Le Monde - 27.10.2019 - 28.10.2019

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Aya Nakamura au Terrass Hotel, à Paris, le 14 octobre. ÉLISA HABERER POUR « LE MONDE »

Animatrice radio bien connue des
auditeurs de France Bleu Berry, mais
aussi médium à ses heures et auteure
de livres à succès, Patricia Darré,
61 ans, a décidé, en début d’année, de
se présenter aux élections municipales
de mars 2020 à La Châtre (Indre).
C’était au sortir d’une conférence sur
le paranormal, organisée dans cette
sous-préfecture qu’elle connaît bien
pour y être née : des badauds lui
avaient alors suggéré de lancer sa
candidature, persuadés qu’elle ferait
un bon maire. Patricia Darré est ren-
trée chez elle avec cette idée en tête,
avant de la laisser mûrir. L’évidence a
fini peu à peu par s’imposer à elle. « Je
ne sais pas pourquoi, mais il faut que
j’y aille, il le faut, assène-t-elle aujour-
d’hui. C’est une sensation extrême-
ment forte qui dépasse la raison et qui
n’est pas liée à l’ego ; un passage
obligé auquel je ne peux échapper. »
Que l’électeur du bas Berry se
rassure : la candidate non encartée,
mais « centriste sociale », comme elle se
définit, n’entend pas axer sa campagne
sur ses capacités extralucides, comme
le dialogue avec les morts ou la chasse
aux mauvais esprits. Son programme
est plus terre à terre, et brasse large.
Pour La Châtre, Patricia Darré projette
ainsi de végétaliser certains quartiers,
d’installer des bancs publics, de favori-
ser les circuits courts pour les cantines
des établissements scolaires ou encore
de rouvrir le musée et les boutiques
abandonnées du centre-ville.
Grâce à son carnet d’adresses,
elle ambitionne aussi de créer, sur les
bords de l’Indre, des annexes d’écoles
de théâtre et de danse basées à Lyon et
Paris. Habituée aux plateaux télé, Patri-
cia Darré « connaît du monde », comme
le confirme la liste des artistes qu’elle
parvient à programmer, en échange de
faibles cachets, à la salle des fêtes de
La Châtre, via une association qu’elle
préside : Chantal Goya, Anny Duperey,
Lio (ce dimanche 27 octobre)...
Mais le grand dessein de l’au-
teure d’Il y a quelqu’un dans la maison
(Michel Lafon, 2018), son dernier livre,
consacré aux lieux hantés, est de « ré-
humaniser » une population qui se se-
rait repliée sur elle-même ces dernières
années. Son don paranormal – décou-
vert en 1995, après la naissance de son
fils, lorsqu’une « voix » lui a demandé
d’écrire un texte en pleine nuit – pour-
rait lui être d’un grand secours en la
matière, dit-elle encore : « Cette acti-
vité médiumnique me procure une ca-
pacité d’écoute et d’empathie dans la
vie de tous les jours qui me permet
d’“entendre” ce que les gens n’osent
pas dire, notamment leurs souffrances.
Or, c’est bien là la vocation d’un maire
que d’écouter les habitants de sa ville
pour comprendre leurs problèmes. »
Devenir la première femme à
diriger l’hôtel de ville de La Châtre – ce
« fief gardé par les hommes, en vertu
d’une loi salique consistant à présenter
des poulains d’une élection à l’autre »,
maugrée-t-elle – passera probable-
ment par une campagne sans merci.
Patricia Darré s’attend à « prendre des
baffes », mais elle n’a pas peur :
« Quand on a fait Ruquier, on peut tout
accepter. » Elle sait qu’en ville, certains
se moquent allègrement de sa « can-
didature people », quand d’autres la
traitent carrément de « sorcière », en
référence à la tradition de magie noire
cultivée dans ce coin du Berry.
Dans ses communications avec
l’au-delà, Patricia Darré a échangé
avec un certain nombre de personna-
ges historiques, ces dernières années,
comme Napoléon (qui lui a assuré qu’il
n’était pas enterré aux Invalides) ou
Jeanne d’Arc (qui lui a confié qu’elle
n’était pas la sainte que nous pen-
sons). Pas George Sand, son idole, qui
a pourtant fini sa vie à Nohant, à quel-
ques kilomètres de là. « Je pense à elle
tous les jours. Elle aussi aurait aimé de-
venir maire de La Châtre. Si je suis élue,
je lui dédierai ma victoire. »

P E N D A N T C E T E M P S - L À ...
À L A C H Â T R E

Une commune


taille médium


Frédéric Potet

UN APÉRO AVEC...


