12 |
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
DIMANCHE 27 LUNDI 28 OCTOBRE 2019
0123
shanghaï correspondance
C’
est une nouvelle en
trompel’œil : jeudi
24 octobre, Tesla,
le leader américain
des véhicules électriques, a mis en
marche les lignes de production
de sa nouvelle usine de Shanghaï.
Mais les progrès rapides de Tesla,
qui a construit sa seconde Giga
factory au monde en à peine
dix mois, pour espérer conquérir
le premier marché automobile
mondial, cachent la morosité du
secteur en Chine, où les ventes
baissent depuis seize mois.
Pis, alors que les véhicules élec
triques résistaient jusqu’ici au
marasme, les ventes sont aussi
en chute, depuis trois mois, dans
ce secteur touché par la fin des
subventions et l’incertitude
des consommateurs.
En septembre, les achats de voi
tures individuelles ont baissé
de 6,6 % sur un an, d’après l’Asso
ciation des véhicules particuliers
de Chine. Depuis un an et demi,
le seul mois positif a été celui
de juin, juste avant un chan
gement de normes, qui a poussé
les concessionnaires à écouler
leurs stocks en cassant les prix.
Par rapport à septembre 2017,
avant le début de la crise, la baisse
est encore plus spectaculaire,
avec 17 % de véhicules vendus en
moins. « Le marché est toujours
en déclin et, pour l’instant, cela ne
s’arrange pas. On estime que le
quatrième trimestre sera stable,
ce qui devrait entraîner une baisse
de 7 % des ventes en 2019 », expli
que John Zeng, directeur de la
société de conseil LMC Automo
tive, à Shanghaï.
La chute est particulièrement
sensible sur l’entrée et le milieu
de gamme, touchant principale
ment les constructeurs présents
sur ce segment. C’est le cas de PSA
Peugeot Citroën, de même que
Ford ou General Motors, pris en
étau entre des marques chinoi
ses meilleur marché, qui pro
gressent en qualité, comme
Geely, et des marques de luxe
allemandes très dynamiques.
PSA et son partenaire chinois,
Dongfeng, ont décidé de suppri
mer la moitié de leurs effectifs en
Chine, soit 4 000 emplois, en fer
mant une de leurs quatre usines
et en en louant une autre à
d’autres constructeurs, a révélé
Reuters, en août. Ford cherche
aussi à réduire la voilure. Dans
le même temps, les construc
teurs allemands haut de gamme,
Mercedes, BMW et Audi, conti
nuent d’enregistrer des ventes en
hausse, malgré la crise.
Electrique : la fin des subventions
Un phénomène que John Zeng
explique par la géographie du
marché chinois, divisé en six ni
veaux de villes, des mégalopoles
comme Pékin et Shanghaï jus
qu’aux petites villes de province.
« Les petites villes chinoises de ni
veau 4 à 6 [agglomérations rura
les de moins de 150 000 habi
tants] ont connu une forte crois
sance des ventes entre 2015 et 2017,
grâce au stimulus de l’économie
et aux subventions à l’achat.
Maintenant, on assiste à un reflux,
qui touche très fortement les peti
tes villes, alors que les communes
de niveau 1 à 3 s’en sortent raison
nablement bien. »
Mais, même pour les plus gran
des villes, le ralentissement de
l’économie se fait sentir. « Les mu
nicipalités de niveau 2 et 3 [moins
de, respectivement, 15 millions et
3 millions d’habitants], qui dépen
dent davantage des exportations,
commencent également à montrer
des signes de faiblesse depuis août.
La guerre économique avec les
EtatsUnis a clairement une inci
dence dans ces villes : l’incertitude
pèse sur le marché automobile. »
Autre sujet d’inquiétude, les
véhicules à énergie nouvelle.
La Chine espère les voir rapide
ment prendre le relais des voi
tures traditionnelles. Mais ils
sont à leur tour touchés par la
crise. Après une progression
constante ces dernières années
(+ 62 %, en 2018, pour atteindre
1,3 million de véhicules vendus),
les ventes ont baissé ces trois
derniers mois. Là aussi, la fin
des subventions est doulou
reuse : à Shanghaï, une voiture
électrique pouvait recevoir jus
qu’à 90 000 yuans (11 400 euros)
d’argent public en 2018, contre
deux fois moins depuis l’été, et
bientôt... zéro yuan en 2020. Les
véhicules offrant moins de
250 kilomètres d’autonomie ont
déjà été privés d’aides.
D’après le Centre d’études inter
nationales et stratégiques, un
think tank américain, la Chine
aurait dépensé l’équivalent de
52 milliards d’euros en subven
tions directes et indirectes à l’élec
trique en 2018. Les autorités cher
chent désormais à remplacer
leur coûteuse politique incitative
par des mesures coercitives : les
constructeurs sont tenus d’inté
grer entre 3 % et 4 % de véhicules à
énergie nouvelle à leur produc
tion chinoise en 2019, un quota
réévalué à la hausse chaque an
née. En clair, il appartient désor
mais aux constructeurs de sub
ventionner un marché qui peine
toujours à prendre auprès de la
population.
« En ce moment, beaucoup de
consommateurs repoussent leur
achat. En raison de la crise, mais
aussi parce qu’ils se demandent
si c’est le moment de passer à
l’électrique », analyse Andre Jin,
consultant automobile pour Pri
cewaterhouseCoopers, à Pékin.
