Jérôme Fourquet, mais de l’extérieur.Sa
vocationn’étaitpasgravé edans lesracinesfami-
liales.«Jeviens d’un milieu defonctionnaires
catholiques, de droitemodérée. J’ai grandi dans la
Sarthe, undépartementmoyen, longtempsrestéà
l’écart de la désindustrialisation ou de l’immigra-
tion.»Jeune, iln’amiliténulle part.Saf ascination
pour les mécaniques sociales lui seraitvenue par
osmose.«Néen1973, l’année qui marque peu ou
prou la fin du baby-boom et des “trente glorieuses”,
j’étais d’unecertaine manièreprogrammé pour
écrireunlivre qui décrit les fracturesqui ont
accompagné lechangementd’époque ouvert au
milieu des années 1970.»Au sortir deSciencesPo
Rennes et d’unDEAdegéographie électorale, il
tenteenvain de décrocher une thèse derecherche
en sciencespolitiques. En 1996, il entre, unpeu
pardéfaut,àl’IFOP.Ilnes’y plaît guèreets’enva
au bout d’un anet demipour être embauché à
l’institut CSAoùilfait ses preuvesavant de revenir
vers son premier employeur et d’y gravir les éche-
lons. Provincialrevendiqué –«Jenemesuis
jamaistout àfait senti parisien »,assure-t-il–ilvit
dans le quartier de Charonneavec safemme et
ses deux enfants, quiportentdes prénoms,Jean
et Constance, en phaseavec lesréalités sociolo-
giques de l’estbobode la capitale.
Plus guilleret que ne le suggèreson image,
Jérôme Fourquetpeut consacrer des heures à
pass er aupeigne fin données statistiques etrésul-
tats électoraux.L’aboutissementdeces quêtes
procureune forme de jubilationchez cethomme
qui préfèrepartir enrandonnée ou s’en aller aux
champignons qu’écumer les musées.«Mon
métier,c’est comme manger du crabe,professe-t-
il.Ce n’est qu’après avoirtout décortiqué que l’on
savoureceque l’onadans son assiette.»
Récemment, ilapris des heures sur ses loisirs
pour établir qu’ilexiste, sur un siècle, une étroite
relation entrel’attribution du prénomMarie,
marqueur de l’imprégnation catholique, et lecli-
vage politique historique entrel’est et l’ouest de
la Sarthe.«Cegenredetrouvaille,ça mefait mon
week-end!»lance-t-il,ravi.
Sa façondejongleravec les séries statistiques
pour enfairejaillir la substantifique moelle épate
ceux avec qui il travaille.«Cen’estpas un pur son-
deur.Son esprit curieux le pousse sanscesse à
confronterleréelàlareprésentation que l’on se
fait deschoses mais il saitrester dans le domaine
de l’expertise, en deçàdel’engagementpolitique »,
apprécie soncomparseGillesFinchelstein.Le
directeur de laFondationJean-Jaurès, qui ne
cachepassaproximitéaveclagauche socialiste,
travailleavec lui de longue date.Cequi n’em-
pêchepas Jérôme Fourquet decollaboreravec la
Fondationpour l’innovationpolitique,classée
plutôtàdroite. Pour autant, son ubiquitéetsa
propensionàsortir du strict cadredumétier de
sondeur et s’en aller picorer sur les plates-bandes
des chercheursensciencespolitiques–cecercle
auquell’accèslui fut naguèrerefusé au sortir d’un
institut d’étudespolitiques de province–font
parfoistousser dans un milieu où ilfaut jouer des
coudespour obtenir de la visibilité.Même si c’est
sottovoce,s’exprimentquelquesréserves.
«Fourquetal’audaced’aborder des thèmes déli-
cats àmanier mais son livrelerapproche de thèses
plutôt droitières etcela met pas mal degens mal à
l’aise »,objecteJoëlGombin, enseignantà
SciencesPo et spécialistedel’extrême droite,
avec lequel ilaparfois travaillé.«Jérôme ne
manque pas detalentpour dénicher des angles
d’attaque originaux etcapter des signauxfaibles,
mais la thématiquedelafragmentationdela
société, franchement,cela n’est pas vraimentnou-
veau »,relève pour sapart BriceTeinturier,plus
versédansl’intellig enceartificielle et l’ausculta-
tiondes réseaux sociauxpour scruter l’opinion
que dans les méthodes pragmatiquesvoirearti-
sanales de sonconfrèredel’IFOP.