AYA NAKAMURA


Chaque semaine, « L’Epoque » paie son coup. Ou presque. La chanteuse de
24 ans, qui sort une nouvelle édition de son album Nakamura, n’a rien commandé

« Comment tu veux que


je sorte en mode bazardée? »


Mustapha Kessous


Sa musique est raillée par une partie de la presse, qui, un
peu larguée, argue qu’elle ne comprend rien aux paroles.
Comme en mai, sur le plateau de « C à vous » (France 5) où
des chroniqueurs lui ont demandé d’expliquer des passages
de ses chansons. Jusqu’à la mettre mal à l’aise. « Elle est telle­
ment gênante cette interview, je ne la regarde même pas, j’ai
envie de la supprimer, soupire­t­elle. On a aussi cherché à me
faire entrer dans un débat sur le racisme en France que je ne
voulais pas. On voulait que je me plaigne de ma situation : j’ai
aucun souci à être renoi. On n’était pas des bourgeois mais,
Dieu merci, ma mère nous a très bien éduqués, mon frère,
mes trois sœurs et moi. Je ne suis pas du genre à pleurnicher
sur mon quartier, je le kiffe, j’y vais souvent. » Elle a gardé ses
copines de la cité. Cette addict de Twitter et de Netflix ne
malmène en rien la langue française : elle chante avec son
temps, mélange d’argots et d’expressions de la rue.
Aya Nakamura ne veut pas se laisser piéger par une
étiquette. Elle tient trop à sa liberté et à son indépendance
d’esprit et artistique. « Laissez­moi tranquille, j’ai juste envie
de faire ma musique et rester dans mon coin », clame­t­elle.
Elle dit avoir « deux faces » dans sa personnalité : Aya, la fille
calme et réservée, et Nakamura, qui lui dit : « Vas­y, t’es ma­
lade, on y va. » Elle assume ce qu’elle est, c’est ce qu’il ressort
de sa musique. « Qui m’aime me suive, souligne­t­elle. Je ne
vais pas m’apitoyer sur mon sort, être le miskine [« pauvre »
en arabe]. Comme si la banlieue, c’était la misère. Elle te freine
mais elle ne t’empêche pas d’accéder à tes rêves. La banlieue
te donne cette rage de vaincre et encore plus la dalle. »
Alors, il ne faudrait pas s’aventurer à la moquer.
Voilà pourquoi elle n’est pas fan de l’humour façon
« Comedy Club ». « La plupart des humoristes renois français
se mettent en avant en descendant les sœurs renois. Au final,
ils se rendent ridicules et alimentent des clichés qui existent
depuis tant d’années », tance la chanteuse. Elle se souvient
d’un sketch où un jeune comique compare deux relations
qu’il a eues, l’une avec « une Blanche », l’autre avec
« Coumba ». « L’une est une princesse, l’autre une caillera
[« racaille »] de ouf. Ce genre de personnes masculinisent les
femmes renois, alors qu’on est comme toutes les autres. C’est
horrible! », regrette­t­elle.
En près d’une heure, Aya Nakamura a à peine touché
à son jus d’ananas. La jeune maman d’une petite fille attend
la sortie (le 25 octobre) de la nouvelle édition de son album
Nakamura avec cinq titres inédits. Et prépare sa tournée des
Zénith en France, qui commence le 24 novembre à Lille.
Dans ses concerts, son public connaît par cœur ses textes
qui racontent sa vie. « C’est lourd de ouf! » Nakamura est son
nom d’artiste, emprunté à l’un des personnages de la série
Heroes qui a la faculté de voyager dans le temps. Et si elle
avait ce pouvoir? « J’irais dans le futur voir ce que je suis de­
venue. J’irais le plus loin possible, car si c’est trop proche, tu
peux changer le destin. Comme dans Retour vers le futur,
genre après tu commences à disparaître. C’est chaud! », rigole­
t­ elle. Et dans vingt ans, où s’imagine­t­elle? « Dans une
maison au calme avec pleins d’enfants. La belle vie. »

