Les Echos - 22.10.2019

(avery) #1

Bastien Bouchaud
@BastienBouchaud


L


a Banque européenne
d’investissement (BEI) est
relativement méconnue
du grand public. Il s’agit pourtant
de la plus grande banque multi-
latérale au monde, devant la Ban-
que mondiale, avec un bilan de
555 milliards d’euros. Basée au
Luxembourg, elle finance des mil-
liers d’entreprises en Europe, que
ce soit en direct ou via des investis-
sements dans des fonds gérés par
des tiers. Une proposition allé-
chante pour les sociétés de gestion :
obtenir un investissement de la BEI
est une marque de confiance recon-
nue par les professionnels de la
finance. Mais la banque publique
ne confie pas ses fonds à n’importe
qui. Son processus de sélection de
gérants, ou « due diligence », est
réputé pour sa longueur et son
degré d’exigence sans pareil.


« Processus de sélection
minutieux »
« Ce sont des mois d’échanges très
détaillés avec des gens très compé-
tents », se remémore Sébastien
Barbe, directeur général de Schel-
cher Prince Gestion, une boutique
de l’archipel Arkéa IS qui a obtenu
cette année un financement du
Fonds européen d’investissement,
filiale de la BEI. « Le processus est très
minutieux comme c’est de l’argent
public. Ils regardent jusqu’à la gouver-
nance des fonds », détaille-t-il. De fait,
le processus de sélection d’un gérant
prend au moins 6 mois et peut
s’étendre jusqu’à plus de 18 mois.
Avant même une première ren-
contre formelle, les sociétés de
gestions candidates à un investis-
sement de la BEI doivent remplir
un questionnaire extrêmement
détaillé sur plusieurs aspects du
fonds et de la société. Après plu-
sieurs mois d’échange, une équipe
réalise un audit sur place, où elle
rencontre et teste les équipes de
gestion, et passe au crible la thèse
d’investissement et le processus
de gestion sous tous ses aspects
(gestion des risques, ESG, gouver-
nance). « C’est un travail de longue
haleine, mais très utile pour un
gérant », note Fabrice Dumonteil,


Europe, pour dépasser les 550 mil-
liards d’euros d’actifs.
La France, et son écosystème de
gestion d’actifs, en a largement pro-
fité. Depuis la création du FEI, ce
dernier a fait confiance à 22 équipes
de gestion françaises en investis-
sant dans 167 de leurs fonds. « Au fil
des années, le marché français s’est
développé pour couvrir l’ensemble
du spectre du non-coté, du capital
d’amorçage à la dette privée », souli-
gne Alessandro Tippi, directeur des
investissements du FEI.

Développer des
compétences spécifiques
Les nombreux investissements du
FEI lui ont permis de développer
des compétences spécifiques dans
la sélection de gérants. « Nous som-
mes l’un des seuls investisseurs à
pouvoir investir dans de nouvelles
équipes même si elles ne disposent

pas d’un “track” record établi »,
se félicite-t-il. La longueur et la
profondeur du processus de sélec-
tion offrent par ailleurs l’opportu-
nité d’aider les sociétés de gestion
à affiner leur modèle.
Le FEI p eut imposer la réécriture
de certains statuts voire demander
des recrutements s’il estime avoir
identifié une carence. Avec parfois
des succès importants : le FEI a
ainsi poussé S ofinnova à se concen-
trer sur les sciences de la vie plutôt
que de se diversifier sur les nouvel-
les technologies de la communi-
cation. « Dans les marchés déjà
développés, nous vérifions qu’il
existe bien une complémentarité
avec les acteurs existants », souligne
Alessandro Tippi.
Plus récemment, le FEI a été
parmi les premiers à sauter le pas
de l’investissement à impact, qui
consiste à définir des objectifs

sociaux ou environnementaux en
plus de la performance financière.
« Nous développons désormais
notre propre système de notation
ESG pour évaluer les fonds », pour-

La création du Fonds européen
d’investissement (FEI) en 1994 avait
pour objectif d e combler l e manque
chronique de fonds de capital-
investissement en Europe. Face à
un marché américain débordant
d’acteurs, le Vieux Continent restait
largement dominé par le finance-
ment bancaire. Depuis, la situation
a largement évolué. Le « private
equity » a largement bénéficié de
l’attractivité du non-coté ces der-
nières années, affichant une crois-
sance de 25 % entre 2015 et 2018 en


Le marché français
du capital-investissement
est l’un des plus développés
d’Europe, avec des sociétés
de gestion spécialisées
sur la plupart des classes
d’actifs. Le soutien du Fonds
européen d’investissement
(FEI) n’y a pas été pour rien.


La sélection de fonds soutenue par le « plan Juncker »


L’activité de sélection de fonds était histori-
quement réservée à la filiale de la BEI spé-
cialisée dans le capital-investissement, le
Fonds européen d’investissement (FEI).
Toutefois, depuis une quinzaine d’années,
la BEI fait aussi appel à des gérants pour
investir dans les infrastructures et l’envi-
ronnement. La mise en place du « plan
Juncker » en 2015 a soutenu le développe-
ment de cette activité, la BEI étant invitée à
investir dans des projets plus petits et plus

risqués, une tâche qu’elle délègue volon-
tiers à des gérants spécialisés. La BEI affi-
che ainsi 4 milliards d’euros d’engagements
dans une centaine de fonds depuis 2004.
Sur la seule année 2018, le FEI a engagé de
son côté 3,4 milliards d’euros dans des
fonds en Europe et dispose en portefeuille
de 4,7 milliards d’investissements dans des
fonds français. Au total, le FEI a ainsi investi
indirectement dans plus de 11.000 sociétés
en Europe, dont plus de 2.500 en France.

