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SAMEDI 26 OCTOBRE 2019 france| 9
Emmanuel
Macron à son ar
rivée à l’aéroport
de SaintDenis,
à La Réunion,
le 23 octobre.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE
POUR « LE MONDE »
Emelien, l’homme qui murmure
encore à l’oreille du président
L’ancien conseiller spécial d’Emmanuel Macron, qui a quitté l’Elysée
en mars, prépare discrètement les prochaines échéances électorales
C’
était le secret le mieux
gardé de la Macronie.
Retranché dans l’an
cien bureau d’Emmanuel Macron
à l’Elysée, le « conseiller spécial »
du président Ismaël Emelien fut
pendant deux ans l’objet de tous
les fantasmes. L’homme « à l’épi
centre de la conquête du pouvoir »,
comme dit un proche du chef de
l’Etat, ne se racontait pas, ou si
peu, à la presse. Le silence a ali
menté le mystère, nimbant le
sorcier du macronisme de l’aura
d’un pouvoir dont l’étendue était
difficile à mesurer. Lui qui s’inté
resse au nudge, cette théorie mar
keting consistant à influencer les
comportements à l’aide d’invisi
bles coups de pouce, s’est vu prê
ter beaucoup de décisions, sans
jamais chercher à y imprimer sa
marque.
Cette période est révolue depuis
son départ de l’Elysée, en mars.
L’usure du pouvoir, à 32 ans, a déjà
fait son œuvre. L’affaire Benalla
est passée par là, aussi. Tout
comme l’envie de se projeter vers
une nouvelle campagne, celle de
- Surtout, celui qu’on ne
voyait jamais sur la photo, « l’om
bre, le fantôme de l’Elysée »
- comme le décrivait alors en sou
riant le président du groupe LRM
de l’Assemblée nationale, Gilles
Le Gendre – s’est incarné en chair
et en os : il porte la coupe bien dé
gagée sur les côtés et la barbe à
peine négligée. Décontracté mais
pas trop, comme peut l’être n’im
porte quel trentenaire fréquen
tant les bars lounges de Paris. En
fonction de l’heure de la journée,
un gin tonic (sa boisson fétiche)
peut être posé devant lui.
« Un type “smart” »
Depuis six mois, l’ancien con
seiller qui quittait chaque soir le
palais tard dans la nuit a lu,
voyagé, s’est reposé. Il a sorti un
livre, aussi, ou plutôt un « mani
feste », écrit avec David Amiel,
autre exconseiller élyséen. C’est
même la raison officielle pour la
quelle il a quitté son poste auprès
d’Emmanuel Macron. Le progrès
ne tombe pas du ciel (Fayard,
176 pages, 15 euros) se voulait un
manuel du progressisme, en vente
dans toutes les bonnes librairies et
dans les raouts de La République
en marche (LRM), comme à Bor
deaux, en septembre, lors du cam
pus de rentrée du parti.
Les deux jeunes auteurs ont en
chaîné télés et radios au prin
temps pour en faire la promotion.
Mais l’ouvrage a été fraîchement
reçu, tant par le monde politique
- qui l’a jugé décevant et horssol –
que par le public. Selon l’institut
GFK, 8 409 exemplaires ont été
vendus. Ils espéraient bien plus.
« Ce livre l’a démonétisé, soupire
un ancien conseiller de la prési
dence, qui voit Emelien de temps
en temps. Les gens ont vu en lui un
génie, ce qu’il n’avait jamais dit
qu’il était. Ismaël est un garçon qui
ne se la pète pas. C’est un type
“smart” au sens anglosaxon, c’est
àdire agile, rapide, qui relie les
choses entre elles. Mais ce n’est pas
Jacques Attali... » Ses amis veulent
néanmoins se montrer encoura
geants. « C’était une contribution
intellectuelle à notre doctrine, nos
cadres ont apprécié », insiste un
proche d’Emmanuel Macron, qui
relativise les mauvaises critiques :
« Son livre n’est pas arrivé au bon
moment. Et ce n’était pas un
format adapté à la littérature
politique française. On n’a pas
l’habitude de ce genre de livres en
France. »
Raison pour laquelle, sans doute,
l’ancien conseiller n’a eu de cesse,
ces derniers mois, que de voyager
à l’étranger pour évangéliser les
ouailles d’outreHexagone, et leur
conter l’aventure du macronisme,
en chassant les « idées reçues ».
