Le Monde - 05.10.2019

(Marcin) #1

Nicolas Hulot en août 2018,fait une
annonceinattendue etremarquable en direct. Ce
«momentdegrâce»,comme l’avait qualifiéavec
maladresseLéaSalamé,n’auraitpas puavoir lieu
«sans les questions deNicolas[Demorand]et de
Léa,souligne Sarda.Ilsont créé lesconditions,
non pas de sa démission, mais de son annonce.»
Le programmateur insistesur la dimensioncol-
lective de son métier.Sans les questions des jour-
nalistes, unboninvitén’enest plus un;sans la
rédaction et sescent aines dereportersqui lui
font tous les joursdes propositions, la matinale
ne bénéficieraitpasd’unetelle diversitéde
témoignages (infirmières, médecins, ensei-
gnants...). Enfin, lavolonté de la directricede
FranceInter,LaurenceBloch,desanctuariser le
pôle de programmation et de l’étoffer–l’équipe
est pass ée de deuxàcinq personnes en neuf
ans –aprofessionnalisé le métier au sein de la
radio.«C’est une autrefacet te du journalisme:il
yades programmateurs,comme ilyades rédac-
teursenchef,des chro niqueurs, des enquêteurs,
des intervieweurs...»,souligne Sarda.
Cette activitéatypique nerépond àaucunerègle.
Il n’yapasdeformation ou de diplôme,pasde
profil type,pasmême defonctions définies.
«Chaque programmateur l’estàsafaçon»,pour-
suit Mathieu Sarda, deFranceInter.Certains sont
normaliens, d’autres issus de lacom’.Certains
sontcaressantsavec les invitants, d’autres,comme
ceux de«Quotidien»,réputés agressifs.Souvent,
ils sontjeunes.«Passé uncertainâge, c’est trop
difficile d’être corvéableàmerci»,souligne une
anciennevedettedelaprofession. Defait, les jour-
nées sontlongues et le rythme intense. Unepro-
grammatriceraconte qu’elle ne déjeune jamais à
l’extérieur.Unautre, qu’il ne s’inscrit jamaisàla
moindreactivitérégulièreparce qu’il ne sait
jamaisàquoi va ressembler sa semaine.«Jenesuis
jamais serein le matin. J’ai peur que l’inviténe
vienne pas»,confieJacq ues Sanchez, qui, malgré
–ouàcause de–ses trente ans de métier,dort
toujoursavecson portable allumé.


Tous


jurentqu’ils nefont jamais
de surbooking et que,
lorsqu’ils déprogramment
un invité, c’est«àcause de l’actu».C’est souvent
vrai mais, en off, certains admettent«anticiper
un plan de secours»quand leur invitévedetteest
un peuhésitant. Ils déprogrammentalorspoli-
mentlaroue de secoursenlui promettant que
c’est«reporté».Autrecas de figure:les grands
spécialistes qui serévèlentdésastreuxface àla
caméra.Lesvidéos qui circulentsur Internet
offent une ressource utilepour présélectionner
un invité. De plus en plus de maisons d’édition
demandentàleursauteursdeseprêteraujeu.
Lesmédias sociauxBrutetLoopsidersontégale-
mentunvivier d’idéespour latélé. Avec un
bémol.«Leursvidéos sontsouventmontées,
observeune programmatrice.Ce qui signifie
qu’en direct l’invitén’est pasforcémentaussi
bon.»Pour lestalk-shows,des pré-interviews


sontdonc proposées aux invités les moinsconnus. Souvent présentéscomme des
exercices de préparation, ils serventsurtout àéliminer les«mauvais clients ».
«Quand voustombez sur l’universitairequi,aubout de sept minutes,n’atoujourspas
abordé le sujet pour lequel vous l’avez invité, vous laisseztomber»,confesse une
programmatrice. Commentsedébarrasser d’un invité?«Comme on ne dit jamais à
quelqu’un qu’il est mauvais,carc’estbrutal et mal élevé, on lui dit qu’onreporte.»
Autrefois,ce que craignaientles médias, c’étaientles imposteurs.Unepeur datée.
«Internet permet defaireletravail de vérification »,assurePascaleAssor.En
revanche, il s’agit de nepasselaisser flouerparles expert sbidon.Pour s’épargner
un telraté, il convientdepasser les CV et les publications des invités aupeigne fin,
mais les programmateursnedisposentparfois que de quelques heurespour élaborer
leur plateau, parfois moins sur leschaînes d’infoencontinu.Un jeune programma-
teur :«On est tout-terrain,ça veut direqu’en casdetyphon enAsie ou decoup d’État
en Turquie je doisréagir.Jecommencesouventpar Google.On se retrouveavec des
invités décevants, c’est normal,onalimente les chaînestoutela journée.»Et c’est ainsi
que lecheptel des vus etrevus àlat élé ne serenouvelle guère. Ces marathoniens de
l’infoont deux qualités :«leur disponibilitéetleur aisancesur un plateau»,selon une
programmatrice, qui assurenejamais enfaireson premierchoix. Jacq ues Sanchez
souligne quelemême problème sepose pour les stars:«C’est difficile defaireémer-
gerdenouveaux visagesparce que les diffuseursetles producteursréclamenttoujours
les mêmes invités. En culture, c’est:Clavier.Deneuve.Deneuve. Clavier.»
Parmi les«contraintes»qui incombentaux programmateurs, ilyales équilibres.
«Onchoisitcertains invités en se disantqu’on abesoin qu’ils défendentune position
précise»,admet un programmateur.Unpeu de droite, unpeudegauche.«Ilfaut
faireattention auxgens àqui on donne la parole,rappelle Stéphanie Secqueville.
On aune responsabilité.Avec 1500000téléspectateurs, on ne peut pas se permettre
un mauvaiscasting.»En pleine crise des«gilets jaunes», un débat aété organisé
sur le plateau entreMaxime Nicolle etMounirMahjoubi.«C’était plus intéressant
qu’un showavec M. Nicolle en invitéunique»,souligne-t-elle, enréférenceaux
vidéos plus ou moinscomplotistes qu’iladiffusées surInternet.«Onpeut bousculer
un plateau pour avoir unefemme»,explique aussiPascaleAssor.Ilyaencor ecinq
ou six ans, çan’étaitpaslecas. En 2017,après l’élection d’EmmanuelMacron, les
programmateurssesontretrouvésfaceàune classe politiquetota lementnouvelle.
«Ilafallu qu’on seréinvente»,souligne Sarda. Et qu’ilsrenouvellentleursréper-
toires téléphoniques, soudainpérimés.Leursprécieuxtéléphones,voilà un sujet
sur lequel les programmateursn’ont aucun humour.Demandez-leur s’ils l’ontdéjà
perduetvoilà que l’unetouche dubois et que l’autrefronceles sourcils.Un pro-
grammateur conservetoutes ses machines (12 vieux smartphones dans un tiroir)
«aucas où».Un dernier,qui vientd’acheter des écouteursAirPods, s’inquiètedu
phénomènemystérieux des numéros qui disparaissentaprès une miseàjour.
MathieuSarda, lui,fait des sauvegardes deuxfois parsemaine de ses3335 cont acts.
Et«jamais»il n’efface un numéro.

“C’esT diffiCile de faireémerger de nouveaux
visagesparCe queles diffuseurs eT lesproduCTeurs
réClamenTToujoursles mêmesinviTés.enCulTure,

C’esT:Clavier. deneuve. deneuve. Clavier.”
jacquessanchez,programmateurpour la chaînecnews, radio classiqueet la quotidienne de«l’opinion».

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