ajustée à logos imprimés, cheveux lissés, ongles pailletés.
Qui, en effet, peut encore rivaliser avec Aya Nakamura? La
chanteuse est « hors game », comme elle se décrit dans son
tube Pookie, d’une autre dimension. L’artiste ne veut rien
commander : elle se contentera du jus d’ananas entamé
lors de son précédent rendez­vous. C’est un apéro qui ne
coûtera pas cher au journal... Il est presque 17 heures. Elle a
donné rendez­vous au septième étage du Terrass, un hôtel
du 18e arrondissement de Paris, non loin de la place Clichy.
Chic et facile d’accès, à l’image du rooftop panoramique de
l’établissement qui surplombe la capitale et ses plus presti­
gieux monuments, Aya Nakamura domine avec insolence
les classements musicaux.
A 24 ans, elle a été, en 2018, l’artiste francophone la
plus « streamée » au monde. Pookie, Djadja, Copines ont été
« vus » des centaines de millions de fois sur YouTube ; ses
chansons sont écoutées avec autant de frénésie sur les pla­
tes­formes Spotify ou Deezer. Aux Pays­Bas, Djadja (sorti en
avril 2018) est resté plusieurs semaines au top des ventes,
une première depuis une certaine... Edith Piaf. Au journal, de
nombreux confrères voulaient la rencontrer à ma place.
« C’est pas vraaaai, tu vas la voir? Embrasse­la de ma part! »
Probablement l’effet Aya Nakamura : il y a quelque chose
d’addictif dans sa musique pop aux sonorités d’Afrique de
l’Ouest. Ses mélodies groovy ont un côté envoûtant qui in­
vite au déhanchement. De Rihanna à Iker Casillas, l’ancien
gardien du Real Madrid, en passant par des millions d’ano­
nymes de tout âge, tout le monde se trémousse sur l’un de
ses sons magnétiques. « En vrai, je ne pourrais pas l’expliquer.
Peut­être que tous ces gens kiffent ma voix », sourit­elle.
Parler avec Aya Nakamura, c’est comme retrouver
une petite sœur qui vous rappelle à quel point vous avez
vieilli. « C’est la vie, c’est comme ça frère », vanne­t­elle. Pen­
dant près d’une heure, beaucoup de barres de rire. Elle ne se
prend pas au sérieux, tutoie instantanément et répond faci­
lement et avec une franchise déroutante aux questions. Elle
semble avoir apprivoisé ce succès fulgurant, pris conscience
que son image lui échappe et qu’il lui est désormais plus
compliqué d’aller faire ses courses « en mode claquettes jog­
ging ». « J’ai habitué les gens à me voir tout le temps maquillée
et coiffée. Comment tu veux que je sorte en mode bazardée? Je
suis une fille hypersimple, hyper je­m’en­foutiste », lance­t­elle.
La jeune génération se reconnaît en cette fille née à
Bamako et qui a grandi à Aulnay­sous­Bois (Seine­Saint­
Denis). Déterminée, Aya Danioko (son véritable nom) a tou­
jours su qu’elle voulait être sur scène. Sa mère n’est certaine­
ment pas étrangère à sa vocation, elle qui l’a biberonnée à ses
chants de griots. Aya Nakamura a poussé en regardant des
films comme High School Musical ou des feuilletons tels que
Le Destin de Lisa, tout en écoutant Ado FM. « Je chantais à tue­
tête et tout le temps, je saoulais tout le monde chez moi! »
Elle a grandi sans modèle : les actrices ou chanteuses
françaises « renois » comme elle dit (noires en verlan) ne
couraient pas les écrans plats. C’est encore le cas aujourd’hui.
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