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DIMANCHE 27 LUNDI 28 OCTOBRE 2019 sports| 15
Ballon et raison, la recette Saïd Chabane à Angers
L’Algérois, qui a fait fortune dans les rillettes, gère son club de football comme ses entreprises. A l’euro près
FOOTBALL
la fertébernard (sarthe)
envoyé spécial
C’
est une photo qui
rappelle à Saïd Cha
bane, président du
SCO Angers, que ce
métier vous ouvre les portes mais
finit par avoir votre peau. A l’Ely
sée, en 2012, cinq présidents de
club de football encadrent Nico
las Sarkozy et Frédéric Thiriez,
alors président la Ligue (LFP).
Deux seulement sont encore en
poste : JeanMichel Aulas et lui.
Le cadre est posé dans son bu
reau de patron de Prestige de la
Sarthe, une entreprise de charcu
terie de gros. Vue sur le parking,
tableaux marins, représentations
de bijoux kabyles ; et cette photo.
« Je me dis : j’ai pas mal réussi dans
l’industrie et j’ai jamais mis les
pieds à l’Elysée. Quinze jours dans
le football, j’y suis. Ça donne du
baume au cœur. »
Pour cela, Saïd Chabane peut
aussi regarder le classement de la
Ligue 1. Le SCO est 4e (ex aequo) au
quart du championnat. Le « roi de
la rillette » − c’est le président sté
phanois, Bernard Caïazzo, qui
l’appelle ainsi − est, pour ses pairs,
une idole : depuis qu’il a racheté le
club, en 2011, Angers est monté en
Ligue 1, s’y maintient et a même
atteint la finale de la Coupe de
France, il y a deux ans.
Surtout, le club noir et blanc
s’en met chaque année plein les
poches : son directeur sportif, Oli
vier Pickeu, sort de la Ligue 2 des
joueurs que Stéphane Moulin,
l’entraîneur, met en valeur. Saïd
Chabane, qui tient la caisse, fait
une belle vente chaque année.
Huit ans que ça tourne, avec tou
jours le même coach : un record
dans les cinq grands champion
nats européens.
Une plus-value attendue
Ce modèle fait des envieux : quel
ques gros budgets de Ligue 1 lor
gnent Olivier Pickeu. Son départ
en fin de saison serait, pour le
club, une perte plus importante
que celle d’un joueur majeur.
Mais pour l’heure, tout va ; ou
presque. Saïd Chabane se sent sur
un fil. « La passion a des limites. Si
elle prend le dessus sur l’économi
que, vous êtes mort. Aujourd’hui,
vous ne mourez pas par le sportif,
vous mourez par l’argent. » Cela
n’arrivera pas à Saïd Chabane, qui
passe dans ses entreprises du
lundi au jeudi pour « garder les
pieds sur terre » et se souvenir de
ne pas dépenser l’argent qu’il n’a
pas. « Ici, il y en a qui se lèvent à
5 heures du matin pour venir à
l’usine et gagner 1 600 balles brut.
Parfois, je le rappelle au club, pour
remettre les choses à l’endroit. »
A Angers, on sait que le président
compte. Au sens propre. En Li
gue 2, la direction sportive avait in
terdiction de dépenser le moindre
euro pour recruter un joueur. En
Ligue 1, les poches sont à peine
plus profondes, malgré les belles
ventes. « C’est une gestion très, très
rigoureuse », synthétise Axel La
blatinière, ancien responsable du
recrutement, qui a quitté le club
cet été. Les bénéfices financent le
développement : création du cen
tre de formation, rachat de ter
rains, pelouses, loges, tribunes.
L’an passé, le club a récupéré la
gestion du stade via un bail em
phytéotique de trentecinq ans.
« Sa perspective, c’est de bien ha
biller la mariée, dit Axel Lablati
nière. Il a acheté le club pour
1,7 million d’euros et s’apprête à
faire une plusvalue de folie. » S’il
est toujours en Ligue 1, sa longé
vité et la hausse des droits télévi
sés valoriseront Angers à plusieurs
dizaines de millions d’euros.