Mais les sujets d’inquiétude
pour l’achat d’un véhicule élec
trique restent nombreux, au
delà de la diminution des aides
publiques. « La baisse des subven
tions ne devrait pas se faire sentir
à long terme. En revanche, les
problèmes de sûreté, de prix et
de coût d’entretien vont rester :
après seulement trois ans, même
les véhicules électriques haut de
Des véhicules
électriques de la
marque Baojun,
à Liuzhou
(Guangxi), dans
le sud de la Chine,
en février.
ALY SONG/REUTERS
« Le marché
est toujours en
déclin. La baisse
devrait atteindre
7 % en 2019 »
JOHN ZENG
directeur de la société
de conseil LMC Automotive
gamme comme Tesla perdent les
trois quarts de leur valeur, à cause
des batteries. Cela fait hésiter les
consommateurs. »
Après avoir suscité beaucoup
d’espoir, le marché chinois de
l’électrique devrait subir une res
tructuration drastique. Ces der
nières années, 500 startup ont
vu le jour dans le secteur, quand
l’argent des investisseurs en
capitalrisque coulait à flots. Les
premières d’entre elles sont
aujourd’hui confrontées à un
marché à l’arrêt, que les construc
teurs étrangers bien établis, con
traints par les quotas officiels,
s’apprêtent à inonder. Reste à sa
voir si Tesla, qui vise le haut de
gamme et les grandes villes, saura
tirer son épingle du jeu.
simon leplâtre
même selon les standards chinois, c’est
rapide. Il n’a fallu que cent soixantehuit
jours ouvrés à Tesla pour lancer la produc
tion de ses premiers Model 3 à Shanghaï,
d’après l’agence officielle Chine nouvelle.
A peine dix mois après avoir posé la pre
mière pierre de sa deuxième Gigafac
tory au monde, le leader américain de la
voiture électrique de luxe a publié, jeudi
24 octobre, les premières photos de ses li
gnes de production en activité. Un succès
pour le fondateur de Tesla, Elon Musk,
habitué aux promesses ambitieuses... et
aux déconvenues.
Cette fois, la livraison a eu lieu deux mois
avant la fin de l’année, date promise par le
patron. L’annonce du lancement de la pro
duction avant l’heure et la publication
de bons résultats au troisième trimestre
ont propulsé de 17,5 % l’action Tesla au
Nasdaq, jeudi 24 octobre. M. Musk assure
que la production atteindra 1 000 véhicu
les par semaine d’ici à la nouvelle année,
un objectif que son usine américaine avait
mis des mois à atteindre.
Malgré des taxes de 25 % sur les importa
tions, la Chine représente déjà le deuxième
marché au monde pour le fabricant. Le
constructeur n’aura donc plus à payer ces
taxes. De surcroît, il pourra économiser
sur les frais de transport des véhicules, de
quoi réduire les prix de vente. Tesla a an
noncé que son Model 3 produit localement
sera vendu 328 000 yuans (41 700 euros),
soit 36 000 yuans de moins que le prix
actuel. De quoi conquérir de nouveaux
clients, dans le pays qui a le plus poussé
l’électrification du parc automobile, ces
dernières années, grâce à de généreuses
subventions et des avantages pour ce type
de véhicules, comme le fait d’échapper à
des enchères ou des loteries pour obtenir
une plaque d’immatriculation.
2 milliards de dollars d’investissement
En 2018, les Chinois ont acheté 1,2 million
de véhicules électriques, soit plus de la moi
tié de ceux vendus dans le monde. Mais le
vent tourne : les ventes baissent depuis
trois mois. Tesla a toutefois des raisons
d’espérer. Pour l’instant, ce sont les mar
ques de luxe qui tiennent le mieux le choc
sur un marché chinois morose. A terme, la
firme américaine espère que la Chine sera
le premier marché de son Model 3.
L’usine de Shanghaï, qui a nécessité 2 mil
liards de dollars (1,8 milliard d’euros) d’in
vestissement, est la première usine étran
gère pour le groupe américain. C’est aussi
la première usine automobile détenue à
100 % par un constructeur étranger. Jus
qu’ici, ils étaient obligés de s’associer à des
sociétés chinoises dans des coentreprises
détenues à moitié par chacune des parties,
pour favoriser le développement de l’indus
trie locale. Pékin avait annoncé la fin de ces
règles au printemps 2018, dans une tenta
tive d’apaisement, alors que la guerre com
merciale avec les EtatsUnis commençait.
Dans ce contexte tendu entre Pékin et
Washington, l’aventure chinoise de Tesla
est une réussite rare. M. Musk, qui avait cri
tiqué le protectionnisme chinois avant la
signature d’un accord avec la ville de Shan
ghaï pour son usine, fait, depuis, profil bas.
Celui qui ne se prive pas de donner son avis
sur la marche du monde sur Twitter, s’est
montré particulièrement discret sur ses af
faires dans le pays. Il a aussi multiplié les
visites en Chine, apparaissant aux côtés du
ministre des transports, Li Xiaopeng, ou de
Jack Ma, le fondateur du géant de l’ecom
merce Alibaba. Une stratégie payante :
Tesla a pu emprunter auprès de banques
d’Etat chinoises pour financer son investis
sement, et la rapidité de la construction de
l’usine, dans un pays où la bureaucratie dé
pend largement de la bonne volonté politi
que, prouve qu’il a le soutien de Pékin.
si. l.
Tesla lance la production des Model 3 made in China
L’automobile chinoise s’enfonce dans la crise
Les ventes de voitures baissent depuis seize mois dans l’empire du Milieu, le premier marché mondial