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L’école des fanes
Légumes et fruits figurent en tête des
aliments les plus gâchés. Mais l’heure
de la revanche a sonné pour ces rebuts
alimentaires que sont les parures
et autres pelures. Mode de réemploi
avec le chef Romain Meder
Stéphanie Noblet
L
a polysémie est source d’ambiguïté,
parfois de franche confusion, voire
d’incompréhension. Mais aussi source
d’inspiration, pourquoi pas? Prenons
le terme de parure, qui évoque au sens
propre la splendeur et l’apparat, par le
biais de vêtements, bijoux et ornements divers.
Au sens culinaire, le plus souvent au pluriel, les
parures désignent les parties écartées lors de la
préparation d’un aliment soit parce qu’elles sont
non comestibles, soit parce qu’elles sont jugées
indésirables pour l’apprêt en cours. Bien moins
clinquantes, ces parureslà se nomment aussi
rognures, pelures, épluchures et même rafraî
chissures (dans le Lexique culinaire de l’école de
gastronomie Ferrandi, éd. Hachette, 2015). Et fi
nissent la plupart du temps à la poubelle, ou,
avec un peu de chance, dans un bac à compost.
Pourtant, il y a tout lieu de redonner un
peu de noblesse et de panache à ces chutes ali
mentaires, surtout quand elles sont végétales. Au
nom de la lutte contre le gaspillage en cuisine,
d’abord – légumes et fruits figurent en tête des
aliments les plus gâchés. Mais aussi par bon sens
et souci d’économie : nous sommes de plus en
plus nombreux à faire une place croissante au vé
gétal dans nos assiettes, et à opter pour des pro
duits bio ou non traités. Autant les consommer
dans leur intégralité, en n’éliminant plus d’un
geste machinal, par habitude, méconnaissance
ou paresse, ces parures précieuses pour leurs élé
ments nutritifs et qui, pour l’essentiel, peuvent
trouver un emploi alternatif. Côtes, pelures,
feuilles, fanes, trognons et tiges, tenezvous prêts,
l’heure de la revanche a sonné : fini l’exclusion,
on va vous cuisiner aux petits oignons.
Voici qu’un chef de palace nous montre
le chemin, pour aller audelà de la soupe de fanes
de radis – la plus populaire des recettes anti
gaspi. Dans un livre qu’il présente comme une
« boîte à outils », Romain Meder partage la cui
sine d’instinct qu’il pratique au quotidien, apô
tre de la naturalité érigée en dogme au Plaza
Athénée d’Alain Ducasse, à Paris, où il officie.
Approvisionné chaque jour en légumes frais et
fringants issus du potager de la reine, au château
de Versailles, il leur réserve le meilleur usage, à
savoir le plus total. « Le respect du produit, c’est
bien sûr une intransigeance sur sa qualité, sa
source, sa saisonnalité, sa maturité, explique le
chef. Mais cela implique aussi de ne rien en gâ
cher, d’explorer toutes ses potentialités, audelà
des emplois habituels. »
Si on m’avait dit un jour que je me délecte
rais d’un bouillon fait d’épluchures de pomme de
terre... J’y aurais vu le comble du snobisme, sur
tout quand l’expérience se passe dans les cuisines
d’un restaurant triplement étoilé. Peu importe, le
résultat est enthousiasmant : les épluchures ont
mijoté tout doux en cocotte pendant près de
deux heures avec de l’eau et une garniture aroma
tique (au choix, oignon, carotte, laurier, thym,
grains de poivre, ail, poireau, gingembre). Ainsi
infusée, la saveur de la terre – que ne possède plus
la chair épluchée – se fait douce et enveloppante,
parfaite pour accueillir une julienne croquante
(de patate, logique) et une pointe iodée (dés de
hareng fumé, huître pour un jour de fête).
Même retour à la terre avec les épluchu
res de betterave, dont l’extraordinaire potentiel
à la fois gustatif et chromatique fait merveille en
infusion. Parmi les autres idées humbles et ins
pirantes de Romain Meder, retenons de ne plus
s’ennuyer à effeuiller la coriandre (les tiges ont
tout autant d’intérêt) et de ne plus jeter les paru
res de choufleur, transformées en un délicat ve
louté : revenues au beurre avec de l’oignon et de
l’ail, puis déglacées au vin blanc, elles prennent
un surcroît de texture avec du pain rassis et une
onctuosité paterne au contact du comté fondu
(le chef est franccomtois). Infuser, conserver en
bocal, fermenter, mariner, sécher, fumer, conge
ler, brûler, extraire (à l’extracteur) : Romain Me
der fait feu de tout bois pour valoriser les légu
mes dans leur entier, convaincu que le goût des
parures vient compléter celui du légume – un
jus de cosse pour assaisonner les petits pois, un
beurre de fane pour les carottes, une poudre de
feuille pour le céleri...
Pour prolonger l’expérience et prendre
de nouveaux réflexes quotidiens, rappelons le
répertoire des précieuses recettes recycletout :
soupes et bouillons ; tempuras et autres bei
gnets ; chips, boulettes, falafels ; préparations à
l’œuf (quiche, cake, omelette, frittata...) ; risotto
et pesto (pour les tiges, feuilles et fanes) ; poudres
d’aromatisation (avec les peaux de tomate ou de
courge séchées et mixées)... Succès assuré au pro
chain apéro quand vous servirez un cocktail aux
peaux de concombre ou de betterave (vodka ou
gin accepté), des chips de pluches multicolores,
des crevettes emmaillotées dans du vert de poi
reau blanchi et des tronçons de trognon de bro
coli pour faire trempette dans une salsa verde
bien relevée (herbes aromatiques en fin de vie +
ail, anchois, huile d’olive). L’antigaspi est un fa
buleux défi.