Les offres ne manquent pas de
puis deux ans, et Saïd Chabane
pourrait faire fortune. « Rendez
vous après 2022. Je commencerai à
préparer ma sortie et à ouvrir le ca
pital. » Ce ne sera sans doute pas à
un actionnaire d’ExtrêmeOrient,
qu’il rejette « car toutes les expé
riences en France n’ont fait que
nuire à l’image du club ». Pour le
reste, tout le monde sera bien
venu : « L’argent russe ou qatari
n’est pas bien vu... mais vous le pre
nez. » C’est le sens de l’histoire : les
patrons de club comme Saïd Cha
bane sont voués à disparaître,
remplacés par des milliardaires,
puis des Etats. Lui respecte sur
tout ses égaux, industriels ayant
basculé dans le football, car ils dé
pensent « leur argent, pas celui des
autres ». « Les présidents salariés
ne sont que de passage. On dit tous
qu’on travaille dans l’intérêt du
club, mais quand on est proprié
taire, on est plus sensible aux
conséquences de ses décisions. » Il
dit ne rendre des comptes qu’à
son banquier, mais penser en per
manence aux répercussions sur
la ville et aux remarques du bou
langer, le dimanche matin.
S’il pensait consacrer une jour
née par semaine à Angers, ce sont
en fait trois jours sur place et 80 %
de ses pensées. Sa vie familiale en
souffre, quand bien même les
trois enfants ont quitté le foyer.
La santé aussi. « A chaque match,
il se tord les boyaux, raconte Axel
Lablatinière. Il est bileux parce
qu’il ne faudrait pas que le beau
château s’écroule. »
D’un abord austère, Saïd Cha
bane est aussi connu pour ses
coups de gueule, qui lui ont valu le
surnom de « Mayonnaise » : ça
monte rapidement. On en a eu un
aperçu en lui rappelant le rachat,
en 2013, de l’entreprise Charcute
ries Gourmandes : l’une des deux
unités de production a été restruc
turée (neuf licenciements) trois
mois plus tard, l’autre liquidée
en 2018, avec 95 pertes d’emplois.
Racisme discret
Philippe Motais, délégué CFDT de
l’époque : « Il a pressé le citron,
sans rien investir, et la liquidation
ne lui a rien coûté. » Au téléphone,
Saïd Chabane a la voix colérique,
puis larmoyante : « C’est un drame
personnel. Je ne veux pas en parler.
Vous n’allez pas évoquer ça? »
On ne fait pas fortune dans la
charcuterie sarthoise en étant
musulman d’Alger sans un cer
tain caractère. Le père était avocat
à la Cour suprême algérienne, la
mère s’occupait de sept enfants.
Au foyer, on parle français et ka
byle ; l’algérien viendra par l’école
et la rue. Saïd Chabane entre à Po
lytechnique Alger, rejoint Paris
pour son troisième cycle à l’école
des Mines. Prélude de la décennie
noire en Algérie : il pensait venir
en France quelques mois, il y fera
sa vie. La charcuterie est le fruit
du hasard, comme le football.
Deux secteurs pour lesquels il
n’avait pas d’affinités et où aucun
patron ne s’appelle Saïd. Le ra
cisme fut le plus souvent discret,
mais ses conséquences éviden
tes. Chabane constatait que
« Charles ou David » allaient plus
vite que lui, au sortir des Mines
− il a connu six mois de chômage.
« Quand vous êtes étranger, vous
êtes obligé de vous battre trois fois
plus et vous payez vos erreurs dix
fois plus cher. Je ne me plains pas.
C’est peutêtre normal. »
L’autre président algérois de Li
gue 1, Bernard Caïazzo, l’a pris
sous son aile. Déjà viceprésident
du syndicat des clubs de L1, il a été
propulsé en 2017 au conseil d’ad
ministration de la LFP. « Il est la
preuve qu’on peut réussir sans être
issu de l’establishment, estime le
coprésident de l’AS SaintEtienne.
