Les Echos - 22.10.2019

(avery) #1

Solveig Godeluck
@Solwii


« Vous les voulez mes amendements?
Les voilà! » Olivier Véran arrache
d’un coup sec les trois premières
pages de sa liasse, direction pou-
belle. Et ravale sa fierté. Ce matin-là,
en réunion de groupe en présence
du Premier ministre, le rapporteur
général du budget de la Sécurité
sociale a compris qu’il ne ferait pas
dévier le gouvernement sur la non-
compensation à la Sécurité sociale
des nouvelles exonérations de coti-
sations décidées fin 2018. Le jeune
député peut ruer dans les brancards,
mais il sait quand il faut se ranger,
afin de conserver un accès direct
aux ministres.
Œil vif, cheveux en pétard, Olivier
Véran refuse un sixième café. Tant
mieux, car ce neurologue de trente-
neuf ans cause déjà comme une
mitraillette. « Je suis excité comme
un gosse avant l’examen en commis-
sion. Je me suis réveillé à 4 h 40 ce
matin, il faut convaincre la majorité,
je suis une vraie pile! » jubile-t-il. Les
nuits trop courtes, la pression? « Tu
as voulu ta bicyclette, tu pédales »,
rit le député de l’Isère. Un enthou-
siasme que le socialiste Jérôme
Guedj a partagé à ses côtés, sous


notamment sur la tarification à
l’activité à l’hôpital. Devenu macro-
niste dès 2016, impliqué dans la
rédaction du programme santé du
candidat, il espère longuement le
maroquin de la Santé... pour finale-
ment revenir à la commission des
Affaires sociales, et y faire voter les
budgets de la Sécurité sociale.
« Quand j’ai quitté l’hémicycle en
2015, j’ai caressé le velours des sièges.
C’est une joie de le retrouver », confie
ce grand sentimental qui a sacrifié
un pan de sa vie personnelle sur
l’autel de l’intérêt public, et veille
aujourd’hui à prendre du temps
avec ses deux enfants, « au village », à
Corenc, près de Grenoble. Le week-
end, c’est famille, amis, et puis aussi
piano, violon, ukulélé, accordéon –
Olivier Véran n’a pas renié son bac
musique et dévore tous les styles.
Dans son grand bureau décati
du Palais-Bourbon, on sent que
l’homme pressé ne fait que passer,
toujours en train de se projeter
ailleurs. « C’est un très bon parte-
naire, hyper-réactif, qui s’est beau-
coup investi. Il apporte des idées nou-
velles et ne reste pas rigide sur ses
positions », salue Agnès Buzyn, la
ministre de la Santé. « J’adore Agnès.
On se comprend », répond-il. Entre
bons élèves, ces deux p raticiens hos-
pitaliers s e reconnaissent et s’appré-
cient. D’autres lui reprochent sa
labilité idéologique. « Quand il est
devenu socialiste, ça a un peu surpris
ses amis qui l’imaginaient plutôt à
droite », témoigne un médecin syn-
dicaliste qui l’a côtoyé sous le quin-
quennat Sarkozy. A l’époque, Olivier

Véran, sans jamais avoir fait de poli-
tique, avait pris des responsabilités
au sein de l’Isni, un syndicat d’inter-
nes, pour lutter contre la fin de la
liberté d’installation médicale.
« C’est un très bon connaisseur des
sujets de santé, un soutien précieux
pour un gouvernement quel qu’il
soit », salue l’ex-ministre de la Santé,
Marisol Touraine, dans une for-
mule à double tranchant.

Un « esprit positif »
Aux yeux de son confrère médecin
et syndicaliste Emanuel Loeb, le
défaut d’Olivier Véran est surtout
d’être un peu trop « p erso » : « Quand
j’étais à l’Isni, nous lui avons demandé
d’intercéder en notre faveur auprès
de Geneviève Fioraso, nous n’avons
jamais obtenu de réponse. Et puis
bizarrement, lorsque les internes se
sont mis en grève en novembre 2012,
il a retrouvé mon numéro! »
L’inconvénient des hommes pres-
sés, c’est qu’ils n’ont pas de temps à
perdre. Mais l’ambition d’Olivier
Véran est aussi un moteur puissant,
qui continue à rugir face aux hiérar-
ques les plus blasés. « Je l’ai vu, tout
jeune diplômé de son master de santé
publique à Sciences Po, expliquer à de
vieux patrons au CHU comment on
allait faire le virage ambulatoire »,
sourit Olivier Casez, comme lui neu-
rologue à Grenoble. Des mots? Que
non, raconte le praticien, louant un
« organisateur très efficace, qui arri-
vait toujours avec des solutions ». Un
« esprit positif », comme le dit Agnès
Buzyn, qui permet à Olivier Véran
d’aller toujours de l’avant.n

Olivier Véran, un infatigable rapporteur à l’Assemblée


Le rapporteur général
du budget de la Sécurité
sociale va être très exposé
avec l’examen en séance en
première lecture, à partir
de ce mardi, du projet de loi
de financement pour 2020.


