Libération - 22.10.2019

(Michael S) #1
Castaner. Et le fait d’avoir une reli-
gion ne vous empêche pas de faire de
la politique, y compris à des élec-
tions municipales.» Il n’empêche, le
procès en communautarisme est
lancé, y compris par des ministres.
Juste après les européennes, Gérald
Darmanin, ancien maire de Rou-
baix devenu ministre du Budget, al-
lait jusqu’à évoquer un «programme
contraire à la République».
Dette, fraude fiscale, délinquance,
code du travail, écologie, moralisa-
tion de la vie publique : le pro-
gramme de l’UDMF égrène pour-
tant les sujets habituels pour des
municipales. On y trouve toutefois
quelques références à l’islam : pro-
motion de la «finance islamique»,
qui bénéficie déjà d’aménagements
fiscaux, développement du marché
halal, de l’enseignement de l’arabe
à l’école ou encore lutte contre l’is-
lamophobie en Europe et fin du blo-
cus de Gaza. «On ne s’interdit aucun
sujet, explique Karima (1), candi-
date dans le Val-de-Marne. C’est ré-
ducteur de nous limiter à ces reven-
dications, mais pourquoi le mot
“musulman” nous empêcherait d’en
parler ?» Le mot «musulman», jus-
tement, est considéré par l’UDMF,
qui se classe au centre ­gauche,
comme une revendication ­politique
et non l’expression d’une confes-
sion. «C’est important car on nous
reproche souvent de ne pas être assez
impliqués, explique M., candidat à
Guyancourt. On est musulmans,
mais on est français, on peut appor-

ter quelque chose à la France. C’est
ça qu’on montre avec le nom du
parti.» Azergui assure d’ailleurs que
l’association des mots «musulmans»
et «démocrates» irriterait les tenants
d’un islam politique.
Parmi la dizaine de candidats inter-
rogés par Libé, aucun n’aborde la re-
ligion dans son aspect confession-
nel. «On n’est pas là pour instaurer
la charia en France», plaisante l’un
d’eux. Aspirants maires, ils parlent
insécurité, choix budgétaires, déve-
loppement d’une zone commerciale
ou encore installation d’un visio-
phone devant une école. Zéro men-
tion d’une introduction du halal
dans les cantines. «Il y a déjà des me-
nus sans porc, si ça se passe bien
comme ça, pas besoin de changer»,
justifie Fabrice, candidat à Châtelle-
rault. Doctorant travaillant sur les
évolutions géopolitiques de la Seine-
Saint-Denis, Wilfried Serisier a suivi
le parti dès 2014. Pour lui, l’UDMF
n’est pas un parti religieux : «L’idée
d’un projet politique religieux est une
représentation utilisée comme une
arme contre l’intégration, mais ça
n’existe pas en France. La vraie ques-
tion, c’est l’expression de toutes les
composantes de la ­société française.»

«élu fantôme»
Le sujet de la représentativité en po-
litique est omniprésent dans le dis-
cours des candidats. Nombreux sont
ceux qui, passés par les partis tradi-
tionnels, ont été déçus. «Beaucoup
de personnes parlent en notre nom,

