Libération - 22.10.2019

(Michael S) #1

France


L


a révolution n’arrive pas
toujours par les che-
mins que l’on attend.
Le 28 novembre, profitant de
leur niche parlementaire, les
députés centristes du Modem
vont s’attaquer à un dogme : la
propriété foncière. Ils propo-
seront un système de disso-
ciation du terrain et des bâ­-
timents construits dessus.
Dans un pays où chaque pro-
priétaire possède son bout de
sol jusqu’au centre de la terre
et dont la Constitution prévoit
que le droit de propriété est
«inviolable et sacré», ce n’est
pas rien.
Les centristes vont-ils cramer
leur unique niche parlemen-
taire de l’année dans une pro-
position vouée à l’échec? Pas
sûr. Jean-Luc Lagleize, dé-
puté de Haute-Garonne et
premier signataire de cette
proposition de loi «visant à
réduire le coût du foncier et à
augmenter l’offre de logements
accessibles aux Français»,
ne débarque pas à l’impro-
viste sur le sujet. Le 4 avril,
Edouard Philippe le chargeait
d’une «mission ayant pour
objet la maîtrise du coût du
foncier dans les opérations de
construction». Les termes de
la lettre de mission sont sans
ambiguïté : il s’agit de «propo-
ser toute mesure [...] qui per-
mettrait aux collectivités loca-
les de maîtriser les prix des
terrains et de lutter contre la
spéculation foncière».
Le Premier ministre balaie
d’abord devant la porte de
l’Etat, en demandant à son
missionné d’imaginer des
«bonnes pratiques» afin
«d’éviter le recours aux enchè-
res», pourtant habituel, et
très inflationniste, dans tou-
tes les administrations qui
ont un bien à vendre.
Edouard Philippe lui con-
seille également d’examiner
«la possibilité que pourraient

offrir les documents de planifi-
cation pour réguler les prix».

«Effet cliquet». Enfin, il
s’appuie sur l’exemple des or-
ganismes de foncier solidaire
qui d’ores et déjà achètent
des terrains sur lesquels les
futurs propriétaires n’acquiè-
rent que leur logement. «Neuf
organismes de foncier soli-
daire ont été agréés fin 2018 et
une vingtaine est en projet»,
souligne la lettre. Jean-Luc
Lagleize est donc prié d’exa-
miner «les conditions dans
lesquelles le même type de mo-
dèle, basé sur une dissociation
du foncier et du bâti, pourrait
être mis en place, non pas uni-
quement pour la production
de logements en accession so-
ciale mais pour tous types de
logements».
Elaborée dans le cadre de
cette mission, la proposition
de loi montre que le message

a été reçu cinq sur cinq.
«Casser l’engrenage de la
hausse des prix», le premier
titre donne le ton. Mais dès
l’exposé des motifs, l’inten-
tion est claire. «Tout le pro-
cessus de l’acte de construire
pousse à construire toujours
plus cher», écrivent les au-
teurs du texte.
La chaudière est alimentée
par les particuliers qui «veu-
lent réaliser une plus-value
lors de la cession de leurs biens
en profitant des investisse-
ments réalisés par la com-
mune». Mais les pouvoirs pu-
blics eux aussi «participent de
cette spirale délétère via le
mécanisme d’enchères publi-
ques sur leurs biens fonciers et
immobiliers afin de les attri-
buer au plus offrant».
Comment arrêter la ma-
chine? Le texte propose de
commencer par «interdire la
vente aux enchères lors des

cessions de foncier public».
Les cessions auraient lieu «de
gré à gré», après estimation
par France Domaine, orga-
nisme public qui détermine
les prix des biens immobi-
liers. «Nous allons essayer
d’éviter que l’Etat ou les mai-
res ne soient pris dans une
schizophrénie en se lamen-
tant d’un côté sur la flambée
des prix tout en vendant aux
enchères de l’autre côté, expli-
que Jean-Luc Lagleize. Les
ventes aux enchères multi-
plient les prix par trois et en-
suite, par un effet cliquet, ils
ne redescendent jamais.»

«Transparence». Pour le
tout-venant des ventes, les
parlementaires préconisent
de créer des offices fonciers
sur le modèle de ceux instau-
rés par la loi Alur (sous la gau-
che) qu’est venue renforcer la
loi Elan (sous l’actuel gouver-

nement). «Ce dispositif, bien
que récent, est utile mais le
principal obstacle à son utili-
sation vient du fait qu’il est li-
mité à l’accession sociale à la
propriété, écrivent les parle-
mentaires. De ce fait, il est
trop restreint pour avoir un
véritable impact sur les prix
du foncier.» Du coup, «pour
stopper définitivement la spé-
culation foncière», l’article 2
du texte propose de générali-
ser la dissociation du foncier
et du bâti. Les offices fonciers
seront obligatoires dans les
zones tendues, et optionnels
ailleurs.
Comment cela fonctionne-
rait-il? «L’office foncier don-
nerait à un constructeur [...],
par un bail emphytéotique à
durée illimitée, un droit à
construire un programme
particulier (logements, com-
merces, équipements pu-
blics).» L’office achète pour

toujours. «Le foncier n’étant
désormais plus jamais en
vente, il ne peut plus faire
l’objet de spéculation.»
Le dispositif peut sembler
­dirigiste, mais en fait il re-
donne du pouvoir aux mai-
res. Le texte prévoit qu’ils
pourront saisir une instance
d’appel si le prix proposé par
le Domaine ne leur convient
pas. En outre, l’observatoire
du foncier, nouveauté créée
par le même texte, leur four-
nira des données sur le mar-
ché. «Ces observatoires au-
ront pour mission d’analyser
les opérations de vente, d’of-
frir un bilan des transactions
passées et de mettre à dispo­-
sition du public toutes ces
données. Cette transparence
exercera une certaine pres-
sion sur les promoteurs ame-
nés, par là même, à baisser
leurs offres de prix.» Accep-
tons-en l’augure.•

Une proposition de loi pour en finir


avec la spéculation immobilière


Par
sibylle Vincendon

Mayotte : les collectifs
de citoyens très remontés
avant l’arrivée de Macron
Immigration clandestine, développement
économique, reconnaissance présidentielle :
le chef de l’Etat est attendu au tournant sur l’île
de 250 000 habitants où la moitié de la population
est étrangère. Lire le reportage de notre envoyé
spécial. Photo. AFP

LIBÉ.FR

Edouard Philippe
a chargé le député
Modem Jean-Luc
Lagleize
d’une mission sur
la maîtrise du coût
des terrains. En jeu :
en finir avec les
ventes aux
enchères et séparer
propriété du bâti
de celle du foncier.

Le texte suit l’exemple des organismes de foncier solidaire qui achètent le terrain sur lequel l’acheteur n’acquiert que le logement. G. GOBET. AFP

16 u Libération Mardi^22 Octobre 2019

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