C’est quelqu’un de méritant, un
bosseur qui a des qualités humai
nes importantes et de simplicité. »
Les présidents de Ligue 2 lui ont
longtemps reproché d’avoir re
tourné sa veste, à l’été 2015, au su
jet de la réforme des montées
descentes, qui favorisait les clubs
de l’élite. A l’étage du dessous,
Saïd Chabane était contre. Une
fois l’ascenseur pris, il était pour.
Le président d’Angers admet « une
erreur d’inexpérience » et avoir
subi l’influence des puissants de
Ligue 1. Il dit : « Entre les clubs de
notre espèce, l’esprit de corps
n’existe pas. Il est fonction des inté
rêts du moment. »
clément guillou
Transat Jacques Vabre : galop d’essai pour des « chevaux sauvages »
Seize monocoques équipés d’ailes portantes et rétractables sont au départ de la course, dimanche. Un test avant le Vendée Globe en 2020
VOILE
E
n parodiant l’Ancien Testa
ment, la voile, ces trois der
nières années, a marché
sur l’eau, allant de découverte en
découverte, avant de voler. Enfin
presque. Tel pourrait être, à
grands traits, le résumé de ce
sport mécanique alors que sera
donné le départ, dimanche 27 oc
tobre, de la 14e édition de la Tran
sat JacquesVabre (TJV) Norman
dieLe Havre (son nom complet),
course en double en direction de
Salvador de Bahia.
Trois classes de bateaux vont
s’affronter sur 4 500 milles pour
rejoindre le Brésil : les Class40,
épatants de vitalité (27, dont
6 nouveaux bateaux), les Multi
(3) et surtout les Imoca (29), ces
monocoques de 18 mètres qui se
ront aussi au départ du prochain
Vendée Globe, en novem
bre 2020. Parmi ces derniers, on
comptera 16 foilers, bateaux équi
pés d’ailes portantes et rétracta
bles. Foil ou pas foil? La question
n’est pas restée bien longtemps
pendante. Dès lors, la révolution
fut en marche. Cela offre le ta
bleau saisissant de ces bateaux
protégés par d’imposants pare
battages cubiques garantissant
ces foils (comptez 300 000 euros
pour la paire). « Ces bateaux sont
des chevaux sauvages. Il faudra
presque un an pour apprendre à
les débourrer », expliquait, il y a
quelques jours, le skipper Thomas
Ruyant en filant la métaphore
équestre. Ruyant fait équipe avec
Antoine Koch. Son bateau, Ad
vensforCybersecurity, a été mis à
l’eau il y a un mois et il cherche
toujours des partenaires pour le
Vendée Globe, l’an prochain.
Une élasticité bluffante
Son monocoque Imoca a été des
siné par Guillaume Verdier, qui a
aussi tracé la silhouette d’Apivia,
mis, lui, à l’eau en août. Voilà ce
que disait Charlie Dalin, son skip
per, architecte, quelques jours
après une sortie en mer avec son
binôme Yann Eliès, dernier vain
queur de la TJV : « Je voulais aussi
un bateau couvert (comprendre :
avec un roof protecteur), sachant
les vitesses élevées. »
Pour donner un ordre d’idée :
3335 nœuds. Les winches sont
placés à l’intérieur du cockpit. Pas
moyen de voir le pied de mât,
puisque pas d’ouverture faciale :
« Il faudrait presque un horizon ar
tificiel », dit Dalin en souriant.
La question − à laquelle il sera ré
pondu en 2021 − a été posée par
l’architecte francoargentin Juan
Kouyoumdjian, chargé du dessin
de la carène et des foils du nouvel
ArkéaPaprec, qui prendra le dé
part amputé de son foil bâbord,
brisé net au ras de la coque lors du
convoyage au large du Havre il y a
une semaine : « Estil humaine
ment possible de voler sous pilote
avec 23 mètres de houle pendant
soixantedix jours? »
Sébastien Simon et son coskip
per Vincent Riou sont, eux, pour
l’instant dans un brouillard épais
et en proie à des questions plus
prosaïques : pourquoi cette casse
estelle arrivée alors que les condi
tions étaient maniables? Lors de
la dernière TJV, les bateaux neufs
avaient cassé ou jeté l’éponge. La
règle vaut pour cette édition, et il
serait surprenant de voir un trio
de foilers mis à l’eau récemment
constituer le podium.