«C


omme dans Soumis-
sion», soit le récit de
l’arrivée au pouvoir d’un
homme issu d’un parti musulman.
Nous ne sommes pas en 2022, le
scrutin présidentiel est encore loin,
mais certains n’hésitent pas convo-
quer Michel Houellebecq quand ils
évoquent les «listes communauta-
ristes» en vue des municipales. De-
puis quelques semaines, des res-
ponsables politiques de la majorité
et de l’opposition de droite ont mul-
tiplié les mises en garde. Xavier
­Bertrand a ouvert les hostilités le
19 septembre sur France 2, deman-
dant l’interdiction de ces listes. En
ligne de mire, l’Union des démocra-
tes musulmans français (UDMF).
Créé en 2012 par Nagib Azergui,
­ingénieur jusqu’alors jamais investi
en politique, le tout petit parti veut
présenter des candidats aux muni-
cipales à Villeurbanne et à Vaulx-en-
Velin. L’UDMF, qui ne compte que
800 adhérents, envisage également
des listes aux Mureaux, à Mantes-la-
Jolie, Guyancourt, Trappes, Créteil,
Roubaix, Maubeuge, Lille, Marseille
ou encore Lyon. «Les quartiers défa-
vorisés ont trouvé un écho dans notre
parti, assure le secrétaire général,
Jean Préau, entrepreneur engagé
à l’UDMF depuis 2016 après avoir
soutenu le Modem. On communi-
quera au dernier moment pour évi-
ter qu’on nous mette des bâtons dans
les roues, mais on a une trentaine de
listes presque prêtes. On devrait arri-
ver à une cinquantaine.»
L’UDMF n’en est pas à son coup
d’essai. En 2014, lors des dernières
municipales, le parti a fait élire un
conseiller à Bobigny, en Seine-
Saint-Denis, après avoir rallié la
liste de Stéphane de Paoli (UDI). Il
a ensuite présenté, sans succès, des
candidats aux départementales et
aux régionales de 2015 aux législati-
ves en 2017 et aux européennes de
mai. Leur liste baptisée «Une Eu-
rope au service des peuples» n’a ob-
tenu que 0,13 % des suffrages. Insi-
gnifiant à l’échelle nationale, ce
résultat masque de vraies percées
au niveau local, principalement en
banlieue : 7,43 % à Garges-lès-Go-
nesse, 6,77 % à Mantes-la-Jolie ou
encore 4,87% à Vaulx-en-Velin.
Dans certains bureaux de vote, les
chiffres grimpent encore. C’est le
cas à Maubeuge, dans le Nord, où la
«liste 34» a non seulement récolté
6 % des voix mais a été choisie par
70 électeurs sur 170 dans un des bu-
reaux de vote de la ville.

«Sécession»
D’où l’activisme de Xavier Bertrand,
président des Hauts-de-France.
Contacté par Libération, son cabi-
net explique «chercher une modalité
juridique» pour interdire le dépôt
de leur liste. Le président du groupe
LR au Sénat, Bruno Retailleau, a an-
noncé dimanche le dépôt d’une
«proposition de loi pour contrer ce
qui est une forme de sécession». Une
interdiction écartée par le gouver-
nement. «Il n’existe pas de liste com-
munautaire. Personne ne se reven-
dique ainsi, a fait valoir Christophe

nent à la recherche d’une vision,
d’autres avouent leur méconnais-
sance des sujets locaux. Et sur le ter-
rain, personne ou presque ne sem-
ble avoir constaté la présence du
mouvement. «C’est un parti para-
site. A chaque élection, ils sortent du
bois pour se faire une petite notoriété
puis disparaître», s’agace un res-
ponsable de l’opposition à Bobigny,
où l’UDMF a fait élire un conseiller
municipal en 2014 en ralliant l’UDI,
après une tentative ratée de candi-
dature en solo.
Chargé de la mémoire, Hocine Heb-
bali, devait notamment chapeauter
la création d’un musée de l’histoire
coloniale. «On l’attend toujours, ta-
cle ce même responsable de l’oppo-
sition. C’était un élu fantôme. Il est
venu à trois conseils municipaux et
on ne l’a plus vu.» Kamel Moumni,
qui devait être le candidat de
l’UDMF, avait été de son côté recruté
comme «chef de projet événemen-
tiel». Une nomination épinglée par
la cour des comptes régionale qui a
pointé une rémunération anormale
et son absence «à son poste de tra-
vail». «C’est de l’opportunisme,
­conclut le responsable de l’opposi-
tion interrogé par Libé. Le commu-
nautarisme est un prétexte pour ser-
vir des ambitions personnelles. Il n’y
a pas de militantisme.»

