuelle dans
l’océan Indien, M. Macron a ainsi
saisi l’occasion de mettre en avant
ces deux enjeux prioritaires de
l’acte II du quinquennat : il a évo
qué la lutte contre l’immigration
clandestine, mardi 22 octobre, à
Mayotte ; puis la protection de la
biodiversité mercredi aux îles
Glorieuses, un petit archipel des
îles Eparses, administré par la
France, situé près de Madagascar.
Comme s’il voulait cocher toutes
les cases pour étouffer ses oppo
sants. « Macron est un pragmati
que pur, sans vraie assise idéologi
que. Pour lui, il faut trianguler sans
cesse, que ce soit sur l’écologie ou
l’immigration, en étant plus dans
le “make” que dans le “think” », ob
serve un de ses fidèles.
« Combat fondamental »
Alors que l’écologie s’impose dé
sormais comme une préoccupa
tion majeure pour les Français, le
chef de l’Etat veut se montrer
concerné, jusqu’à la présiden
tielle. La politique du gouverne
ment en la matière « doit être un
agenda de solutions maintenant.
Ça ne peut plus être un agenda
d’incantations ou d’indignation »,
atil déclaré début octobre.
Désignant l’urgence climatique
comme « un combat absolument
fondamental », il a appelé sa ma
jorité à « conduire le pays dans une
transition, en vrai », le 16 septem
bre, grâce au projet de loi de lutte
contre le gaspillage ou la conven
tion citoyenne pour le climat, qui
s’est mise en place début octobre.
D’après son entourage, M. Ma
cron aurait surtout intégré qu’il
avait beaucoup à perdre s’il ne
saisissait pas de ce sujet. « On est
faible sur l’écologie, alors que c’est
la préoccupation du moment. On
essaie donc d’y remédier », expli
que un familier de l’Elysée. L’ob
jectif est de ne pas se laisser
déborder par les écologistes, qui
ont réalisé un bon score aux élec
tions européennes (13,5 % des
Contre le RN,
LRM réhabilite
le front républicain
« Le Monde » a pu consulter la stratégie
du parti présidentiel. Objectif : empêcher
l’extrême droite d’étendre son implantation
municipale, quitte à s’effacer
S T R A T É G I E É L E C T O R A L E
« LE PRÉSIDENT
VEUT SATURER
L’ESPACE,
COMME SARKOZY
LE FAISAIT »,
CONFIE UN PROCHE