Les Echos - 22.10.2019

(avery) #1

Boris Johnson a échoué, samedi comme lundi, à obtenir un feu vert du Parlement sur l’accord de divorce pour le ratifier. Photo PRU/AFP


vail parlementaire nécessaire pour
le mettre en musique n’aurait alors
aucune chance d’être achevé dans
les temps par les députés.

Deux amendements
en préparation
Ce travail parlementaire s’annonce
d’autant plus lourd que de nom-
breux amendements pourraient
être déposés par l’opposition pour
faire traîner les débats en longueur
et empêcher le Premier ministre de
tenir sa promesse, consistant à sor-
tir de l’UE au 31 octobre. Certains
amendements menacent de détri-
coter l’accord conclu avec Bruxel-
les. Deux d’entre eux étaient lundi
sur toutes les lèvres. Le premier,
poussé par le Labour, contraindrait
le gouvernement à demander à l’UE
de rester, post-Brexit, dans une
union douanière et de conserver
une relation étroite avec le marché
unique européen. « Cela nous ramè-
nerait à la c ase départ », a averti d ans
le « Telegraph » la ministre du
Commerce international, la Brexi-
ter Liz Truss.
L’autre, défendu depuis diman-
che par Keir Starmer, chargé du
Brexit au Labour, obligerait Dow-
ning Street à soumettre l’accord de
divorce au vote des Britanniques à
l’occasion d’un nouveau référen-
dum. Un scrutin en faveur duquel
des centaines de milliers de per-
sonnes ont manifesté dans les rues
de Londres, samedi. « Ces éventuels
amendements ont le pouvoir
d’anéantir l’accord de Brexit », a dit

un ministre au « Times ». « Si nous
ne partons pas de l’UE, ce sera parce
que le Parlement a empêché le
gouvernement de faire ce à quoi il
s’était engagé », a-t-il ajouté. Si
l’impasse se confirmait, des élec-
tions législatives anticipées sem-
blent inéluctables.
En attendant, le Brexit tourne au
duel entre le Premier ministre et le
Speaker (ou président) de la Cham-
bre des communes, John Bercow.
Celui-ci l ui a sans surprise i nfligé un
nouveau camouflet lundi : il a
refusé de soumettre de nouveau
l’accord a ux députés, a près u ne pre-
mière tentative avortée samedi,
qui l’a obligé à demander un report
du Brexit à Bruxelles.

Règle datant de 1608
Invoquant une règle de 1608 inter-
disant de solliciter une nouvelle fois
le Parlement sur un sujet qu’il a déjà
tranché, John Bercow a estimé que
rien n’avait changé, ni sur la subs-
tance ni dans les circonstances
depuis samedi, qui puisse justifier
une n ouvelle mise au vote de
l’accord. Il a rappelé qu’il fallait faire
« un usage raisonnable du temps de
la Chambre et avoir un respect
approprié des décisions qu’elle
prend ». Comme tout t exte l égislatif,
le projet de loi de retrait présenté ce
mardi va devoir faire la navette
entre la Chambre des communes et
la Chambre des lords, et être voté
dans les mêmes t ermes p ar l es deux
chambres. Un parcours qui pour-
rait relever du chemin de croix.n

lFaute de pouvoir obtenir ces derniers jours le feu vert des députés sur son accord de divorce avec l’UE, le Premier mi-


nistre veut enclencher ce mardi le travail parlementaire sur le projet de loi qui doit le transcrire dans le droit britannique.


lS’il échouait, il verrait en pratique s’évanouir toute chance de pouvoir faire sortir le pays de l’UE au 31 octobre.


