Les Echos - 22.10.2019

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08 // MONDE Mardi 22 octobre 2019 Les Echos


populaire n’a cessé de gagner de
l’ampleur ces derniers jours, depuis
le tollé provoqué par l’annonce,
jeudi matin, de l’instauration d’une
nouvelle taxe sur les appels passés
par le biais de messageries instanta-
nées comme de WhatsApp.

L’ incapacité
du gouvernement décriée
Malgré l’annulation quasi immé-
diate de cette mesure, le méconten-
tement populaire s’est rapidement
transformé en un vaste mouve-
ment de contestation à l’encontre
du gouvernement, décrié pour son
incapacité à lutter contre la dégra-
dation de la situation économique
dans le pays et la corruption de sa
classe politique.
L’économie libanaise est au point
mort depuis le début du conflit
syrien en 2011, qui s’est traduit par
l’afflux de plus d’un million de réfu-
giés sur son territoire et par la fer-
meture de la plupart des routes
commerciales terrestres de la
région. Avec l’épuisement du
modèle rentier de l’après-guerre
civile (1975-1990), principalement

tourné vers les services financiers et
l’immobilier, la croissance de l’éco-
nomie n’a pas dépassé 0,2 % en


  1. Le taux de chômage évolue
    entre 15 % et 25 %, selon un rapport
    du cabinet de conseil McKinsey
    publié en janvier 2019. Enfin, la
    dette publique du pays, équivalente
    à plus de 150 % du PIB libanais, est
    l’une des plus élevées du monde
    derrière celles du Japon et de la
    Grèce.


Réformes économiques
« radicales »
Le chef du gouvernement a pré-
senté lundi des réformes économi-
ques « radicales », destinées à
répondre à la contestation. Ces pro-
positions incluent la réduction de
moitié des salaires des présidents,
ministres et parlementaires, en
exercice ou honoraires, l’accéléra-
tion de la délivrance de licences
pour construire de nouvelles cen-
trales électriques – un secteur
défaillant – et un accroissement de
la taxation du secteur bancaire.
Avec ces mesures, le gouvernement
table sur une réduction du déficit

Justine Babin
—A Beyrouth


Les rues ne désemplissaient pas à
Beyrouth et dans les principales vil-
les du Liban, lundi soir, après
l’annonce par le Premier ministre
libanais, Saad Hariri, d’un plan de
réformes économiques destiné à
répondre au mouvement de contes-
tation massif traversant le pays
depuis cinq jours. De quelques mil-
liers, jeudi soir, à des centaines de
milliers, lundi, la mobilisation


PROCHE-ORIENT


Le Liban traverse une
vague de contestation
inédite dans tout
le pays.


Des réformes écono-
miques présentées
par le gouvernement
pour répondre à
la crise ont été reçues
avec scepticisme.


Kurdes, lâchés par les Américains
mais soutenus par les Russes, et
pour Ankara, dont l’offensive lancée
le 9 octobre contre les forces kurdes
vise à créer une « zone de sécurité ».
Ankara affirme vouloir tenir une
bande de 444 kilomètres de long sur
30 kilomètres de profondeur, mais
risque de devoir se contenter de celle
de 120 kilomètres de long, entre la
ville de Tal Abyad, prise par les for-
ces turques au début de l’offensive,
et celle de Ras al-Aïn, abandonnée
par les Kurdes dimanche soir, con-
formément à la trêve de cent
vingt heures négociée jeudi 17 octo-
bre par Washington avec Ankara.
L’armée syrienne s’est déployée,
pour l’essentiel, de part et d’autre du
terrain contrôlé par Ankara.

Les deux présidents
se voient régulièrement
La taille et l’ avenir de cette bande, où
Recep Erdogan espère reloger jus-
qu’à 2 millions de réfugiés syriens
actuellement en Turquie, seront au
cœur des discussions entre Vladi-
mir Poutine et Recep Erdogan. Si la
diplomatie américaine a obtenu le
début de la trêve, seul Vladimir Pou-
tine, unique chef d’Etat capable de
s’entretenir avec tous les dirigeants

