Le Monde - 27.10.2019 - 28.10.2019

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DIMANCHE 27 ­ LUNDI 28 OCTOBRE 2019 planète | 5

New Delhi suffoque


à l’approche de Diwali


La capitale indienne cumule les pollutions
des transports, de l’industrie et des brûlis

new delhi ­ correspondante

L’


hiver n’est pas encore de
retour, mais New Delhi a
replongé dans l’enfer de la
pollution. Une odeur de carbone,
et un air malsain, chargé de par­
ticules fines dangereuses pour la
santé, empoisonnent l’atmos­
phère. Vendredi 25 octobre, la
concentration en particules PM 2,
(de diamètre inférieur à 2,5 micro­
mètres) a atteint 388 microgram­
mes par mètre cube d’air, quinze
fois plus que les recommanda­
tions de l’OMS (25 μg/m^3 ).
Et le pire est à venir. La capitale
indienne, l’une des plus polluées
du monde, devrait vivre diman­
che un pic, avec Diwali, la fête des
Lumières, quand les hindous vont
allumer des millions de bougies et
lancer autant de pétards. Les an­
nées précédentes, les lendemains
de cette fête très prisée étaient ac­
compagnés de concentrations de
PM 2,5 dépassant les 1 000 μg/m^3.
Le chef du gouvernement du terri­
toire de Delhi, Arvind Kejriwal,
avait assimilé la mégalopole à
« une chambre à gaz ».

Trois mille incendies
Depuis le 16 octobre, les indices de
contrôle de la qualité de l’air sont
mauvais ou très mauvais. Les ha­
bitants portent des masques, les
yeux sont rougis, les gorges sont
irritées. Les ménages les plus
aisés font tourner les purifica­
teurs d’air à l’intérieur des habita­
tions. Ceux qui n’en ont pas les
moyens respirent un air vicié. Car,
la nuit, la pollution augmente. Les
vieux camions diesel interdits
dans la journée prennent la route
la nuit tombée. Le petit matin est
souvent le moment de la journée
le plus chargé en particules.
Aux polluants générés par les
transports, la construction et les
démolitions d’immeubles, l’inci­
nération de déchets et l’activité in­
dustrielle viennent s’ajouter les
fumées agricoles. Comme chaque
année, en octobre, la récolte du riz
terminée, les paysans des Etats

voisins du Pendjab et de l’Haryana
brûlent les résidus de culture. Des
images satellites de la NASA ont
montré, contrairement aux affir­
mations des autorités, que le nom­
bre d’incendies – 3000 depuis sep­
tembre – est quasi équivalent à ce­
lui sur la même période en 2018.
Le plan lancé par le gouverne­
ment pour limiter les brûlis et fi­
nancer l’achat de machines à dé­
fricher a eu peu d’effet. Les sub­
ventions ne sont pas arrivées et
trop peu de machines sont dispo­
nibles. Les paysans expliquent
qu’ils disposent d’un court délai
entre les récoltes et les nouvelles
semailles et qu’ils sont trop endet­
tés pour supporter des charges
supplémentaires. Alors ils brûlent
la paille de leurs parcelles et les fu­
mées se rabattent sur la capitale.
La pollution précoce est aussi gé­
nérée par un trafic automobile dé­
cuplé avec les préparatifs de
Diwali. Depuis deux semaines, les
Indiens se ruent dans les bouti­
ques et les marchés pour acheter
poteries, décorations, présents et
pétards. La ville de 20 millions
d’habitants est congestionnée par
un flot ininterrompu de voitures.
Les autorités ont pris quelques
mesures. Depuis le 15 octobre, les
générateurs diesel ont été mis à
l’arrêt dans la région. Le gouverne­
ment promeut des pétards
« verts » moins nocifs. D’autres
dispositions devraient suivre. Les
écoliers devraient recevoir des
masques, et la circulation alternée
sera mise en place du 4 au 15 no­
vembre. Instaurée en janvier 2016,
la mesure a été inefficace jusqu’ici,
notamment en raison de très
nombreuses exemptions.
Avec l’arrivée du froid début no­
vembre, la situation va encore se
détériorer. Les polluants seront
plaqués au sol. Dans la ville, beau­
coup d’habitants vont allumer des
feux dans la rue pour se réchauf­
fer, contribuant à saturer un peu
plus l’atmosphère. La pollution de
l’air est responsable de 1,2 million
de morts prématurées en Inde.
sophie landrin