Brexit : Boris Johnson tente


un passage en force au Parlement


Alexandre Counis
@alexandrecounis
—Correspondant à Londres


C’est un match à hauts risques que
s’apprête à disputer, ce mardi, Boris
Johnson à Westminster. A moins de
dix jours de la sortie de l’UE, le Pre-
mier ministre va tenter de faire une
percée sur le front du Brexit en lan-
çant les travaux sur l’adoption du
« projet de loi de retrait » (EU
Withdrawal Act), un texte absolu-
ment crucial qui transcrit en droit
britannique l’accord de divorce
conclu jeudi dernier avec Bruxelles.
Si Boris Johnson enclenche cette
manœuvre, c’est parce qu’il a
échoué, samedi comme lundi, à
obtenir un feu vert du Parlement
sur l’accord de divorce pour le rati-
fier. Ce mardi, il va tenter de faire
adopter par les députés le projet de
loi de retrait dans son principe,
même si cela ne vaudra pas ratifica-
tion de l’accord, puis va mettre au
vote une « motion de programme »
où les « MPs » promettraient de
finir de l’amender d’ici au 31 octo-
bre, quitte à siéger les soirs et le
week-end prochains.
Le vote de cette motion, en parti-
culier, s’annonce comme un enjeu
capital pour Boris Johnson : si elle
était rejetée, le Premier ministre
verrait en pratique s’évanouir toute
chance de pouvoir faire sortir le
pays d e l’UE au 31 octobre. Car le tra-


ROYAUME-UNI


Messieurs les Anglais, tirez les premiers!


Lundi, à Strasbourg, le « Brexit Steering
Group », composé d’eurodéputés, a préco-
nisé que le Parlement européen attende
l’éventuelle adoption du projet d’accord par
la Chambre des communes à Londres avant
de lui-même mettre le texte au vote. « Nous
avons convenu de conseiller à la Conférence
des présidents [NDLR : qui fixe l’agenda des
séances plénières] d’attendre la ratification
complète côté britannique. C’est à présent au
Parlement britannique de faire son choix », a
expliqué le président de ce groupe de coordi-
nation, le Belge Guy Verhofstadt (Renew,
centristes libéraux). Dans ce contexte, un


éventuel vote du Parlement européen est de
facto renvoyé à une session extraordinaire la
semaine prochaine. C’est, à l’image de la
volonté des Etats de prendre leur temps
pour répondre à la demande de nouveau
report du Brexit, une manière de maintenir
la pression sur le Parlement britannique
dans l’actuel momentum. Le « Brexit Steer-
ling Group » suit en outre la résolution adop-
tée le 18 septembre dernier par le Parlement
européen, où il indique qu’« il ne procédera à
aucun vote d’approbation tant que le Parle-
ment britannique n’aura pas approuvé un
accord avec l’Union européenne ».

Nicolas Madelaine
—Envoyé spécial à Londres

Le voilà de nouveau sur le devant
de l’actualité, accusé par les Brexi-
ters de mettre des bâtons dans les
roues du Brexit. John Bercow, le
président de la Chambre des com-
munes (ou Speaker en anglais), a
en effet refusé lundi au gouverne-
ment un vote significatif (« mea-
ningful ») par le Parlement sur
l’accord de divorce conclu entre
Londres et Bruxelles la semaine
dernière.
Ce week-end, celui qui person-
nifie désormais grâce à ses
« Order! Order! » les procédures
minutieuses et les traditions
surannées de la Chambre des
communes aux yeux du monde
entier avait déjà autorisé la mise
au vote de l’amendement Letwin,
qui a gâché son Super Saturday au
Premier ministre Boris Johnson.
Dimanche, dans le « Telegraph »,
même son bras droit, la députée
tory Eleanor Laing qui se présente
pour lui succéder, l’a accusé
d’avoir « pipé les d és ». Il est apparu
avec d’autres en une du « Mail on
Sunday » sous le titre « House of
fools » (la maison des idiots). « Le
pouvoir q u’on d onne au Speaker est
absolument ridicule », dit Anand
Menon, du think-tank pourtant
centriste UK in a changing
Europe.