de la région, a les cartes en main
pour obtenir un accord à long terme
avec le président turc. Très influent
au Moyen-Orient depuis son opéra-
tion militaire en 2015 pour sauver le
régime de Damas, il orchestre à dis-
tance l’armée de Bachar Al Assad.
Avec le départ des troupes américai-
nes de leurs bases syriennes, le
Kremlin a donné son aval pour que
l’armée syrienne en prenne le con-
trôle.
Alors que les convois de soldats
américains se retirant du Kurdistan
subissaient insultes et jets de pierres
de Kurdes, Washington f aisait valoir
qu’il pourrait laisser 200 comman-
dos déployés, mais beaucoup plus à
l’est, près de la frontière irakienne,
pour sécuriser des intérêts pétro-
liers et continuer la lutte contre
Daech. Officiers et drapeaux russes
dominent désormais là où les Amé-
ricains soutenaient les forces kur-
des. Ces patrouilles russes doivent
éviter tout affrontement entre la
Syrie, qui veut profiter du vide laissé
par les Américains pour étendre son
contrôle territorial, et la Turquie,
déterminée à chasser les miliciens
kurdes, mais aussi à empêcher
l’extension de l’autorité de Damas.
Au milieu : les miliciens kurdes qui,

public de 7,5 % du PIB dans le
budget 2019 à 0,6 % en 2020.
Des annonces reçues avec scepti-
cisme au pays du Cèdre. « Men-
teur », pouvait-on entendre auprès
des manifestants, renouvelant leur
appel à la démission du gouverne-
ment. « Pas de confiance », a tweeté
l’économiste Jad Chaaban, profes-
seur associé à l’université améri-
caine de Beyrouth.
« La décision d’imposer de nouvel-
les taxes sur les banques et les assu-
rances est une erreur car ce secteur
est la première source de liquidités de
l’économie libanaise et contribue à
maintenir des taux d’intérêt accepta-
bles sur le service de la dette publi-
que », commente Nassib Ghobril,
directeur du département de
recherche de Byblos Bank.
Concernant les autres mesures,
« le délai annoncé pour leur mise en
place – d’ici à la fin de l’année – est
trop long, pour des réformes atten-
dues depuis d es années, et l’objectif de
réduction du déficit irréaliste, estime
l’expert. Le gouvernement n’a plus la
confiance des citoyens ni celle du sec-
teur privé. »n

Liban : scepticisme à l’annonce


du plan de réformes de Hariri


Le mécontentement populaire s’est rapidement transformé en un vaste mouvement de contestation à l’encontre du gouvernement,
décrié pour son incapacité à lutter contre la dégradation de la situation économique. Photo Anwar Amro/AFP


Poutine auprès d’Erdogan pour obtenir


une désescalade en Syrie


abandonnés par Washington, ont
dû, sous l’égide de Moscou, se rap-
procher du régime syrien.
Dès le départ, Vladimir Poutine
s’est bien gardé de condamner
l’offensive de Recep Erdogan contre
les Kurdes. Loin des tensions de
2015, après que la Turquie a abattu
un avion militaire russe, les deux
présidents se voient et se parlent
régulièrement. Lancés dans de mul-
tiples bras de fer avec l’Ouest, ils ont
réussi jusqu’à présent à s’e ntendre
sur le sort du nord de la Syrie, der-
nière région échappant au contrôle
de Damas, où la Turquie est le par-
rain traditionnel des rebelles et la
Russie le principal allié du régime
d’Assad.
Le rapprochement Poutine-Er-
dogan est en fait un complexe jeu
d’intérêts où la géopolitique se mêle
au militaire (achat par Ankara du
S-400, dernier-né des systèmes rus-
ses antimissiles) et à l’économie
(renforcement des échanges com-
merciaux, construction par les Rus-
ses de la première centrale
nucléaire en Turquie et du nouveau
gazoduc TurkStream). A Sotchi, les
discussions entre Vladimir Poutine
et Recep Erdogan s’annoncent donc
longues et multiples.n

Benjamin Quénelle
—Correspondant à Moscou


A quelques heures de l’expiration
du cessez-le-feu négocié par les
Américains, Vladimir Pou-
tine reçoit ce mardi après-midi
Recep Tayyip Erdogan. Le chef du
Kremlin, arbitre dans le chaos du
nord-est de la Syrie, devra avec le
président turc à Sotchi, sur les bords
russes de la mer Noire, trouver les
bases d’une solution durable. C’est-
à-dire acceptable à la fois pour les


MOYEN-ORIENT


Deux semaines après
le début de l’offensive
d’Ankara contre
les forces kurdes,
le chef du Kremlin
et le président turc
se retrouvent ce mardi
à Sotchi.


Une rencontre clef
pour trouver une suite
durable au cessez-
le-feu négocié
par Washington.


