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DIMANCHE 27 LUNDI 28 OCTOBRE 2019 géopolitique| 17
LE PKK A PROSPÉRÉ
GRÂCE À LA SYRIE
D’ASSAD, SOUS UN
RÉGIME QUI NIAIT
POURTANT JUSQU’À
L’EXISTENCE
DES KURDES
SYRIENS, VICTIMES
DE CAMPAGNES
D’ARABISATION
ET TRAITÉS COMME
DES PARIAS
cheOrient, étendant ses réseaux d’Istanbul à
Bagdad, en passant par Téhéran, Moscou et
l’Europe de l’Ouest. Produit de la culture poli
tique turque, le PKK a aussi une histoire sy
rienne. Tandis que la Turquie vacillait au bord
de la guerre civile, Öcalan rejoignit clandesti
nement Damas, en juillet 1980. Juste à temps
pour échapper au coup d’Etat militaire san
glant, lancé quelques semaines plus tard par le
chef d’Etatmajor Kenan Evren. Quitter la Tur
quie, alors membre crucial de l’OTAN, revenait
à traverser le rideau de fer. A passer à l’Est. La
Syrie était alliée à l’Union soviétique, et la ca
pitale un repaire pour les opposants turcs.
NATIONALISME ARABE
A cette époque, de vieux contentieux territo
riaux hérités du mandat français opposent
les deux pays voisins, et c’est volontiers que
la Syrie accueille des gauchistes turcs, des na
tionalistes kurdes socialisants et des révolu
tionnaires arméniens en lutte pour la recon
naissance du génocide de 1915. Les recrues du
PKK ont afflué dans le pays, au travers de ces
mêmes villes frontalières aujourd’hui ciblées
par l’armée turque. A Damas puis à Beyrouth,
le parti kurde a pris langue avec les groupes
palestiniens qui leur enseignèrent la guérilla,
le culte des martyrs et le maniement des ar
mes. C’est un paradoxe : le PKK a ainsi pros
péré grâce à la Syrie d’Assad, sous un régime
qui niait pourtant jusqu’à l’existence des Kur
des syriens victimes de campagnes d’arabisa
tion et traités comme des parias par l’admi
nistration. Beaucoup s’engagèrent dans les
rangs du PKK, souvent pour mourir en Tur
quie après que le mouvement y eut lancé ses
premières opérations armées en 1984.
Des années syriennes d’Öcalan, il reste des
images ornant les bureaux des cadres des
FDS en Syrie : « Apo » tient une colombe ;
« Apo » marche en pullover à chevrons et lu
nettes de soleil ; « Apo » joue au football avec
des militants... Chef de guérilla sans expé
rience militaire, Öcalan a pensé la révolution
kurde et dirigé les opérations armées depuis
son exil damascène. Le culte de la personna
lité s’est installé, son entourage n’osait rien
lui refuser. Dans les montagnes du Kurdis
tan de Turquie et bientôt d’Irak, les années
1990 se sont écoulées, sanglantes. On tue, on
torture, on massacre. Les villages kurdes dé
vastés par l’armée turque constituent autant
de viviers de recrutement pour le mouve
ment qui tente, malgré le harcèlement judi
ciaire, de se tailler une place dans la vie élec
torale du pays.
Le PKK décrète des grèves de la faim, mani
feste et tue à son tour. Ces annéeslà sont
inscrites en rouge et or dans les slogans ré
volutionnaires et les noms des martyrs.
En 1998, la Turquie menace d’envahir la Sy
rie où Hafez vit les dernières années de son
règne : Damas doit expulser le PKK, ou les
chars turcs déferleront. « Apo » est empri
sonné, au terme d’une traque rocamboles
que qui le conduisit d’Athènes à Rome, puis
de Moscou à Nairobi où les forces spéciales
turques finirent par le cueillir. Tandis que les
combats se poursuivent en Turquie, le PKK
bascule dans la clandestinité en Syrie. Fin du
premier chapitre.
Ouvert dix ans plus tard, le deuxième cha
pitre de cette histoire a pour visage celui de
Bachar AlAssad, qui a succédé à son père
en 2000, immortalisé sur les billets de
2 000 livres syriennes, édités en 2017. De son
regard impassible imprimé à l’encre violette,
le dictateur rappelle à tous qu’à défaut d’avoir
récupéré le contrôle de l’ensemble du terri
toire il est toujours là. En 2011, les popula
tions kurdes s’étaient d’abord associées à la
révolution syrienne, bien qu’avec des réser
ves. En Syrie, le régime et la majeure partie de
ses opposants ont une chose en commun : le
nationalisme arabe. Et lorsqu’ils réclament
leurs droits, les Kurdes syriens sont considé
rés au pire comme de dangereux séparatistes
à éliminer, au mieux comme des gêneurs.