Suprématie du Parlement
Il faut dire que dans le débat sur le
Brexit, où les positions sont sou-
vent irréconciliables, son pouvoir

ne peut que l’exposer à ce genre de
critique. Le Speaker abandonne
pour toujours toute affiliation
politique lorsqu’il est nommé –
John Bercow était tory –, mais il
distribue la parole en séance et fait
respecter l’ordre dans les débats.
Surtout, c’est lui qui autorise – ou
non – les questions d’urgence et
décide si les amendements propo-
sés par les élus sont retenus pour
être votés. En cas d ’égalité des voix,
la sienne peut faire la différence
même s’il est toujours tenu à une
certaine impartialité et à préser-
ver le statu quo pour éviter des
ruptures trop fortes. Par deux fois
au moins, l’intervention du Spea-
ker s’est révélée cruciale : l orsque,
à la grande colère de Theresa May,
il a ouvert la voie à une initiative de
l’ancien Attorney general Domi-
nic Grieve pour que le Parlement
ait le dernier mot sur l’accord de
divorce, et, plus récemment, lors-
qu’il a permis à la loi Benn-Burt
empêchant un « no deal » d’être
débattue et approuvée.
John Bercow s’est montré un
ardent défenseur du Parlement
dans la démocratie parlemen-
taire qu’est le système britanni-
que – le président de l’Assemblée
nationale française a beaucoup
moins de pouvoirs, notamment
sur les amendements. Et comme
le Parlement est bien plus Remai-
ner de cœur q ue la p opulation, les
critiques ne pouvaient que fuser.
« Il y a peu de limites formelles aux

pouvoirs du Speaker », explique
Joe Marshall, de l’Intitute of
Government. Il fait néanmoins
remarquer que le Speaker est
tenu d’écouter les clercs du Parle-
ment et ses assistants (deputy
Speakers). Il ajoute que les dépu-
tés peuvent déposer une motion
pour débattre a u sujet d u Speaker
s’ils ont des critiques à formuler.
C’est arrivé trois fois depuis 1945.
Lundi, le président d’une com-
mission a menacé d’ouvrir une
procédure parlementaire à
l’encontre de John Bercow. Ce qui
l’a laissé de marbre.

Appel à des réformes
L’actuel Speaker a annoncé qu’il
quitterait son poste le 31 octobre.
Parmi les 9 candidats en campa-
gne pour le r emplacer, dont
5 tories et 4 travaillistes, certains
proposent de rétablir la perruque
traditionnelle, d’interdire les
applaudissements ou d’autoriser
l’allaitement en séance. Surtout,
certains veulent limiter ses pou-
voirs. Harriet Harman, une dépu-
tée Labour candidate à ce poste,
estime que son rôle est l’un des
derniers pouvoirs à ne pas avoir
été réformés.
Le débat fait rage, notamment
pour qu’il soit possible de le desti-
tuer. Aujourd’hui, il faut, pour le
voir partir, attendre les prochai-
nes élections et espérer qu’il ne
soit p as réélu dans s a circonscrip-
tion, ou qu’il ne soit pas reconduit
à son poste. Certains appellent
donc à un moyen de lui retirer la
confiance de la Chambre. En tout
cas, pour la désignation de son
successeur, ce sera aux élus de la
Chambre eux-mêmes de tran-
cher le 4 novembre, sauf change-
ment d e calendrier l ié à un r ebon-
dissement du Brexit. C’est à eux
seuls, par un système de vote à
bulletin secret et à plusieurs
tours, qu’il revient de désigner
qui, en séance... les remettra à
leur place.n

John Bercow, l’ennemi


numéro un des Brexiters


Le président de la
Chambre des communes,
John Bercow, a encore
interdit un vote significatif
au gouvernement lundi.
Pour les pro-Brexit,
l’homme qui personnifie
Westminster aux yeux
du monde entier
a outrepassé ses pouvoirs.

« Le pouvoir
qu’on donne
au Speaker
est absolument
ridicule. »
ANAND MENON
Think-tank
UK in a changing Europe

MONDE


Mardi 22 octobre 2019Les Echos

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