Ismaël Emelien a ainsi couru les
conférences et les think tanks à
Porto, Madrid, Londres, Washing
ton, Istanbul... « Il y a un intérêt
méthodologique et théorique pour
ce qu’on a fait », veut croire le délé
gué général de LRM, Stanislas
Guerini, par ailleurs grand ami
dans le privé d’« Isma », dont il a
été le témoin de mariage.
A l’orée de la dernière présiden
tielle, le « grand œuvre » de l’an
cien d’Euro RSCG (désormais
groupe Havas) est d’avoir perçu,
comme Emmanuel Macron, qu’il
était possible de renverser l’ordre
ancien des partis, perclus de cliva
ges paralysants et animés d’idées
recuites. Mais la suite, pour le
jeune spin doctor, n’a pas été à la
hauteur de l’espérance soulevée.
Son influence, assureton, serait
allée decrescendo. « On lui doit la
majeure partie de la victoire
en 2017. C’était le plus intelligent, le
plus visionnaire. Mais à l’Elysée, ça
ne l’a plus fait... », assure un haut
responsable de la Macronie, qui
raconte n’avoir été d’accord avec
aucune de ses propositions, ou
presque, depuis deux ans et demi.
« Certaines personnes sont meilleu
res dans la conquête, poursuit
cette source. Comme Don Juan, qui
collectionne les succès féminins
mais ne trouve jamais l’amour. »
Dans son livre, le trentenaire as
sure mesurer luimême la hau
teur de l’obstacle qui consiste à
s’installer aux responsabilités. « Il
est plus difficile pour les progressis
tes d’exercer le pouvoir que de le
conquérir », écritil, critiquant les
« forces d’inertie », les « intérêts
particuliers » et les « habitudes »
auxquelles il faut se confronter.
Certains anciens, comme le prési
dent de l’Assemblée nationale,
Richard Ferrand, ou celui du
MoDem, François Bayrou, ont su
mieux occuper l’espace que lui.
« La conquête et l’exercice du pou
voir sont des moments très diffé
rents pour ceux qui conseillent,
analyse Philippe Grangeon,
62 ans, actuel conseiller spécial
d’Emmanuel Macron à l’Elysée.
Dans l’Etat, le poids de la techno
structure, l’âge, l’expérience, comp
tent énormément. L’Elysée est un
lieu d’impulsion plus qu’opération
nel. Ismaël est un opérationnel. »
Un opérationnel qui continue à
alimenter toute la Macronie de ses
idées. En particulier le patron de
LRM, Stanislas Guerini, qu’il
coache avant ses discours, ses dé
bats télévisés, ou qu’il a conseillé
sur l’organisation du campus du
parti à Bordeaux. Il donne aussi
des coups de main à l’ancien porte
parole du gouvernement, Benja
min Griveaux, pour tenter de re
gonfler sa campagne municipale à
Paris. Enfin, les conseillers de l’Ely
sée le croisent parfois dans les cou
loirs du palais lorsqu’il sort du bu
reau du secrétaire général de la
présidence, Alexis Kohler. Nul ne
sait ce qu’il murmure au « boss »,
Emmanuel Macron, dans les mes
sages qu’ils continuent d’échanger.
Ismaël Emelien est sorti de l’Ely
sée avec une idée en tête, qu’il
n’avoue qu’à demimot : préparer
l’élection présidentielle en 2022.
Etre un homme de campagne est,
au fond, le rôle dans lequel il se
sent le plus à l’aise. « On avait un
temps d’avance entre 2014 et 2017,
estimetil. On l’a perdu. Par rap
port au pays et aux Français, pas
aux oppositions. Il faut le recons
truire, ça m’intéresse. On ne peut
pas reprendre un temps d’avance
en restant à l’Elysée. » En revan
che, il jure qu’il n’anime « pas une
cellule pour 2022 ». « Il a une action
de militant politique, il contribue
au débat d’idées », souligne la
porteparole du gouvernement,
Sibeth Ndiaye, membre, comme
lui, du clan des « mormons », ces
fidèles de la première heure.