Il faut apporter un bémol. Cha
ral, skippé par Jérémie Beyou et
Christopher Pratt, a été mis à l’eau
il y a un an. Dessiné par le cabinet
VPLP (Marc Van Peteghem et Vin
cent LauriotPrévost) tout comme
celui d’Hugo Boss, ce bateau a été
fiabilisé. Il se cabrait, l’étrave mon
tant à l’horizon. Toutes propor
tions gardées, sa maîtrise tenait
de la conduite en roue arrière à
moto. La chose pouvait s’entendre
pour des phases d’accélération,
mais il s’agit de bateaux conçus
pour achever un tour du monde.
Beyou et Pratt, que chacun s’ac
corde à donner comme favoris eu
égard à leur victoire dans le Fast
net, disent se garder « d’être trop
enthousiastes. Les bateaux qui se
raient susceptibles de bien mar
cher dans la TJV ne sont pas néces
sairement ceux qui vont être sur
le podium à l’issue du Vendée
Globe ». Charal, dès que le vent
monte à 1213 nœuds, grimpe... à
2225 nœuds, avec une élasticité
bluffante. Le bateau frissonne à
ces allures. On n’ose imaginer ce
que cela peut donner par
40 nœuds, toile réduite. Si ce ba
teau est né enragé, le régime
auquel il a été soumis l’a assoupli.
Il serait imprudent d’ignorer les
bateaux dits de l’ancienne géné
ration auxquels ont été « greffés »
des foils, comme PRB ou Initiati
vesCœur. Cela vaut naturelle
ment pour les foilers de 2015, fia
bilisés, comme 11thHourRacing,
un bateau lourd mais toutefois
« ultraperformant », qui sera sans
nul doute poussé jusqu’aux limi
tes physiques des redoutables
Charlie Enright et Pascal Bidé
gorry. Ou encore le puissant Maî
treCoq, emmené par Yannick
Bestaven et Roland Jourdain, une
paire de grand talent.
L’instrument suprême de la vi
tesse au long cours, le foil donc, se
situe encore à égale distance entre
le mirage et la brume. Et exige, par
les vitesses allant jusqu’à deux fois
la vitesse du vent, d’accepter une
vie à bord épouvantable, sachant
que les anciennes générations de
bateaux étaient déjà privées de
« Gagner
aujourd’hui,
c’est encore
plus accepter
l’inacceptable »
PAUL MEILHAT
skipper
Saïd
Chabane,
à Lyon,
le 19 avril.
FRÉDÉRIC
CHAMBERT/
PANORAMIC
« Quand on est
propriétaire,
on est plus
sensible aux
conséquences
de ses décisions »
SAÏD CHABANE
président du SCO Angers
tout confort. Se faire bouillir un
thé est ainsi une épreuve. Si bien
que « gagner aujourd’hui, c’est en
core plus accepter l’inacceptable »,
explique Paul Meilhat, coskipper
de Samantha Davies à bord d’Ini
tiativesCœur.
Kevin Escoffier, ancien ingé
nieur au sein du bureau d’études
de l’équipe Banque populaire,
équipier prisé sur des tours du
monde, est le skipper de PRB et Ni
colas Lunven, coskipper. Ce bi
nôme est mis en avant pour son
sens marin et sa férocité, couplée à
la vélocité d’un bateau pourtant
sorti en 2009. Et Escoffier de ren
chérir : « Avant, le portant était une
allure où l’on pouvait se reposer.
Aujourd’hui, c’est le près (vent de
face). » Pour qui a fait du « près »,
c’est souvent un très mauvais mo
ment à passer. Engagés sur un ba
teau de 2007, un bateau presque
d’un autre siècle à l’échelle de 2019,
Jean Le Cam et Nicolas Troussel,
cinq victoires du Figaro à eux
deux, tenteront à bord de Co
rumL’Epargne de remporter le
match des « dérives droites ». Les
premiers sont attendus aux envi
rons du 911 novembre.
jeanlouis le touzet