Ce qui pique au vifcertains de sesconfrères, c’est
que lespolitiques sebousculentpour entendre
cettePythie quipointe«lafindelagrande classe
moyenne »au sein d’uneFrancequi adéfinitive-
mentlargué les amarres duréférentiel catholique
commedeson homogénéitéethnoculturelle.Un
pays qui,faute d’inventer un cimentcommun,
risque–redoute-t-ilàvoix bass e–desuivr ele
chemin de l’Amérique qui s’est donné Donald
Trumppour président.Fourquet appuie là où ça
fait mal mais sait mettredes mots sur les maux
des décideurspolitiques–déjà un début de sou-
lagement. Ces derniersmois, l’auteur de
L’Archipelfrançaisadonc étéprié de se livrer à
unevastetournée despopotes. Jonathan
Guémas,conseiller de l’Élysée chargé des dis-
cours, l’aconsulté–«justepour échanger »,
assureFourquet–demême que«deux ou trois
secrétaires d’État ».Ilaété invitéàs’exprimer
devant les militantsLesRépublicains etface àun
aréopage duMoDem. Début septembre, c’était
au tour du Campus desterritoires de LREM de
prendreson coursdesociologiepolitique.
«Onlui demande de nousexpliquercesmutations
que nouscomprenons mal,nous autres élus qui
avons le nez dans le guidon »,résumePatrick
Kanner,présidentdugroupesocialisteauSénat
qui l’aconvié deuxfois en quelques moisàs’ex-
primer devant ses troupes.«Avec son petit
costume, iln’arien d’une diva maisce n’est pasce
qu’on lui demande. Il est devenuune personne-
ressource et il sait parler aux politiques,ce qui en
fait est plutôtrarechez les sondeurs»,const ate
l’ancien ministredelaville deFrançoisHollande.
PatrickKannervoit àtrave rs Jérôme Fourquet
rien moins qu’un«lanceur d’alerte»qu’il assure
même sentir«plutôtàgauche ».L’intéressérefuse
vigoureusementd’infirmer ou deconfirmer.Ilne
voudraitpour rien au monde risquer decompro-
mettreladistancequ’il met,commetout profes-
sionnel de l’opinionconscientdesaréputation et
des intérêts de son institut,avec la matièrehau-
tementinflammable qu’il manipule.
Plus il esquisse les douloureuxcont oursdela
«Franced’après», plusJérôme Fourquet semble
compatir avec l’ancien monde. Ce quiferait
–presque–sortir de ses gondsce provincial
assumé, c’est la«sécession des élites parisiennes »
qu’il rudoie dans sesécrits alors qu’il épargne
plutôt les élus.«Mon métier mefait souventren-
contrerdes gens–politiques, éditorialistes,
patrons d’entreprise–qui,franchement, planent.
Pour eux, rienn’existeau-delà du périphérique et,
subitement, ils découvrentqu’ilexistedes gens en
colère, quin’arriventpas àboucler leursfins de
mois. »Pour lui,«les fautes decarreintervenues
au début du quinquennat viennentdufait que l’on
aremplacé une élitepolitico-administrative, qui
avait un minimum d’enracinement–engénéral,
des élus locaux–par une autre,hyperconnectée,
venue du secteur privé, qui neconnaît pas la
France».Etdemoquer cesparlementaires sar-
thois de la majorité«qui ontpiscine le jour où il
faut assisteràl’assembléegénérale de l’association
des maires de leur département».
Àreboursdeces happyfew nombrilistes«qui
sontcomme destouristes dans leur proprepays»,
Jérôme Fourquet préfèrebraquer son micros-
cope sur desréalités plébéiennes maispor teuses
de sens.Aprèsavoir passéaucrible levote autour
des casernes militaires ou la carte du Partianima-
listeaux européennes, il se dit aujourd’hui«intri-
gué et même un peufascinépar laFrancedes
concourscanins oucelle desCountryclubs ».
“Mon Métier,c’est
coMMeMangerducrabe.
ce n’estqu’aprèsavoir
tout décortiquéque
l’on savoureceque l’on
adansson assiette.”
Lors d’un débat organisé par l’Union
des ingénieursdes ponts, des eaux
et desforêts, le 11 septembre,àParis.
82
Paul Arnaud pour
MLem
agazine du Monde
lemagazine