Une pétition a recueilli près de
50.000 signatures, une quinzaine
d’hôpitaux mènent une grève du
codage des actes.
Jusqu’à présent, aucune des
mesures annoncées en trois étapes
par Agnès Buzyn pour « refonder les
urgences » n’a convaincu les grévis-
tes. Les 750 millions d’euros promis
ne correspondent pas à de nouveaux
crédits – à part 200 millions d’inves-
tissements immobiliers hospitaliers
non consommés. Concernant deux
revendications, plus de lits et plus de
personnel, la ministre estime avoir
répondu de façon « systémique », en
permettant des créations de postes
de g estionnaires d e lits, de p lates-for-
mes de coordination et des capacités
supplémentaires en dehors des
urgences. La troisième revendica-
tion, 300 euros d’augmentation
mensuelle pour les paramédicaux,
coûterait près de 4 milliards par an...

Revalorisations ciblées
Selon nos informations, le minis-
tère de la Santé planche sur plu-
sieurs pistes, dont la revalorisation
des entrées de carrière mais aussi
des fins, par exemple pour une
infirmière qui se reconvertirait
dans la coordination ou les prati-
ques avancées. Les revalorisations
pourraient ainsi être plus ciblées.
« Sur les urgences, nous conti-
nuons à chercher des solutions »,
avance un conseiller ministériel,
reconnaissant en creux des répon-
ses jusqu’ici insuffisantes face à
l’ampleur du problème. « La situa-
tion d’explosion des urgences à la fin
de l’été était le haut de l’iceberg d’un
hôpital en grande difficulté. Le prési-
dent y est très attentif », souligne un
proche d’Emmanuel Macron.
« Sur le plan santé 2 02 2, Agnès
Buzyn avait le bon diagnostic, c’est
un bon plan. Mais sa mise en œuvre

prend cinq à dix ans... », s’inquiète
une source gouvernementale. Le
pacte de refondation des urgences
« ne répond pas à l’immédiateté de la
crise », ajoute un proche du prési-
dent. Face à ce c limat social particu-
lier et au malaise persistant, si ce
n’est croissant, de certaines profes-

sions, « pompiers, policiers, ensei-
gnants, hôpital », liste un conseiller
de l’exécutif, « les problèmes sont tel-
lement enkystés que nous n’avons
pas de baguette magique ».

(


L’éditorial d’Etienne
Lefebvre Page 16

lAlors que les députés de la majorité réclament des crédits supplémentaires pour les établissements hospitaliers,


l’exécutif cherche une solution qui ne bouscule pas les grands équilibres financiers.


lEt voit se profiler avec inquiétude la grève du 14 novembre, alors que le climat social est de plus en plus tendu.


Valse-hésitation du gouvernement


sur le budget des hôpitaux


Isabelle Ficek et S. G.


Alors que le projet de loi de finance-
ment de la Sécurité sociale pour
2020 arrive en première lecture
dans l’hémicycle ce mardi à l’Assem-
blée, le flou règne sur un éventuel
geste du gouvernement pour l’hôpi-
tal. La semaine passée, les députés
de la majorité ont mis la pression sur
l’exécutif pour augmenter les crédits
hospitaliers. Le rapporteur général
du texte, Olivier Véran, leur a
demandé de la patience, la ministre
de la Santé, Agnès Buzyn, s’étant
engagée à faire « quelque chose ».
« On attend que la ministre fasse un
geste, un signe », insiste Delphine
Bagarry, députée LREM, qui a réin-
troduit son amendement réclamant
1 milliard de plus pour les établisse-
ments hospitaliers.
Pour l’exécutif, il n’est pas ques-
tion à ce stade d’augmenter l’enve-
loppe budgétaire de la santé, alors
que cette branche est quasiment la
seule source d’économies de la
Sécurité sociale en cette année de
rechute du déficit. Néanmoins, la
situation de l’hôpital, à laquelle les
Français sont particulièrement
sensibles, est tout en haut des sujets
d’inquiétude d’Emmanuel Macron.


Collectif inter-hôpitaux
La mobilisation des soignants a
commencé avec les urgentistes en
mars et a pris de l’ampleur au début
du mois avec la création d’un collec-
tif inter-hôpitaux. Un mot d’ordre
de grève a été lancé pour le
14 novembre. « Nous allons associer
les patients, parce qu’on fait ça pour
eux, pour sauver l’hôpital en train de
s’effondrer », explique Antoine
Pelissolo, porte-parole du collectif.