Dans la guerre menée par Bachar AlAssad
contre son peuple, cependant, les enclaves
kurdes du Nord sont perçues comme un
deuxième front potentiel qu’il vaut mieux
éviter d’ouvrir et, surtout, comme d’utiles
aiguillons contre le voisin turc, redevenu
hostile après des années d’entente.
Passé les premiers mois de la révolte, An
kara s’est en effet jeté à corps perdu dans le
soutien à l’opposition syrienne qui se met à
utiliser des villes du sud de la Turquie – Ga
ziantep, Kilis, Sanliurfa – comme bases ar
rière. Pour Assad, le temps est venu de faire
appel à une vieille connaissance : sortant de
ses bases clandestines des montagnes sépa
rant l’Irak et l’Iran, le PKK est de retour en Sy
rie. Il domine bientôt les enclaves kurdes que
le régime quitte en juillet 2012.
Le mouvement kurde n’apparaît pas alors
sous son nom véritable, mais ce sont bien des
cadres du PKK qui quadrillent les villes à ma
jorité kurde. Forts d’une base populaire cons
truite du temps d’Hafez AlAssad, dotés de
spectaculaires capacités d’organisation et
d’une force militaire unifiée, cohérente et ef
ficace, ils écartent très vite les diverses forma
tions kurdes d’opposition, pratiquant le flou
idéologique ainsi qu’un art consommé de la
division intestine.
NOUVELLE IDÉOLOGIE
Dans la région d’Afrin, autour de Kobané et
dans les steppes du « Bec de canard » syrien –
trois enclaves qui ont basculé sous son con
trôle –, le mouvement kurde fait sa révolution
dans la révolution syrienne. Dans ces territoi
res, le PKK a toute latitude pour appliquer son
programme de transformation de la société.
Depuis sa prison turque, Abdullah Öcalan a
découvert les écrits du penseur de la nouvelle
gauche américaine Murray Bookchin, dont il
s’inspire pour échafauder sa nouvelle idéolo
gie : le « confédéralisme démocratique ».
LEXIQUE
PARTI DES TRAVAILLEURS
DU KURDISTAN (PKK)
Fondé en 1978, le PKK est en
guerre contre la Turquie depuis
- Son influence s’est éten-
due à l’ensemble des régions
kurdes du Moyen-Orient, et les
idées de son chef emprisonné,
Abdullah Öcalan, sont défen-
dues par une multitude d’enti-
tés séparées, mais liées entre
elles par un corps de cadres et
formant le mouvement kurde.
PARTI DÉMOCRATIQUE
DES PEUPLES (HDP)
Le HDP est le parti politique
qui représente les intérêts
du mouvement kurde sur
la scène politique légale turque.
Classé à gauche, il revendique
une base élargie à toutes les
composantes de la population
turque même si la majorité
de son électorat est kurde.
CONSEIL DÉMOCRATIQUE
SYRIEN (CDC)
Le Conseil démocratique syrien
regroupe les formations
politiques civiles qui adhèrent
au système institutionnel
mis en place par le mouvement
kurde et ses alliés
dans le Nord-Est syrien.
UNITÉS DE PROTECTION
DU PEUPLE (YPG)
Première force armée à recrute-
ment kurde, mise en place par
les cadres du mouvement kurde
dans les régions passées sous
son contrôle dès 2011.
FORCES DÉMOCRATIQUES
SYRIENNES (FDS)
Ensemble des forces armées
placées sous le commandement
de fait du mouvement kurde.
Construites autour du noyau
des YPG, les FDS ont intégré de
nombreux combattants non
kurdes issus de groupes armés
rebelles et de milices tribales.
▶▶▶
En haut, à droite : le portrait du grand
père de Xorshid ; audessous, celui de
l’un de ses frères, exilé en Allemagne.
Cicontre : Muhammed, le père de
Xorshid, ses deux enfants, sa bellefille
et sa femme, devant leur maison,
en Syrie. Depuis 2011, ils vivent dans
le camp de réfugiés de Qustapa, à Erbil
(Kurdistan irakien), et ont pu y
construire une maison.
LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE »
Le 20 octobre, à Suhaila, près de la
frontière irakosyrienne : Xorshid
Muhammed Ali Hassan et sa famille,
originaires d’Amouda (Syrie), fuient
la Syrie pour l’Irak.
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