« Au fil des années,
le marché français
s’est développé
pour couvrir
l’ensemble
du spectre
du non-coté, du
capital d’amorçage
à la dette privée. »
ALESSANDRO TIPPI
Directeur des investissements
du FEI

BANQUE PUBLIQUE// La BEI investit dans de nombreux fonds d’investissement en Europe.


Elle est réputée pour son processus minutieux de sélection de gérants, un gage de qualité


pour l’ensemble des professionnels de la finance.


Les fonds se bousculent auprès de la


Banque européenne d’investissement


président d’Eiffel Investment. « La
BEI s’intéresse en détail a u modèle d u
fonds, à la taille du marché ciblé et
n’hésite pas à questionner l’expertise
interne. Elle peut ainsi aider à affiner
la stratégie d’un fonds », ajoute-t-il.
Même son de cloche chez Tike-
hau, qui a accueilli la BEI d ans l’un de

ses fonds en février. « Elle possède
une connaissance très poussée des
mécanismes d’investissement dans
les fonds et agit comme une véritable
force de proposition », souligne
Cécile Mayer-Lévy, directrice des
activités de dette privée. « Le proces-
sus est très chronophage, mais ses exi-

gences font progresser les sociétés
de gestion. Elle a un vrai impact sur
le marché », s’enthousiasme-t-elle.
Seules 20 % des sociétés de gestion
franchissent toutes ces étapes et
accueillent finalement la BEI parmi
leurs investisseurs. Mais la banque
ne s’efface pas pour autant. Elle

exige ainsi un reporting ESG précis
et surveille de près les nouvelles
opérations, notamment pour s’assu-
rer de leur adéquation avec ses
objectifs fixés par la Commission
européenne.
Le jeu en vaut la chandelle pour
les fonds. « L’effet de levier de la BEI
est i mportant, c’est un a ccélérateur d e
développement », explique Fabrice
Dumonteil. « Elle attire de l’argent
privé et tend à réinvestir elle-même. »
Son expérience et ses nombreux
partenaires parmi les institutions
financières e uropéennes o ffrent des
opportunités significatives. « Sa pré-
sence dans un fonds change les rela-
tions avec les investisseurs, c’est un
label de qualité reconnu, notamment
à l’international et plus particulière-
ment dans la zone euro », confirme
Sébastien Barbe, qui est ainsi entré
en contact avec plusieurs fonds de
pension du Benelux.n

suit-il, alors que la lutte contre le
changement climatique est deve-
nue ces dernières années l’une des
priorités d’action du FEI.
Le FEI identifie encore des lacu-
nes dans le financement des entre-
prises européennes. « Les secteurs
des technologies quantiques, des
sciences de la vie ou encore de l’intel-
ligence artificielle nécessitent des
investissements très lourds et un
accompagnement sur la longue
durée, or ces sociétés peinent à trouver
les capitaux nécessaires en Europe
après leurs premières étapes de déve-
loppement », regrette Alessandro
Tippi. Pour répondre à ce besoin, le
FEI a ouvert ces dernières années
des fonds de fonds à des investis-
seurs institutionnels privés. Et il sera
très attentif à la mise en œuvre, par
la prochaine Commission, du bud-
get européen, dont il tire l’essentiel
de ses ressources. —B. B.

La France, un marché stratégique pour le FEI


Joseph Pinto,
premier directeur
des opérations
de Natixis IM


  • SON ACTUALITÉ
    Joseph Pinto va r ejoindre
    Natixis Investment Managers,
    la filiale de gestion d’actifs de
    Natixis, en tant que directeur
    des opérations. Il s’agit d’une
    création de poste pour Natixis
    IM, qui l’a annoncée en paral-
    lèle de la nomination de Phi-
    lippe Setbon à la tête d’Ostrum
    AM, sa principale boutique de
    gestion. Joseph Pinto était
    jusqu’à présent directeur des
    opérations de l a filiale de
    gestion d’A XA.

  • SON PARCOURS
    Agé de cinquante ans, Joseph
    Pinto a démarré sa carrière en
    1992 au Crédit Lyonnais, avant
    de rejoindre Lehman Brothers
    à Londres. Après un passage
    chez McKinsey & Company à
    Paris, il devient en 2001 le direc-
    teur général délégué de la ban-
    que privée Fideuram Wargny.
    Joseph Pinto est entré chez
    AXA IM en 2007 en tant
    que directeur pour l’Europe
    du Sud et le Moyen-Orient. Il y
    est devenu, en 2014, directeur
    des opérations. Il est diplômé
    de l’Ecole centrale Paris et
    de l’université Columbia de
    New York.

  • SES DÉFIS
    La création d’un poste de direc-
    teur des opérations au sein de
    Natixis IM a lieu quelques mois
    après la crise de confiance qui a
    secoué le hedge fund londo-
    nien H2O AM, l’une des nom-
    breuses filiales du groupe. La
    société de gestion a subi plus de
    6 milliards d’euros de retraits
    en quelques semaines fin juin,
    après la sortie d’informations
    sur son portefeuille de titres
    non cotés. Depuis, des ques-
    tions se posent sur la capacité
    du groupe à surveiller la prise
    de risques, alors que son
    modèle multiboutique a large-
    ment bénéficié de l’indépen-
    dance laissée aux gérants. Dans
    ce contexte, Joseph Pinto aura
    du pain sur la planche pour
    mettre de l’ordre dans la chaîne
    de gestion des risques sans se
    mettre à dos les affiliés de
    Natixis IM. — B. B.


—La filiale de gestion
d’actifs de Natixis
a débauché Joseph Pinto
chez AXA IM pour
cette création de poste.

LA PERSONNALITÉ


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GESTION D’ACTIFS

MARDI 22 OCTOBRE 2019

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