SANTÉ


François Hollande. Les deux sup-
pléants ont été propulsés à l’Assem-
blée en 2012, sans prévenir, lorsque
leur député a été nommé au gouver-
nement. « Pour nous, tout pouvait
s’arrêter du jour au lendemain. Nous
avons pris plaisir à multiplier les
missions et à faire des séances de nuit
lors du vote du budget de la Sécurité
sociale, d’autant plus que nous avions
l’oreille des cabinets. » Avec quelques
collègues p otaches, ils se lancent des
paris : placer les mots « chocolat »
ou « confiture » dans les débats...
Sans le céder aux choses sérieuses :
Olivier Véran fait adopter ses amen-
dements sur des sujets aussi variés
que les « hôtels hospitaliers », les
mannequins anorexiques ou une
taxe sur les boissons sucrées.
Il perd son poste en 2015, lorsque
sa députée, Geneviève Fioraso,
reprend le sien. Lâchant à regret son
job de rapporteur de la loi Touraine,
il revêt à nouveau sa blouse blanche
au CHU de Grenoble, et ronge son
frein en écrivant des rapports,

« C’est un très bon
connaisseur
des sujets de santé,
un soutien
précieux pour
un gouvernement
quel qu’il soit. »
MARISOL TOURAINE
Ex-ministre de la Santé

populaires, à l’instar de ceux des
policiers ou des pompiers. Bien
plus, en tout cas, que des catégo-
ries comme les cheminots, qui
n’ont eu que 4 0 % d’opinions favo-
rables au moment de la réforme
de leur statut », analyse-t-il.
Les urgences sont en crise.
Mais à qui la faute? D’abord à
un manque de moyens finan-
ciers et humains, répondent les
sondés, à 52 %. Implicitement,
ils montrent du doigt le gouver-
nement, qui décide des crédits
alloués chaque année aux éta-
blissements. Pis, seuls 8 % des
répondants estiment que ces
problèmes sont avant tout dus à
une mauvaise organisation des
hôpitaux. La ministre de la
Santé, Agnès Buzyn, répète
pourtant que la solution n’est
pas de déverser de l’argent,
mais de réformer : elle a multi-
pl ié les déplacements dans des
établissements « bons élèves »
comme Poitiers – ceux qui ont
su gérer la pénurie de soignants
en mettant en place de nouvel-
les procédures e t organisations.

« Sursollicitation »
Toutefois, les Français ne rejet-
tent pas uniquement la faute
sur le gouvernement. Ils se
soupçonnent aussi les uns les
autres d’avoir le réflexe hospita-
lier un peu facile : quasiment 4
sur 10 pointent une « sursollici-
tation des patients pour des pro-
blèmes de santé sans gravité ».
Un soupçon particulièrement
fort parmi les chômeurs (50 %)
ou les plus de 65 ans (51 %),
mais aussi chez les sympathi-
sants LREM (54 %) ou LR
(52 %), e t très marqué chez ceux
qui ont voté Fillon au premier
tour de la présidentielle (61 %).
—S. G.

C’est franc et massif. Selon un
sondage Opinionway-Square
Management pour « Les
Echos » et Radio Classique,
84 % des Français soutiennent
les urgentistes en grève dans les
hôpitaux. Seuls 12 % voient d’un
mauvais œil ce mouvement,
qui a débuté en mars à Paris et
s’est répandu dans 267 services
d’urgences publics sur le terri-
toire, et 3 % à peine n’en ont pas
entendu parler. L’opinion est
donc très sensibilisée au conflit
social qui se noue à l’hôpital,
alors même que les grévistes
sont la plupart du temps au tra-
vail, santé publique oblige..
En détail, le soutien aux gré-
vistes est le même pour les caté-
gories socioprofessionnelles
favorisées ou défavorisées, et il
augmente avec l’âge – donc avec
la fréquentation des hôpitaux.
Il est écrasant à gauche, avec
94 % d’adhésion chez les sym-
pathisants LFI ou socialistes,
mais aussi au Rassemblement
national (91 %). Les plus « tiè-
des » sont les partisans de
LREM, à 81 %, derrière LR 82 %.
« C’est u n soutien très massif, et
intense, puisque 43 % des répon-
dants soutiennent “tout à fait’’ les
urgentistes. Il traverse toutes les
catégories sociales et politiques,
touchant même les électeurs de
droite et de Macron », souligne
Bruno Jeanbart, le directeur
général adjoint d’OpinionWay.
« Cela confirme que les mouve-
ments sociaux des hôpitaux sont

Selon un sondage
OpinionWay pour
« Les Echos », plus
de huit Français sur dix
soutiennent
les urgentistes en grève
dans les hôpitaux.

La grève aux urgences


soutenue par l’opinion


FRANCE


Mardi 22 octobre 2019Les Echos

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