Allumez un barbecue, ou
préchauffez le four à 180 °C.
Brossez la peau de 2 bettera-
ves crapaudines, puis épluchez-
les en conservant les épluchu-
res. Placez chacune sur
une grande feuille de papier
cuisson. Badigeonnez-les
de beurre (25 g par pièce),
ajoutez 1 branche de thym (ou
genévrier, romarin...) sur
chacune, puis refermez bien
le papier. Si vous optez pour
une cuisson au barbecue,
enroulez-les ensuite dans du
papier journal bien humidifié
et placez-les dans la braise
pendant 35 minutes au four
(dans ce cas, le papier journal
est inutile), faites-les cuire
pendant 1 heure : piquez en fin
de cuisson pour vérifier que
la chair est moelleuse. Servez-
les chaudes, détaillées en mor-
ceaux, en accompagnement
d’un poisson grillé par exemple.
Placez les épluchures des bet-
teraves dans un bocal. Ajoutez
5 feuilles de menthe, un demi-
citron coupé en rondelles,
1 cuillère à café de miel et cou-
vrez avec 1 litre d’eau. Fermez
hermétiquement le bocal.
Laissez reposer de 24 heures
à 48 heures avant de filtrer et
de placer au frais. Servez cette
limonade bien fraîche, éven-
tuellement avec un glaçon.
Recettes de Romain Meder
Betterave
rôtie et
limonade
de pluches
CUISINE
CHANG-KI CHUNG POUR « LE MONDE » À LIRE
> NATURELLEMENT LIBRE
de Romain Meder,
photos de Nathalie Carnet
Ed. Alain Ducasse,
244 pages, 22,90 €
> CUISINER ZÉRO DÉCHET
de Giovanna Torrico
et Amelia Wasiliev,
photos de Deirdre Rooney
Ed. Marabout (2018),
256 pages, 15,90 €
« Deadline », ma « date limite »
Et si une appli pouvait vous dire le temps qu’il vous reste à vivre.
63 ans? 37 ans? 2 jours et 22 heures, comme Quinn, la jeune infir-
mière de Countdown (« compte à rebours »), film d’horreur de Justin
Dec? « Voudriez-vous le savoir? », demande la bande-annonce du
film, en salle le 13 novembre. « Cette appli est bidon, c’est évident »,
répond Quinn. Un chiffre aléatoire, rien de plus? Cette appli fictive
a toutefois son pendant des plus réels, Deadline. Pour connaître sa
propre « date limite », il suffit de répondre le plus honnêtement pos-
sible à des questions sur son mode de vie, afin d’obtenir en retour
l’estimation la plus juste de sa longévité : date de naissance, régime
alimentaire, fumeur ou pas, porté sur la boisson, antécédents fami-
liaux, fréquence de l’activité sportive, niveau de stress... « En restant
sur cette voie, vous pourriez atteindre les 82 ans, et même plus en
apportant quelques changements », m’a promis Deadline.
Deadline, appli en anglais, gratuite sous iOS et Android
Meurs toujours, tu m’intéresses
> La tentation est grande de connaître la date de sa mort. Lugu-
bre, mais grande. Sur le site Lejourdevotremort.com, on cède à la
tentation pour s’en délivrer (merci Oscar Wilde) à l’aide d’un for-
mulaire à remplir en quelques clics. Simple formalité administra-
tive! Date de naissance, sexe, mensurations, mais aussi le conti-
nent où l’on vit, si l’on travaille, si l’on est marié, fumeur, sportif, ou
encore la fréquence de son activité sexuelle, la qualité de son
alimentation et de son sommeil et même, allez savoir pourquoi, si
l’on va plus ou moins chez le coiffeur. Dès qu’on valide son for-
mulaire, fond noir et cercueil de circonstance en toile de fond,
une tête de mort s’affiche accompagnée du message : « Le jour
de votre mort sera le 4 septembre 2053 à 3 h 03 min 34 s. » A la
seconde près, j’aurai un peu plus de 85 ans. La tentation de ne
pas y croire est grande. Lugubre, mais grande.
Site gratuit, Lejourdevotremort.com
Centenaire? Essaie encore!
> Avant de prétendre calculer l’espérance de vie de son sujet, l’appli
Gero calcule son âge biologique. Date de naissance et sexe sont un
préambule à trois questions portant sur sa santé : s’il est fumeur,
sujet à l’hypertension et/ou au diabète et s’il a déjà eu un cancer.
L’âge biologique est alors indiqué, ainsi que l’écart avec l’âge réel
du « patient » : – 6,7 ans en ce qui me concerne. Rien d’anxiogène
jusqu’ici, les compteurs sont au beau fixe. Pour connaître son espé-
rance de vie – ici, on n’évoque pas la date de sa mort, on « positive »
- d’autres précisions sur son mode de vie (hygiène, activité...) sont à
fournir. Puis les algorithmes délivrent une courbe aux couleurs pas-
tel et une pastille dans laquelle est inscrit un « 79,6 ans », accompa-
gné d’un encourageant « mieux que 91 % des femmes de votre âge ».
Un bon « score », bien que plus pessimiste que les deux précédents.
Encore faut-il que ces « e-devins » disent vrai.
Gero : bioage et healthy habits, appli en anglais, gratuite sous iOS
T E S T É E T A P P R O U V É
Trois applis pour connaître le jour de sa mort
Marlène Duretz