«Abstentionnisme»
Nizarr Bourchada, conseiller muni-
cipal UDI à Brie-Comte-Robert, en
Seine-et-Marne abonde : «A chaque
fois, l’UDMF procède de la même fa-
çon : il y a un effet d’annonce, puis
rien.» En 2015, il a adhéré à l’UDMF


  • «j’étais déjà à l’UDI mais je me suis
    dit : pourquoi pas les aider à se struc-
    turer ?» –, mais il démissionnera
    trois mois après. Avec le recul, Bour-
    chada estime que l’UDMF ne s’est
    toujours pas structurée. «Pour les
    européennes, ils ont eu beaucoup de
    mal à trouver des candidats. A la fin,
    ils présenteront seulement une ou
    deux listes», promet-il. Dans certai-
    nes villes en effet, les futures têtes
    de liste avouent ne pas être sûres
    d’être prêtes pour février. «Ce n’est
    pas la bonne méthode, ça renvoie un
    message de division, juge le con-
    seiller municipal de Brie-Comte-
    Robert. Pour les municipales, on est
    sur des problématiques locales donc
    l’étiquette avec le mot musulman n’a
    pas lieu d’être.» Une forme de «repli
    identitaire» qui fragiliserait la
    ­conception française d’une commu-
    nauté nationale indivisible et ali-
    menterait l’islamophobie. «Les gens
    vont dire “attention, danger, com-
    munautarisme” et ça va se retourner
    contre les musulmans», déplore
    M’hammed Henniche, secrétaire de
    l’Union des associations musulma-
    nes de Seine-Saint-Denis.
    Certains accusent déjà l’UDMF de
    faire le jeu du Rassemblement natio-
    nal. A Maubeuge par exemple, dont
    le parti de Marine Le Pen a fait une
    de ses priorités. Député RN du Nord,
    Sébastien Chenu confirme cette vo-
    lonté d’instaurer un face-à-face : «On
    soigne tout particulièrement le choix
    des candidats et le programme parce
    que demain, si c’est pas nous, ce sera
    eux.» Les candidats UDMF ont en ré-
    alité bien peu de chances de prendre
    place dans les conseils municipaux.


Par
Charlotte Belaich
Photo Martin Colombet

france


explique Ali Benayache, qui vise la
mairie de Lyon. La population fran-
çaise de confession musulmane a le
droit de s’exprimer.» Une démarche
politique d’autant plus importante
à leurs yeux que la stigmatisation
des musulmans s’accentue. «J’ai eu
l’idée de fonder ce mouvement car on
tire à boulets rouges sur les musul-
mans et l’actualité nous donne rai-
son : il y a un rejet assumé», souligne
Nagib Azergui. Les propos de Ma-
cron évoquant les «signaux faibles»
de radicalisation sans les définir au
lendemain de l’attentat ­contre la
préfecture de police ont fait des dé-
gâts. «Il faut que les musulmans par-
lent de leur ressenti en tant que
­citoyens mais aussi en tant qu’ap-
partenant à une religion dépeinte
ainsi», ajoute Ali Benayache. «J’ai
grandi dans le christianisme, je me
rends compte du deux poids deux
mesures. On a l’impression qu’ils
vont mettre un croissant jaune sur
les musulmans», lâche Fabrice, can-
didat UDMF à Châtellerault. «Ils», ce
sont les politiques et les médias,
souvent mis en cause, parfois avec
des accents complotistes probléma-
tiques. Dans le Foulard déchaîné, la
revue de l’UDMF, on compare ainsi
le cas Ramadan à l’affaire Dreyfus
«mais en pire» et on défend le prof
de sciences islamiques visé par qua-
tre plaintes pour viol.
Mais au-delà de l’islamophobie, qui
concentre toute leur attention, diffi-
cile de saisir le projet politique de
l’UDMF. Certains candidats tâton-

L’UDMF, le parti


musulman qui


dérange la droite


Depuis quelques semaines, l’opposition


de droite se déchaîne contre une nouvelle cible :


les «listes communautaires», se revendiquant


de l’islam. Dans leur viseur, une organisation


de centre gauche née en 2012, qui espère présenter


une quinzaine de listes aux municipales.


Enquête


14 u Libération Mardi^22 Octobre 2019

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