Le Monde - 05.10.2019

(Marcin) #1

26 |dossier spécial SAMEDI 5 OCTOBRE 2019


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J O U R N É E N A T I O N A L E D E S A I D A N T S


Dépendance  : 


les aidants 


enfin mieux 


reconnus


Onze millions de Français apportent


au quotidien leur soutien à un proche


dépendant ou malade. Un plan de


mobilisation nationale devrait


prendre


en compte leurs difficultés


E


n France, 11 millions de person­
nes accompagnent un proche
malade, en situation de handicap
ou de dépendance, selon la der­
nière étude en la matière, celle de
la Fondation April/BVA réalisée
en 2018. La Journée nationale des aidants, le
6 octobre, est l’occasion de faire le point sur
ces individus qui assument plusieurs tâches
au quotidien en apportant soin et soutien à
un parent, conjoint, enfant ou voisin, en plus
d’assumer leur travail, de vivre leur retraite,
et même parfois de suivre leurs études.
Ce chiffre colossal, en comparaison de la
population française, cache de fortes dispa­
rités. « Il est impossible de dresser un portrait­
robot de l’aidant, car il y a quasiment autant
de profils que de personnes aidées », note
Annie de Vivie, fondatrice du site spécialisé
dans l’information aux seniors et aidants
Agevillage. com. Parmi les aidants, 52 % oc­
cupent un emploi et 58 % sont des femmes.
Autre enseignement : 57 % d’entre eux ac­
compagnent au quotidien un proche dépen­
dant en raison de la vieillesse. Des chiffres
qui risquent d’augmenter dans les vingt pro­
chaines années, puisque, selon le rapport de
Dominique Libault sur la Concertation
grand âge et autonomie, publié en mars
dernier, le nombre de personnes âgées en
perte d’autonomie, percevant l’allocation
personnalisée d’autonomie (APA), devrait
passer de 1 265 000 en 2015, à 1 582 000
en 2030 puis à 2 235 000 en 2050.

UN VÉRITABLE STATUT
Malgré tout, le rôle d’aidant ne doit pas être
cantonné à l’image d’une épouse dévouée
au côté son mari très âgé, ou d’une fille aînée
à la retraite prenant en charge ses parents
à leur entrée dans le quatrième âge. « Un
aidant assiste, à titre non professionnel, une
personne de son entourage qui est en perte
d’autonomie et avec laquelle il a un lien
affectif », explique Laure Vezin, psychologue
spécialisée dans l’accompagnement des
proches aidants à Paris. Fait méconnu : beau­
coup de moins de 25 ans répondent à cette
définition. Selon l’association nationale
Jeunes aidants ensemble (JADE), ils seraient
près de 500 000 à gérer le quotidien d’un
proche. « Ils sont écoliers, collégiens, lycéens
ou étudiants et apportent un soutien moral à
leur proche malade. Ils gèrent les aspects de
la vie quotidienne comme les courses ou
l’aide aux devoirs de leur fratrie plus jeune.
Ils s’occupent aussi des aspects médicaux et
apportent parfois même des soins », précise
Françoise Ellien, sa présidente.
Cette réalité de terrain, la disparité des
profils d’aidants, mais aussi leur rôle pivot
lorsqu’une perte d’autonomie intervient,
sont désormais mieux pris en compte par
les pouvoirs publics. La loi d’adaptation de la
société au vieillissement, entrée en vigueur

en 2016, a notamment créé le statut de
« proche aidant » afin de prendre en compte
ceux qui entretiennent des liens étroits avec
une personne âgée ou malade, sans for­
cément avoir de liens familiaux. Elle a aussi
introduit une « aide au répit » (de l’ordre de
500 euros par an), créé des congés spécifi­
ques pour les salariés qui ont besoin de ces­
ser de travailler pendant une courte pé­
riode... Un premier pas qui va dans le bon
sens mais reste, pour l’heure, insuffisant.
Ces mesures sont complétées à l’échelon
local par des opérateurs spécialisés. « Ce n’est
que très récemment que la nécessité d’une
prise en compte spécifique des aidants a
émergé. Nous développons des dispositifs en
leur direction, pour soulager leur quotidien »,
souligne Marie Bouchaud, directrice géné­
rale d’Autonomie Paris Saint­Jacques/Mai­
son des aînés et des aidants Paris Centre. Car
tous les professionnels et les études sont
unanimes : au fil des années, les aidants de­

viennent de plus en plus vulnérables. « Beau­
coup de personnes qui consacrent du temps à
un proche dont la santé est fragile arrêtent
de prendre soin d’elles. Elles oublient leur pro­
pre suivi médical et, petit à petit, l’isolement et
l’épuisement s’installent, avec parfois des con­
séquences dramatiques », constate Anne­Ma­
rie Caire, ergothérapeute libérale à Paris.
Mais s’ils commencent à être plus consi­
dérés, les aidants ne disposent pas tous
des mêmes appuis. Car les multiples aides
qui existent en France sont souvent mécon­
nues et mal utilisées. Par ailleurs, elles évo­
luent avec le temps, et une personne qui a
aidé l’un de ses parents devra se renseigner
à nouveau si elle devient proche aidant de
son conjoint quelques années plus tard.
C’est un véritable point noir, car malgré un
effort des pouvoirs publics et des associa­
tions pour favoriser l’accès à l’information,
tous les aidants disent être perdus dans leurs
recherches, à cause de la multitude de
dépliants accessibles à l’hôpital ou en mairie
et de sites à consulter.