« Un truc de haute couture »
L’ancien conseiller approuve le vi
rage régalien du chef de l’Etat, ou
son appel lancé à la jeunesse pour
qu’elle se retrousse ellemême les
manches sur l’écologie. Dans une
tribune au Monde, en juin, il appe
lait à « traiter » les causes du vote
en faveur du Rassemblement na
tional. « Il a à l’esprit, et comme pré
occupation, que les populistes n’ar
rivent pas au pouvoir en 2022 »,
souligne le secrétaire d’Etat Adrien
Taquet, lui aussi présent aux pre
miers jours du macronisme.
En juin, Ismaël Emelien a créé
une société de conseil, Unusual
(« inhabituel », en anglais), pour
« aider les entreprises à éviter qu’el
les ne deviennent les Kodak ou les
Nokia de demain ». « Un tout petit
truc de haute couture », ditil, qu’il
anime seul. Impossible de con
naître les noms de ses clients,
qu’il refuse de donner. On sait
grâce à une indiscrétion de Me
diapart que le groupe de luxe
LVMH, présidé par le milliardaire
Bernard Arnault, en fait partie.
« Je ne fais pas de lobbying pour
mes clients [auprès de l’Elysée] »,
juretil. « C’est alimentaire, pour
pouvoir continuer à donner des
conseils en politique », assure un
« mormon ».
En prodiguetil aussi à son ami
Alexandre Benalla, qui fait miroi
ter l’hypothèse d’une candidature
aux municipales à SaintDenis
(SeineSaintDenis)? « Nous ne
nous parlons plus », assure l’an
cien conseiller, qui refuse de com
menter les aventures de l’exchef
de cabinet adjoint de l’Elysée : « Je
ne me risquerai pas à faire l’exégèse
de ce que fait Alexandre Benalla. »
En janvier, Emelien a été en
tendu par l’IGPN, la police des
polices, pour avoir contribué à dif
fuser en ligne des images tirées
illégalement de la vidéosur
veillance de la Préfecture de police,
à Paris. Transmises par Benalla lui
même, elles étaient censées créer
un contrefeu à son coup d’éclat de
la place de la Contrescarpe, le
1 er mai 2018. Le conseiller assure
qu’il ne connaissait pas leur prove
nance, et qu’il a agi dans le seul
intérêt d’Emmanuel Macron. Re
trouver son nom associé à l’affaire
l’a secoué, assurent ses proches.
« Il a fait ce qu’un conseiller en com
munication de crise fait pour son
patron », défend un « mormon ».
Quitte à en payer le prix.
olivier faye
et solenn de royer
« ON LUI DOIT LA
MAJEURE PARTIE DE
LA VICTOIRE EN 2017.
MAIS, À L’ELYSÉE, ÇA
NE L’A PLUS FAIT... »,
ASSURE UN HAUT
RESPONSABLE
DE LA MACRONIE
voix en France) et menacent les
listes LRM pour les municipales
de 2020.
Le raisonnement est le même
sur le régalien. A entendre ses fi
dèles, le locataire de l’Elysée a mis
volontairement le thème de l’im
migration à l’agenda, récem
ment, afin de combler un de ses
points faibles présumés. « La
seule utilité du débat qu’on a orga
nisé à l’Assemblée [le 7 octobre]
était de montrer aux Français
qu’on sait l’importance du sujet,
qu’on ne le minore pas », confie un
membre du gouvernement.
La majorité cherche ainsi à ré
pondre à des attentes de l’électorat
de droite qu’il convoite, et
endiguer l’extrême droite sur l’un
de ses thèmes de prédilection.
« On ne peut pas être qu’un pouvoir
économique et social, même si on a
des résultats sur l’emploi. On doit
être fort aussi sur le régalien, c’est
essentiel pour nous, souligne une
source au sein de l’exécutif. Aux
européennes, les retraités de droite,
par exemple, ont aussi voté pour
nous parce qu’on a incarné le parti
de l’ordre dans la crise des “gilets
jaunes”. Je ne sais pas s’il y a des
voix à gagner en parlant d’immi
gration, mais il y a des voix à perdre
si on n’en parle pas. »
« On nous saura gré d’avoir re
connu qu’il y a un sujet sur l’immi
gration. Le risque de s’en saisir est
moins important que le déni »,
veut croire un ministre.
