Libération - 22.10.2019

(Michael S) #1
Nagib
Azergui,
président
de l’UDMF,
à Bagnolet,
lundi.

P


hilosophe et sociologue, Raphaël Lio-
gier est professeur à Sciences-Po et spé-
cialiste du fait ­religieux. Pour lui, l’exis-
tence de l’Union des ­démocrates musulmans
français (UDMF) s’inscrit dans l’esprit répu-
blicain.
Comment analysez-vous les réactions
suscitées par l’UDMF?
Ce parti, qui ne représente quasiment rien en
termes de voix, a un impact chimique dispro-
portionné. C’est ça qui est intéressant pour
un sociologue. Ce sont banalement des gens
qui décident de se prendre en main politi-
quement. Ils veulent lutter contre l’islamo-
phobie, la belle affaire. Il y a bien un Parti
chrétien-démocrate, qui se permet d’ailleurs
de critiquer l’UDMF! Mais comme ce sont des
musulmans, forcément, c’est anormal. Il y a
l’idée que derrière le rideau, il se passe autre
chose car le musulman est suspecté d’avoir
des idées derrière la tête. Métaphysiquement,
il apparaît comme surpuissant par rapport
à la réalité concrète. On voit bien que c’est un
problème dans notre ­regard. C’est très préoc-
cupant. C’est pour ça que ce parti provoque
une sorte d’unanimité contre lui.
Ce genre d’initiative fragilise-t-elle le mo-
dèle répu­blicain vanté par les élus qui de-
mandent son interdiction?
Ce qui fait la République française, c’est
qu’on a tous le droit d’avoir des projets politi-
ques liés à un idéal, fût-il un idéal religieux.
Ce n’est pas du tout une remise en cause de
la laïcité. Ce qui pourrait poser problème,
c’est le contenu du programme. Mais en l’oc-
currence, il n’y a pas de projet d’éviction de
qui que ce soit. Pour moi, c’est moins ef-
frayant que ce que propose Marine Le Pen.
Comme dans tous les partis, il y a des
­mesures fumeuses, mais elles n’ont rien
d’anti­démocratique. S’ils étaient élus, oui, il
y aurait une exigence de neutralité mais au
moment du débat politique, on attend bien
des convictions métaphysiques, qu’elles
soient politiques ou ­religieuses.
Cette démarche serait donc positive?
L’UDMF permet de visibiliser politiquement,
sur la scène des idées, qui est une scène paci-
fique, des préoccupations. Cela permet de dé-
passer des frustrations. J’aimerais savoir en
quoi c’est négatif pour la démocratie, comme
le disent certains. Si ce parti exprime des pré-
occupations, elles sont dans le débat, elles ne
sont plus dans les caves. C’est mieux que ce
soit un parti qu’un groupuscule. Cela ne veut
pas dire qu’on est d’accord avec eux. Mais
dans un sens, un parti comme ça court-cir-
cuite le fondamentalisme. C’est une républi-
canisation de l’islam et pas une islamisation
de la République. On pourrait dire que c’est
une victoire de l’intégration.
Recueilli par Ch.B.

«

«Ce n’est


pas une


remise


en cause


de la laïcité»


Pour le sociologue Raphaël
Liogier, l’existence
d’un parti musulman permet
légitimement à des idées
de s’exprimer politiquement.

«Le but ce n’est pas tant d’exercer des
mandats que de peser dans le débat»,
avoue d’ailleurs Jean Préau, le secré-
taire général du parti. «Le vote mu-
sulman n’existe pas, ce qui progresse,
c’est surtout l’abstentionnisme», sou-
ligne Franck Frégosi, directeur de
recherches au CNRS, spécialiste du
culte musulman. A Gennevilliers
(Hauts-de-Seine), où la liste UDMF
a fait près de 6 % aux européennes,
le maire rappelle que ce score cor-


respond à 519 voix et qu’il est inverse-
ment proportionnel à l’opposition
qu’il provoque. Pour ses fondateurs,
c’est justement la violence de ces ré-
actions, révélatrice d’une crispation
autour de l’islam, qui justifie l’exis-
tence du parti. L’UDMF ne serait
qu’une réponse politique à un pro-
blème politique. C’est d’ailleurs l’un
de leurs slogans. «On les disqualifie
en les qualifiant de communautaris-
tes, alors que dans la mesure où il y

a des groupes qui subissent des injusti-
ces en tant que tels, il paraît logique
qu’ils s’organisent politiquement
pour les combattre, explique Angé-
line Escafré-Dublet, maîtresse de
conférences en sciences politiques
à Lyon-II. Toutes les catégories de do-
minés utilisent l’action politique,
c’est une démarche tout à fait
légitime.»•

(1) Le prénom a été modifié.

Libération Mardi 22 Octobre 2019 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 15

Free download pdf