MAINTIEN À DOMICILE
Pire : le développement de sigles et acrony­
mes, qui diffèrent parfois d’une région à une
autre. En outre, selon le type de pathologie et
le profil de l’aidé, les opérateurs ne sont pas
les mêmes. « C’est toute la difficulté, car, en
France, pour une même situation de handi­
cap, la personne va dépendre d’organismes et
donc de financements différents (Maison dé­
partementale des personnes handicapées ou
APA) selon son âge », se désole Camille Marin,
ergothérapeute au Centre hospitalier Rives­
de­Seine (Hauts­de­Seine). Un véritable
« guichet unique » mériterait donc de voir
le jour pour orienter tous les aidants touchés
par la perte d’autonomie d’un proche.
Pour pallier ce manque, l’Association fran­
çaise des aidants propose, par exemple,
des formations (en ligne ou à domicile) et a
surtout développé des « cafés des aidants ». Il
en existe aujourd’hui près de 210 en France.

UN VÉRITABLE 


GUICHET UNIQUE 


PERMETTRAIT


AUX AIDANTS


COMME AUX AIDÉS


DE S’ORIENTER PARMI 


LES DIFFÉRENTS 


DISPOSITIFS


Ces lieux sont destinés aux proches qui
doivent gérer une personne dépendante.
« Dans ces cafés, lors de sessions d’une heure
trente, qui réunissent entre 10 et 12 personnes,
chaque aidant peut échanger entre pairs
sur son expérience personnelle autour d’une
thématique, mais aussi profiter de conseils
pratiques et être aiguillé vers des solutions
dont il ignorait souvent l’existence », expli­
que Laure Vezin. Devant le succès de cette
initiative, de nombreuses associations
cherchent à se faire entendre pour que les
pouvoirs publics lancent davantage d’ac­
tions en faveur des aidants.
Le gouvernement va­t­il répondre à ces de­
mandes? Il semble en tout cas mesurer l’am­
pleur du problème. Pour preuve, entre 500 et
600 millions d’euros supplémentaires de­
vraient être consacrés à la prise en charge de
la dépendance dans le budget 2020 de la Sé­
curité sociale. Une partie de ces sommes
pourrait être utilisée pour financer des ac­
tions en faveur des proches. Logique, car « en
accompagnant un aidant, on permet à une
personne dépendante de rester le plus long­
temps possible à son domicile, et donc de
vieillir mieux et plus sereinement », insiste
Anna Schwarzkopf, directrice du centre
communal de l’action sociale de la mairie de
Courbevoie. Autre avantage, cette fois pour
les finances publiques : une personne qui
achève sa vie chez elle coûte infiniment
moins cher qu’une autre qui part en maison
de retraite ou en établissement d’héber­
gement pour personnes âgées dépendantes
(Ehpad). Reste à savoir si le rôle central des
aidants sera enfin reconnu à sa juste valeur.
Un plan de mobilisation nationale en leur
faveur devrait être présenté cet automne,
avant une réforme sur le grand âge et l’auto­
nomie, prévue pour la fin de l’année.
pauline janicot et marie pellefigue

Dossier réalisé en partenariat avec
Harmonie mutuelle

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C’est le nombre d’heures hebdomadaires pendant lesquelles une moitié
des seniors les plus dépendants sont aidés, selon une étude de la Drees
(direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques)
publiée en février 2019. A l’opposé, les moins dépendants ne reçoivent
une aide que quatre heures par semaine.
Près de la moitié des seniors aidés le sont uniquement par leur entourage,
tandis que 19 % le sont uniquement par des professionnels, le tiers restant
recevant une aide mixte, c’est-à-dire à la fois par des professionnels
et de l’entourage. Alors que les seniors les plus autonomes sont aidés
en majorité uniquement par leur entourage, l’aide mixte devient
prépondérante pour les plus dépendants. Quand les seniors sont aidés
par un membre de l’entourage, 87 % d’entre eux le sont au moins
par le conjoint ou les enfants. Environ une femme aidée sur cinq et
presque un homme aidé sur deux le sont uniquement par leur conjoint.
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