La menace est clairement iden
tifiée : le Rassemblement natio
nal (RN) de Marine Le Pen, que
M. Macron a d’ores et déjà désigné
comme son unique adversaire.
« Vous n’avez qu’un opposant sur
le terrain, c’est le Front national. Il
faut confirmer cette opposition,
car ce sont les Français qui l’ont
choisie », atil lancé à ses troupes,
le 16 septembre. D’où sa volonté
de ne pas abandonner la lutte
contre l’immigration clandestine
ou le communautarisme au parti
lepéniste. « Si vous ne répondez
pas à ce que vivent les quartiers
populaires, fracturés par ces su
jets, vous ne tiendrez pas. Nous ne
tiendrons pas », atil averti sa ma
jorité, le même jour.
« Nous sommes convaincus que
les sujets régaliens vont être au
centre de la bataille de 2022 et que
les Français vont chercher un diri
geant qui les protège face aux
désordres du monde, que ce soit
l’immigration ou le terrorisme,
analyse l’exconseiller du chef de
l’Etat, Stéphane Séjourné, chef de
file des eurodéputés macronistes.
Pour éviter que cela profite aux
populistes, comme cela a été le cas
aux EtatsUnis avec Trump, au
Brésil avec Bolsonaro ou en Italie
avec Salvini, le président et le gou
vernement doivent prendre la
main sur ces sujets et durcir les dis
positifs dans un objectif d’effica
cité, pour ne pas laisser le champ li
bre à l’extrême droite. »
Cette double offensive serait
avant tout préventive. « L’immi
gration et l’écologie sont deux su
jets de préoccupation importants
dans la société que le président es
saie de bloquer », explique un de
ses proches. Comme si M. Macron
voulait se saisir de sujets poten
tiellement porteurs, afin d’écarter
ses adversaires. « Le président se
dit qu’à côté du duel prévu entre
Marine Le Pen et lui, une troisième
force peut émerger en 2022, qui
pourrait refaire le coup qu’il a fait
en 2016 », confie son entourage.
Un candidat surprise, qui surferait
sur le régalien ou l’écologie donc.
« Une guerre du mouvement »
Pas question, dès lors, de laisser
un boulevard sur ces terrains à
fort potentiel. Les partisans du
chef de l’Etat dressent le portrait
d’un joueur d’échecs, qui voudrait
être dans l’anticipation. « Emma
nuel Macron voit loin, s’enthou
siasme le président du groupe
LRM du Sénat, François Patriat.
C’est sa marque de fabrique et une
grande différence avec François
Hollande, qui subissait sans cesse
les événements. »
Certains macronistes, pourtant,
doutent de la pertinence de cette
stratégie. « A vouloir être partout,
on n’est nulle part..., se désole un
poids lourd de la majorité. Ma
cron veut attraper tous les sujets
mais le risque, c’est de contenter
certains publics de manière tem
poraire sans jamais vraiment figer
notre électorat. » Des réserves
partagées par le député LRM du
Vald’Oise Aurélien Taché : « La
double triangulation, qui consiste
à incarner les progressistes en ma
tière écologique et les conserva
teurs sur l’immigration, n’est pas
possible sur la durée. C’est une
guerre de mouvement, qui risque
de nous offrir uniquement des suc
cès tactiques à court terme. »
alexandre lemarié
« Le port du voile dans l’espace public
n’est pas mon affaire », dit Macron
Interrogé sur Réunion la 1re, jeudi 24 octobre, en marge de son
voyage dans l’océan Indien, Emmanuel Macron a clarifié sa posi-
tion sur le port du voile, sujet qui divise le gouvernement depuis
quinze jours. « Ce qui se passe dans l’espace public, ce n’est pas
l’affaire de l’Etat ou du président de la République », a tranché le
chef de l’Etat, en réponse aux assauts de Marine Le Pen, qui
demande l’interdiction du voile dans « tout l’espace public ».
Pressé par son propre camp, Jean-Michel Blanquer et Gérard
Collomb notamment, de se prononcer sur ces questions polémi-
ques, Emmanuel Macron a précisé : « Le voile est utilisé dans
certaines circonstances, certains quartiers, par certains, comme
instrument de revendication et de séparatisme dans la Républi-
que, qu’on appelle communautarisme (...) J’ai un problème avec
une revendication qui devient politique. »