Michel De Grandi
@MdeGrandi

C’est une flambée de violence
comme le Chili n’en avait pas
connu depuis des décennies.
Depuis trois jours, le pays est en
proie à des émeutes et des pilla-
ges qui ont fait jusqu’à présent
onze morts. Après avoir ins-
tauré le couvre-feu, samedi, le
président conservateur Sebas-
tián Piñera a jugé, dimanche,
que son pays était « en guerre
contre un ennemi puissant,
implacable, qui ne respecte rien
ni personne et qui est prêt à faire
usage de la violence et de la délin-
quance sans aucune limite ».
« Demain sera une journée diffi-
cile », a prévenu le président.
L’état d’urgence, parallèle-
ment en vigueur depuis ven-
dredi soir dans la capitale, a été
étendu à neuf autres des seize
régions du pays, pendant que
près de 10.000 policiers et sol-
dats ont été déployés. Même si
c’est la première fois que des
militaires arpentent les rues
depuis la fin de la dictature du
général Augusto Pinochet
(1973-1990), les étudiants ont
appelé à de nouvelles manifes-
tations. Lundi, les transports
étaient quasiment à l’arrêt. La
veille, les bus et les stations de
métro ont été particulièrement
ciblés par les manifestations
violentes. Outre des dizaines de
supermarchés, des véhicules et
des stations-service ont été sac-
cagés ou incendiés. La plupart
des écoles sont fermées, tout
comme l’aéroport, où le couvre-
feu a surpris des milliers de
voyageurs, contraints de passer

AMÉRIQUE
DU SUD

De violentes mani-
festations ont éclaté
au Chili, obligeant
le président Piñera
à décréter le couvre-
feu et à annuler
la hausse du prix
du ticket de métro.

Le bilan est de onze
morts.

Chili : l’agitation


se poursuit malgré le


recul du gouvernement


en bref


Pedro Ugarte/AFP

En Bolivie, Evo Morales contraint
à un second tour inédit

ÉLECTION Le président bolivien sortant, Evo Morales, est arrivé
dimanche en tête de l’élection présidentielle, suivi de près par
son principal adversaire, le centriste Carlos Mesa, le contrai-
gnant à un second tour inédit dans ce pays. Avec près de 84 %
des bulletins dépouillés, le socialiste Evo Morales remportait
45,28 % des voix, tandis que Carlos Mesa totalisait 38,16 % des
votes, a annoncé la présidente du Tribunal suprême électoral
bolivien, Maria Eugenia Choque.

Vague verte aux élections législatives
en Suisse

POLITIQUE Les Verts ont réalisé une percée historique aux
élections législatives suisses de dimanche avec un score de
13,2 % pour les Verts de gauche et 7,6 % pour les Vert’libéraux.
Le premier de ces deux groupes s’est hissé au 4e rang des grou-
pes à la Chambre basse du Parlement suisse où il disposera de
28 sièges. Le parti de droite populiste U DC r emporte toutefois le
scrutin avec 25,6 % des voix mais perd 12 sièges (il n’en occupera
plus que 54). Le PS conserve sa 3e position avec 39 sièges.

la nuit dans l’aérogare. A Santi-
ago, des habitants se sont orga-
nisés pour éviter de nouveaux
saccages. Avec l’autorisation des
forces de l’ordre, ils ont monté
une garde de nuit devant des
magasins et effectué des rondes.
La hausse annoncée de 3 %
du prix du ticket de métro a mis
le feu aux poudres. La moitié d es
Chiliens gagnant l’équivalent de
500 euros par mois, cette aug-
mentation devenait inaccepta-
ble à leurs yeux. La mesure a
beau avoir été suspendue dès
samedi par Sebastián Piñera,
cela n’a pas calmé les esprits. L es
émeutes se sont poursuivies,
nourries par la colère face aux
conditions socio-économiques
et aux inégalités dans ce pays. Le
Chili reste l’un des plus inégali-
taires parmi les membres de
l’OCDE, puisque, selon les
Nations unies, 1 % des Chiliens
concentrent plus de 25 % des

richesses. Les retraites figurent
parmi les points de friction
majeurs. Confié dans les années
1990 au secteur privé, le système
par capitalisation demeure très
critiqué, car il n’offre le plus sou-
vent qu’une retraite inférieure
au salaire minimum, d’environ
400 dollars. Si l’on ajoute les pro-
blèmes liés à la s anté et à l’éduca-
tion et le marché immobilier en
surchauffe, le cocktail devient
explosif.
Cette poussée de fièvre n’a pas
manqué de surprendre les
observateurs car, vu de l’exté-
rieur, ce pays au revenu par
habitant supérieur à
20.000 dollars reste synonyme
de stabilité. Il réussit son alter-
nance politique à la tête de l’Etat
et maintient un rythme d e crois-
sance parmi les plus élevés du
cône sud-américain. Sauf acci-
dent, le PIB devrait progresser
de 2,5 % cette année (3,8 % en
2018), l’inflation, rester maîtri-
sée (2 %) et le taux de pauvreté,
se maintenir à 8,6 %.n

Le Chili est
l’un des pays les
plus inégalitaires
parmi les membres
de l’OCDE.
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