Le Monde - 26.10.2019

(Wang) #1

INSTALLÉ DEPUIS DES ANNÉES ÀL’EST
DESANFRANCISCO,dans lapetiteville de
Kennedy, JimGoldbergadûs’accommoder
récemmentdes coupures decouran tdestinées à
prévenir lesfeux qui assaillent,chaque fin d’été,
la forêtcalifornienne.Un handicappour le pho-
tographe, en pleine préparation de l’exposition
qui lui seraconsacrée début novembreàParis
Photo, mais aussiune promesse de tranquillité
qui ne luiasans doutepas tout àfait déplu.
«Quand je travaillesur leterrain, jem’immerge
complètement,confie-t-il.Mais chez moi,àla
campagne, je peuxréfléchir àceque j’ai photo-
graphié, élaborer des projets et meressourcer.»
Membredel’agenceMagnum depuis 2006, après
l’avoir in tégrée en 2002, Goldbergn’est pourtant
ni journalisteniphotoreporter. Son travail, qui
mêle images,témoignages écrits etcollages,
tientdeceque les spécialistes de la littérature
américaine qualifientde«narrative non fiction»:
soit lefait derendrecompteduréel en emprun-
tant les techniques de la fiction,àlamanière
d’uneJoan Didion.
Né en 1953àNew Haven, dans le Connecticut,
Goldbergétudie la théologieàl’universitéquand
il se découvre,à20ans passés et presquepar
hasard, unepass ion pour la photographie. Il
prend descoursàSan Franciscodans les années
1970, et entame, en 1977,son premier projet
marquant.«J’ai commencéàphotographier les
résidents defoyerspour gens démunis dans le


quartier deMiss ion[à San Francisco],racont e-t-il.
Je leur ai d’aborddemandé de noter,dans uncale-
pin, ce qu’ils pensaientdeleur vie enregardant
leursportraits, puis j’ai peuàpeu développé une
approche singulièreenles faisantécriredirecte-
mentsur les tirages.»Entr e1977 et 1985, il
appliquecetteméthode, qui croise image et nar-
ration,àsapremièresérie d’envergure,Richand
Poor.Ill’affineaucoursdeladécennie suivante,
pour son travailsur un groupedejeunes sans-
abri qu’il croisetous les joursenbas dechez lui.
Achevéeen1995, l’œuvre, intituléeRaised by
Wolves («Élevé par des loups»),est son projet le
plusconnu.Accolés auxport raits bouleversants
de cesgaminsperdus et marquésparladureté
de l’ existence, les mots, griffonnés sur lepapier
glacé, apportent àlafois uncontexte et un
superbesupplémentd’humanité.Au fil des ans,
TweekyDave, l’un despersonnages principaux
de la série, devientunami.«Nous étions très
proches,se souvientGoldberg.Quand il esttombé
malade, je suis devenuson protecteur,car sa
famille l’avait laissétomber depuis longtemps.
Aprèssamort, onm’adonné sescendres. Elles sont
sur mon bureau,dans mon studio.»En 2006, le
rappeurKanyeWest copie l’emblématiqueveste
en jean deDave,gribouillée, signée, customisée
dans la plus puretradition punk,tandis que
Goldbergexposerégulièrement,comme un arte-
fact, levêtementdeTweekyDaveaux côtésdes
photos.JimGoldbergéclatederireàcesouvenir :

«J’aiété àlaf ois flatté que quelqu’un veuille voler
mon travail et encolère, carl’intention s’estcom-
plètementperdue enroute. Cettevesteétait un
témoignage de la vie deDave et de ses amis, mais
elle aété commercialiséecomme un simpleacces-
soiredemode.»Pasrevanchard, Goldbergapro-
posé àWest dereverser lesbénéficesàdes asso-
ciations d’aide aux sans-abri.Sans succès. Il n’eut
jamais de nouvelles.«Jecrois qu’ils ontfini par la
modifier suffisammentpour ne plusavoir àses ou-
cier des droits d’auteur»,soupire-t-il.
Qu’il photographie les gamins des rues, les
migrants de dix-huitpays différentsqui ontpour
destination l’Europe(OpenSee),oulequartier de
son enfance(Candy),Jim Goldbergdéfinit son
travail comme un«storytellingcollaboratif».
L’intention première, purementartistique,n’a
pourtant pasempêchéRaised by Wolves,dans les
années 1990, d’êtreutiliséparles parlementaires
démocrates pour défendredevantleCongrès une
loi d’aide aux sans-abri.«J’aiquelque part une
lettr edeBill Clintonmeremerciantpour
ma contribution,glisse Goldberg.C’est un hon-
neur bien sûr,mais plus de vingtans après, le pro-
blèmen’afait que s’aggraver.Plus de deux mil-
lions et demi de mineursviventaujourd’hui dans
la rue aux États-Unis.»

RAISEDBY WOLVES,DE JIM GOLDBERG
(NON TRADUIT,SCALO, 1995, 304P.)
PARIS-PHOTO DU 7AU10NOVEMBRE,
GRAND-PALAIS,AVENUE WINSTON-CHURCHILL,PARIS 8e.

Tôtlematin,PlummerPark,
LosAngeles, Californie, 1990.
Page de droite,Collage sans titre
de Polaroid,SanFrancisco et
LosAngeles, 1987-1992.

Jim Goldberg/Courtes

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he artist, Casemore Kirkeb

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allery, SF

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Pa

ce/MacGill Gallery, NY
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