Lubrizol : des défaillances dans


le dispositif anti­incendie


Douches déclenchées trop tôt, manque d’émulseurs... Les mesures


de protection de l’usine rouennaise contre le feu comportaient des failles


U


n mois après l’in­
cendie qui a ravagé
l’usine chimique Lu­
brizol et l’entreprise
mitoyenne Normandie Logisti­
que, le 26 septembre, le nuage de
fumée noire s’est dissipé au­des­
sus de Rouen, mais pas les interro­
gations. Comment un feu d’une
telle ampleur a­t­il pu se déclarer
sur un site classé Seveso seuil haut
(censé bénéficier d’une sur­
veillance renforcée), deux ans
après une inspection estimant le
risque d’un incendie à « au maxi­
mum une fois tous les 10 000 ans »?
Confiée au pôle de santé publi­
que du parquet de Paris, l’enquête
préliminaire n’a pas encore per­
mis de dissiper les doutes. Pas
plus que les premières auditions
de la mission d’information et de
la commission d’enquête parle­
mentaires mise en place après
l’accident. Même l’origine de l’in­
cendie reste indéterminée, les
dirigeants de Lubrizol et de Nor­
mandie Logistique se renvoyant
la responsabilité. Les éléments
et témoignages rassemblés par
Le Monde font toutefois apparaî­
tre de nombreuses failles dans le
dispositif anti­incendie déployé
autour de Lubrizol et une certaine
sous­évaluation du risque.
A 2 h 39, jeudi 26 septembre,
quand les pompiers sont préve­
nus du départ d’un incendie, à
l’autre bout du fil, ce n’est pas un
salarié de Lubrizol, mais de Tria­
dis, un autre site Seveso de la
zone, qui donne l’alerte. Le gar­
dien de Lubrizol, lui, n’a pas en­
core mesuré ce qui se trame dans
son usine, malgré le déclenche­
ment de l’alarme. Et à 2 h 52, lors­
que les premiers engins d’inter­
vention arrivent, les pompiers
sont étonnés par l’ampleur de
l’incendie. Ils font face à un feu
violent qui se propage très rapi­
dement dans l’entrepôt A5, avec
des fûts qui commencent à ex­
ploser les uns après les autres
et des vagues d’hydrocarbures
qui s’enflamment.
Devant les députés, le colonel
Jean­Yves Lagalle, directeur du
service départemental d’incen­
die et de secours (SDIS) de Seine­
Maritime, a dû convoquer des
métaphores pour dépeindre la si­
tuation : des « coulées de lave »
dans « un immense chaudron »
qui obligent ses hommes à « trois
replis successifs ».

En arrivant sur zone, les soldats
du feu découvrent que la réserve
incendie de Lubrizol (2 000 mè­
tres cubes d’eau) est déjà bien en­
tamée. Similaires à des douches,
les « sprinklers » – des extinc­
teurs fixés au plafond qui fonc­
tionnent de manière automati­
que dès qu’ils détectent une cha­
leur excessive – se sont déclen­
chés trop tôt. Installés dans
l’entrepôt A5, où étaient stockées
plus de 5 000 tonnes de produits
combustibles dans des centaines
de fûts, ils étaient censés proté­
ger le site contre le risque d’in­
cendie. Mais ils se sont activés
avant même la propagation des
flammes dans le bâtiment.

Quantités insuffisantes
Ces dispositifs sont efficaces
pour un feu naissant et non pour
un feu violent, a détaillé le colo­
nel Lagalle, mercredi 23 octobre,
devant les députés. Autrement
dit, s’ils n’ont pas été opération­
nels, c’est que le feu s’est déclaré
de manière violente, « à l’exté­
rieur », avant de gagner le bâti­
ment, comme l’ont constaté les
pompiers lorsqu’ils sont arrivés
sur le site. « A l’extérieur » de l’en­
trepôt ne signifie pas forcément
à l’extérieur du site de Lubrizol,
précise au Monde, prudent, le di­
recteur du SDIS 76. Le système de
« sprinklers » était­il adapté pour
un tel entrepôt, où des substan­
ces potentiellement cancérogè­
nes, mutagènes ou toxiques
pour la reproduction étaient
confinées? « C’est à Lubrizol de
répondre », botte en touche le co­
lonel Lagalle.
Lors de son audition par les par­
lementaires, mardi 22 octobre,
le PDG de la firme américaine,
Eric Schnur, a soutenu que
les « sprinklers » avaient « fonc­
tionné comme prévu », qu’ils
avaient « protégé le bâtiment pen­
dant des heures », mais que l’am­
pleur de l’incendie avait « dépassé
leurs capacités ». Il a également
fait cet aveu : « Notre système de
protection incendie est prévu pour
un feu qui vient de l’intérieur, mais
pas de l’extérieur. »
Une assertion qui fait bondir
Gabriel Ullmann. L’expert auprès
des tribunaux et ancien membre
du Conseil supérieur des installa­
tions classées a inspecté Lubrizol
dans les années 1990 : « C’est
une obligation légale pour un site
Seveso comme Lubrizol de prévoir
l’effet domino de tout incendie,
qu’il vienne de l’intérieur ou
de l’extérieur. »
Lors de son audition, M. Schnur
a également assuré que le risque
de départ d’un incendie dans
la zone de stockage et d’enfû­
tage (l’entrepôt A5) était « très fai­
ble » en comparaison avec le site
de production (qui n’a pas été
touché par l’incendie). Pour
l’expert Gabriel Ullmann, cette
zone comporte au contraire un
risque fort d’incendie, d’autant
que l’enfûtage nécessite des ma­
nipulations. Lors de l’interven­

