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GÉOPOLITIQUE
DIMANCHE 27 LUNDI 28 OCTOBRE 2019
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kamechliyé (syrie) envoyé spécial
A
u point de contrôle de l’en
trée ouest de Kamechliyé, le
regard s’accroche à une co
lonne de fumée noire qui
s’élève depuis un point in
connu, quelque part dans le
centreville. « Ce sont les camarades qui brû
lent des pneus », a assuré le planton en fac
tion. Depuis l’offensive turque du 9 octobre
contre les villes syriennes de Tall Abyad et
Ras AlAïn, tenues par les forces kurdes, et les
volées de tirs d’artillerie qui frappaient jus
qu’à Kamechliyé, il arrivait en effet aux « ca
marades », ainsi que se nomment entre eux
les combattants du mouvement kurde, de
brûler des pneus. Pour aveugler les drones
dans une tentative dérisoire de lutter contre
la mort tombant du ciel? Pour donner à cette
ville encore attachée à la paix, avec ses pâtis
series pleines de gâteaux au miel, les atours
plus réalistes d’une cité en guerre?
Le planton se trompait. Après quelques mi
nutes d’un trajet bringuebalant dans des rues
désertes, couvertes des slogans révolution
naires kurdes et de fresques représentant des
combattantes, une odeur différente de celle
du caoutchouc brûlé racontait une autre his
toire. C’était le 11 octobre et, parmi une foule
angoissée, filmant l’incendie grâce à une no
ria de téléphones portables, des hommes et
des femmes armés vaquaient, impuissants.
Les traits du visage tirés, mais le pas aussi as
suré que s’il s’agissait d’un jour de marché,
une cadre du mouvement kurde a lâché deux
mots : « Voiture piégée. » Un véhicule chargé
d’explosifs avait sauté, tuant cinq personnes.
Quelques heures plus tard, l’attentat était re
vendiqué par l’organisation Etat islamique
(EI). Alors que le conflit qui opposait depuis
1984 le mouvement kurde à Ankara a débordé
en Syrie, la lutte que l’on croyait gagnée par les
Forces démocratiques syriennes (FDS, à domi
nante kurde) contre l’EI montrait là des signes
dévastateurs de résurgence. Deux guerres,
l’une ancienne, l’autre récente, venaient de
s’entrechoquer après que Washington, qui
avait soutenu militairement les FDS contre
les djihadistes, avait ouvert la voie à l’armée
turque et à ses supplétifs arabes en retirant
ses forces de deux points de la frontière.
TROIS CONFLITS SUPERPOSÉS
Une troisième guerre se profile encore un
peu plus à l’est. Près d’un rondpoint sur
monté d’une statue d’Hafez AlAssad, fonda
teur de l’Etat de terreur en place en Syrie et
père du dictateur actuel, derrière les murs
aveugles du quartier sécuritaire dont le ré
gime ne s’est jamais départi malgré le retrait
de ses forces, en 2012, du reste de Kamechliyé,
Damas prépare son retour. Il s’agit peutêtre
de l’un des derniers épisodes de sa recon
quête du territoire syrien, après en avoir
perdu des pans entiers à la faveur d’une révo
lution désormais oubliée.
Trois guerres n’en font désormais plus
qu’une dans le NordEst syrien : celle de l’EI
contre le reste du monde, celle de Bachar Al
Assad contre son peuple, celle d’Ankara con
tre le mouvement kurde. L’histoire de ces
trois conflits superposés est partout inscrite
dans Kamechliyé avec, en premier chapitre,
un visage omniprésent : Abdullah Öcalan. Ce
lui que l’on surnomme « Apo », « l’oncle »,
s’affiche sur les murs des bureaux de l’admi
nistration et de la ville, sur les drapeaux, les
parebrise, les pendentifs... L’homme, lui, est
enfermé depuis plus de vingt ans sur l’île pé
nitentiaire d’Imrali, en mer de Marmara.
Öcalan est le fondateur de la matrice des
FDS : le Parti des travailleurs du Kurdistan
(PKK). Jeune étudiant d’extrême gauche, le fu
tur chef du mouvement avait greffé son édu
cation politique socialiste à la mode d’Ankara
sur un nationalisme kurde radical. Il fonda
son parti en novembre 1978, lors d’une réu
nion clandestine dans un village proche de
Diyarbakir. Son programme était simple : un
Kurdistan indépendant et socialiste ; les enne
mis désignés : l’Etat turc, les féodaux kurdes et
tous ceux qui n’adhéraient pas à sa cause.
En quelques décennies, le PKK s’est imposé
comme principal mouvement kurde du Pro
Sur les ruines
des rêves kurdes
Après quarante ans de conflit avec le peuple apatride, la Turquie
se lance dans un nouvel acte en attaquant le NordEst syrien. Le projet
politique kurde pour une plus grande autonomie commençait
à s’organiser. Mais, avec l’offensive turque, l’heure du reflux est venue,
au risque d’une résurgence de l’organisation Etat islamique
Cidessus : Soline, 15 ans, originaire
de Kamechliyé (NordEst syrien), pose
avec son luth, instrument traditionnel
kurde, le 21 octobre, au camp de réfugiés
de Bardarash (Kurdistan irakien). Elle a
fui la Syrie avec sa mère et son frère,
trois jours auparavant. Sur les quelques
photos qu’elle a emportées, on peut voir
les autres membres de sa famille restés
en Syrie. LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE »
LES FORCES
KURDES
QUI S’ILLUSTRENT
FACE À L’EI
CONSTITUENT
LE CANDIDAT
IDÉAL : ILS SONT
EXEMPTS DE
DÉRIVE ISLAMISTE
ET N’ONT PAS
L’AMBITION DE
RENVERSER LE
RÉGIME DE DAMAS