Libération - 22.10.2019

(Michael S) #1

Monde


La présidente des Verts, Regula Rytz (de face), lors de l’annonce des résultats (13,2% pour son parti), dimanche. Photo FABRICE COFFRINI. AFP

Suisse : aux élections fédérales,


les Verts dédoublent la mise


Les deux partis
écolos, l’un de
gauche et l’autre
de droite, ont
largement battu
dimanche leur score
du précédent
scrutin. S’ils se
mettent d’accord
sur un candidat
commun, ils
pourraient entrer
au Conseil fédéral.

L


a Suisse s’attendait à
une percée verte aux
élections fédérales de
dimanche. Elle s’est retrou-
vée face à une véritable va-
gue, dont l’ampleur a surpris
jusqu’aux responsables éco-

avant de vouloir sauver la
planète, c’est de sauver la sou-
veraineté suisse», déclarait
dimanche le sénateur UDC
Oskar Freysinger. Son parti,
qui met en doute la réalité du
changement climatique, a
décrié pendant toute la cam-
pagne «l’hystérie climatique»
dont feraient preuve ses ad-
versaires en se concentrant
sur les sujets environnemen-
taux.
Depuis le début de l’année,
pourtant, les marches ci-
toyennes pour le climat dé-
ferlent en Suisse. Le 28 sep-
tembre, pour la dernière en
date, près de 100 000 per-
sonnes se sont réunies à
Berne, une ville qui compte
à peine plus de 130 000 habi-
tants. La veille, les jeunes
avaient défilé au cours d’une
nouvelle grève scolaire pour
le climat, des mobilisations

particulièrement suivies en
Suisse. Et cet été, une mar-
che funèbre en montagne a
eu lieu près de la frontière
avec l’Autriche, pour com-
mémorer la disparition du
glacier du Pizol, victime du
dérèglement climatique.
Rangés sous la même éti-
quette écologiste, les Verts et
les Verts libéraux sont toute-
fois loin d’être des alliés évi-
dents. Les premiers sont une
formation écologiste classi-
que, née dans les années 80.
«Socialement et économique-
ment, c’est un parti de gau-
che, dont le programme est
aujourd’hui proche de celui
des socialistes. Ces derniers
ont même intégré les reven­-
dications environnementales
et d’égalité portées par les
Verts», explique Pascal Scia-
rini. A l’inverse, les Verts li-
béraux, fondés en 2007, sont

Par
Nelly DIdelot

cratique du centre (UDC) qui
continue à dominer la vie po-
litique suisse.

«Revendications». Alors
qu’en 2015 la question de
l’immigration avait large-
ment dominé la campagne,
le changement climatique
est devenu la préoccupation
m a j e u re d e s
Suisses. D’après
un sondage réa-
lisé juste avant le
vote, 27 % d’entre eux consi-
déraient même que cela se-
rait le sujet déterminant de
l’élection, devant les primes
d’assurance maladie et l’im-
migration. Ce basculement a
été particulièrement préju­-
diciable à l’UDC, en recul
de 5 points par rapport à 2015,
à 25,6 %. «On savait qu’on al-
lait perdre des plumes, mais
pour nous le sujet essentiel,

logistes. Arrivés en qua-
trième position, les Verts ont
remporté 13,2 % des voix, soit
près de deux fois le score réa-
lisé en 2015 lors des précé-
dentes élections à la Cham-
bre basse. L’autre formation
écologiste – les Verts libé-
raux – a, elle, remporté
7,8 % des suffrages, soit
3,5 points de
plus qu’en 2015.
«A l’é c h e l l e
suisse, ce sont
des progressions spectaculai-
res et même historiques»,
pointe Pascal Sciarini, pro-
fesseur de science politique
à l’université de Genève. Les
deux partis écologistes sont
les seuls à voir leurs résultats
augmenter, alors que les so-
cialistes et les libéraux-radi-
caux (droite) sont en repli,
comme la droite ­populiste et
xénophobe de l’Union démo-

L'histoire
du jour

plutôt classés à droite. «Un
parti écologiste pas engagé à
gauche, c’est presque unique
en Europe, en tout cas si l’on
parle de mouvements capa-
bles d’avoir des élus au niveau
national. Contrairement aux
Verts classiques, ils veulent
s’appuyer sur les entreprises
plutôt que sur l’Etat pour
­aller vers une société plus
­respectueuse de l’environne-
ment», relève Daniel Boy, di-
recteur de recherche émérite
au Cevipof et spécialiste des
mouvements écologistes.

Divergences. Malgré cette
spécificité locale, les bons ré-
sultats des Verts s’inscrivent
dans une dynamique régio-
nale. Chez le voisin autri-
chien, les écologistes ont
remporté en septembre près
de 14 % des voix aux élec-
tions législatives, contre à
peine 4 % en 2017. En Alle-
magne, les Verts dépassent
désormais les sociaux-démo-
crates dans la plupart des
sondages. «En mai, pour les
élections européennes, dans
les pays où un parti écologiste
existe, on a relevé une aug-
mentation de 4 points en
moyenne des votes pour les
Verts. Ce scrutin en Suisse
vient confirmer qu’il se passe
vraiment quelque chose en
Europe sur ces sujets», pour-
suit Daniel Boy.
En dépit de leurs divergen-
ces, les deux formations
­vertes ont annoncé qu’elles
tenteraient de présenter un
candidat commun pour le
Conseil fédéral, l’organe exé-
cutif composé de sept mem-
bres élus par les deux assem-
blées. Depuis 1959, les quatre
mêmes partis se partagent
ces sièges selon une règle
­informelle : les trois plus im-
portants prennent deux siè-
ges chacun et le dernier est
laissé au quatrième. Les
Verts, qui auront désormais
plus de députés à la Chambre
basse que les démocrates-
chrétiens, pourraient donc y
prétendre.
«Cela ne sera pas simple.
Ils vont se heurter à l’oppo­-
sition de la Chambre haute,
encore dominée par les
grands partis grâce à un
mode de scrutin qui les favo-
rise, pointe Pascal Sciarini.
Il est aussi d’usage en Suisse
d’attendre au moins un man-
dat avant d’octroyer un siège
au Conseil fédéral à un parti
nouveau venu dans ce club
des quatre.»•

12 u Libération Mardi^22 Octobre 2019

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