tion, les pompiers n’ont pas seu­
lement manqué d’eau – il a fallu
aller en chercher sur la voie publi­
que puis pomper dans la Seine,
une fois les réserves des trois
« poteaux » de Lubrizol épuisées,
vers 4 h 15 du matin. Les émul­
seurs – une solution aqueuse
moussante – leur ont aussi fait
défaut, non plus cette fois pour
défendre les bâtiments contre
les avancées du feu, mais pour
l’attaquer. Car on n’éteint pas un
feu d’hydrocarbures seulement
avec de l’eau, mais aussi avec
la mousse produite à partir des­
dits émulseurs.
Face à l’ampleur du feu (3 ha
d’hydrocarbures qui brûlent à
Lubrizol ainsi que 7 000 m^2 de
hangars qui partent en fumée du
côté de Normandie Logistique),

les quantités d’émulseurs en ré­
serve chez Lubrizol ne sont pas
suffisantes. Il faut en faire ve­
nir des sites Seveso voisins, mais
aussi de la raffinerie Total
de Gronfreville­l’Orcher, près
du Havre, et d’autres entreprises
de l’Oise ou de Seine­et­Marne.

« Avec les moyens du bord »
Une fois tous ces moyens réunis,
vers 11 heures, le feu a été éteint
en une demi­heure. Aussi, cer­
tains pompiers, « fiers » de ce
qu’ils ont accompli « avec les
moyens du bord », estiment que
le feu aurait pu être maîtrisé plus
rapidement sans tous ces aléas.
Le colonel Lagalle, lui, veut « posi­
tiver ». « On a éteint en qua­
tre heures un feu qui aurait pu
durer trois jours, estime le direc­
teur du SDIS 76. Normalement,
un feu d’hydrocarbures de plus
de 5 000 m^2 , c’est quasiment mis­
sion impossible. »
Le chef des pompiers de Seine­
et­Marne salue le réflexe des em­
ployés de Lubrizol, qui ont « mis à
l’abri » le pentasulfure de phos­
phore. Si ce produit aussi inflam­
mable que toxique avait brûlé, ex­
plique le colonel Lagalle, « on
avait un drame ».
stéphane mandard

« C’est une
obligation légale
pour un site
Seveso comme
Lubrizol
de prévoir l’effet
domino de tout
incendie »
GABRIEL ULLMANN
expert auprès des tribunaux

L’Etat annonce une enquête « de santé »
L’agence Santé publique France (SpF) a annoncé, vendredi 25 oc-
tobre, qu’une enquête « de santé déclarée de population générale »
serait effectuée en mars 2020 dans 215 communes qui se sont re-
trouvées sous le panache de fumée de l’incendie du 26 septembre.
L’objectif est de « mesurer les nuisances (...) vécues par les person-
nes exposées, les symptômes ressentis, l’impact sur la qualité de vie,
les relations sociales, familiales, professionnelles et les conséquen-
ces psychosociales et la santé perçue », a précisé Anne Laporte, di-
rectrice des régions de SpF. En revanche, les autorités ne lancent
pas pour le moment d’enquête de biosurveillance (avec des prélè-
vements sanguins ou d’urines), dans l’attente de résultats d’exper-
tise environnementale. Pour l’eurodéputé EELV rouennais David
Cormand, « c’est scandaleux. Le temps perdu avant de lancer éven-
tuellement une enquête sérieuse aura pour effet qu’on ne saura pas
à quoi ont été exposées les populations ».

P E S T I C I D E S
La justice administrative
annule l’arrêté du maire
de Langouët
L’arrêté antipesticides pris
au mois de mai par le maire
de Langouët (Ille­et­Vilaine),
Daniel Cueff, a été annulé ven­
dredi 25 octobre par le tribunal
administratif de Rennes. La
préfecture, à l’origine de cette
demande d’annulation, avait
déjà obtenu, le 27 août, la sus­
pension de l’arrêté en référé,
au motif qu’un maire n’a pas
le pouvoir de prendre un ar­

rêté en matière de réglemen­
tation des pesticides. – (AFP.)

R E CT I F I C AT I F
Les transmons ont été inven­
tés en 2007 à l’université de
Yale, et non dans les années
1980, comme nous l’indi­
quions dans l’article « Entre­
prises, start­up, Etats... la
ruée vers le calcul quanti­
que », paru dans Le Monde
daté du 24 octobre. En 1985,
c’est le premier circuit supra­
conducteur quantique qui a
été mis au point.

« On a éteint
en quatre heures
un feu qui aurait
pu durer
trois jours »
JEAN-YVES LAGALLE
service départemental
d’incendie et de secours 76
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