Le Monde - 26.10.2019

(Wang) #1

leursforces. Çà et là, depuis un an,àl’image dupère Gegê,
des religieuxcélèbrentdes offices dénonçantlapolitique du gou-
vernement, appelantmêmeparfoisàlalibér ation de l’ex-prési-
dentLula, incarcéré pour corruption.L’événementleplus spec-
taculaireaeulieu le 12octobre dernier,jour sacrécommeaucun
autr eauBrésil, carcélébrantNotre-Dame d’Aparecida, la sainte
patronne dupays.L’archevêqueOrlandoBrandes, protecteur du
sanctuaireoùrepose la statue de laVierge noire,aalorssorti
l’artillerie et tiréàbouletsrouges sur ses adversaires :«Nous
avons[au Brésil]le dragon du traditionalisme!Ladroiteest vio-
lente et injuste!Onfusille le pape, le synode, leconcile de
Vatican II.Ondirait que nous ne voulons plus de la vie!Ondirait
que nous ne voulons plus de la vie!»,adéploréleprélat, sous les
objectifs detoutes les caméras dupays.
Faudrait-il doncreprendreles chemins de la lutte,comme au
temps des jourssombres?Leclergé est divisé.«L’Église ne pourra
jamais soutenir un présidentqui défend des crimes odieuxtels que
la torture, l’homophobie, les milices, l’invasion deterres indigènes »,
pourfendFrei Bett o, dominicain et écrivain, icône de la théologie
de la libération, emprisonné quatreannéesparlaj unte,rappelant
que,«noustous, chrétiens, sommes les disciples d’un prisonnier poli-
tique,Jésus deNazareth(...),arrêté,torturé, interrogéetcondamné
àmort par deux puissances politiques ».De soncôté, Mário Antônio
da Silva,évêque de l’État amazonien deRoraima et membrehaut
placéduclergé, se montreplus prudent:«Leprésident, disons-le
de manièrechrétienne,anos prières.Mais nous l’interpellons pour
qu’il s’occupe de la population et ne menacepas les droitsacquis.
Il faut que lacampagne électoralecesse et que legouvernement
utilise son mandat pour le biencommun du pays.»


Arbitre


suprême, lepape François se garde
bien de prendreparti ou d’attaquer
le présidentbrésilien. Début mai,
toutefois, un brin provocateur,ils ’est permis d’envoyerune lettre
personnelleàLula, écrivant :«Lebien vaincralemal,lavérité
vaincralemensonge.»Un appui impliciteàl’ex-métalo,bête noire
de Bolsonaro.Pourtant convoqué dès 2017,les ynode sur l’Amazo-
nie,axé surlapréservation de l’environnementetlesortdes
peuples indigènes, est égalementperçuparbien des observateurs
comme un acted’opposition,àl’heureoùladéforestation, les
incendies et les invasions deterres autochtones ontexplosé dans
le «poumon de la planète».«Bergoglio[lenom civil dupape
François]n’ajamais adhéréàla théologie de la libération, même
quand il était archevêque de Buenos Aires.Mais depuis qu’il est
pape, ilfavorise le dialogue et unrapprochementavec les pauvres


et les périphéries,estimeCelsoPinto Carias, théologien etcoordi-
nateur des 20000 dernièrescommunautés debase dupays,héri-
tées de la luttecontr eladictature.Il ne dit rien d’ostensible.Mais
sans son appuitacite, aujourd’hui,nous, les progressistes, on serait
la minoritéd’une minoritéauBrésil.»
Clé devoûteducatholicisme national, la Conférencenationale des
évêques duBrésil (CNBB),fondée en 1952parDomHélder
Câmara, prône unevoie médiane. Depuis un an, elleaadressé
plusieurs«lettres aupeuple»prenantparti contre les coupes bud-
gétaires dans l’éducation, laréforme desretraites ou la libéralisa-
tion duportd’arme–cequi luivaut d’êtretaxée de«communiste»
parl’extrême droite.Au mois de mai, lorsdela57eassemblée
générale, les 301évêques dupays se sontchoisicomme président
le trèstempéréDomWalmor Oliveira, archevêque deBelo
Horizonte (Minas Gerais).«Lescrutinasigné la victoiredes modé-
rés, encoretrèsmajoritaires au CNBB,décrypteFranciscoBorba
RibeiroNeto,coordinateur ducercle FoietCultureàl’université
pontificale de Rio (PUC).Walmor est unconciliateur.Dans leMinas
[où les catholiquesrésistentmieux qu’ailleursàlapression des
évangélistes],il yaen mêmetemps desconservateursetdes pères
de gauche, qui arriventàse parler etàdiscuter.Ilasu préserver
cetteunité, si importante pour l’Église.»
Mais tous ne croientpas auxchances du sobreDom Walmor.
Selon lespointages des sondeurs,Jair Bolsonaroaurait obtenu
50,08%des voix chez les catholiques brésiliens (contre66%
chez lesévangéliques, et 55%auniveaunational),àquasi-égalité
avec lecandidat de gaucheFernandoHaddad.Lacommunauté,
àl’image d’unpays coupéendeux, estpolariséecomme jamais.
Et labataille pour l’intégritédel’Églisepourrait êtrecelle de
l’unitédupays.«AuBrésil,l’Églisecatholique, detoutes lescom-
munautés, estcelle quireflètelemieux l’état de la société»,avec
ses contradictions et ses divisions, noteM.Neto.
ÀManguinhos, envers et contre tout, nul necompterenoncer
àses idéaux.«Lathéologie de la libérationn’est pas morte.
Ellerestevivante,dynamique. Ellen’est pascongelée dans
les années 1970, ilfaut larepenser pour l’adapter auxxiesiècle, par
exemple sur la question de la préservation de l’environnement,
de la placedes femmes et desNoirs»,assurelepèreGegê.Autant
de valeursqui, croit-il,permettrontdeluttercontre«l’ignorance
radicale dece régime de l’absurde ».Midi sonne.La messe est
finie. Gegêferme lesportes de saparoisse.Au loin, dans le ciel
bleu,par-delà lestoits de lafavela, on aperçoit le Christrédemp-
teur,posé sur le Corcovado, le dostournéàlazone norddeRio
et àlaSaõ Daniel. Comme si, danscettepériode troublée,
lui aussi préférait détourner leregard.

“L’Églisenepourrajamais soutenir un
président qui défenddes crimesodieux
tels que latorture, l’homophobie,les
milices, l’invasiondeterres indigènes.”

Frei Betto, dominicain et écrivain,
icônedelathéologiede la libération

Lesfidèles
au moment de
la communion,
dans l’église
de São Daniel.

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Sebastian Liste/Noor pour

MLem

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