Le marchandd’art
CarloOrsireçoitdansleluxe
feutrédesa galeried’art,aucœur
du quartier de la mode,etc’est
commesi, soudain,le centrede
Milantoutentieravaitdécidé de
fairesilence. Unecouretteàtraver-
ser, deuxpièces d’exposition
sombresetépuréesavecune
demi-douzained’œuvres,puisun
coin dejardin pour parler detout et
derien...Décontracté, il converse
doucementenprononçantles «r»
àlafrançaise,àlamanière des
aristocrates duxixesiècle. Le
métier d’antiquaire estuncom-
merce, certes,maisiln’est pas
interditde l’exercerenseigneur.
«Depuisl’installation desa galerie,
au débutdes an nées 1950,mon
pèreavait uneexcellenteréputa-
tion. Je n’ai eu qu’à poursuivre»,
raconte-t-il sans faussemodestie.
À65ans,Carlo Orsi estintarissable
surles mutations desa profession,
dontil estdevenuunefiguretuté-
laire.«Quand j’ ai commencé,ilya
quatre décenn ies,j’étaissanscesse
dehors,jef aisais desventestous
lesjours.Àcette époque,acheter
desmeublesanciens et des
œuvres d’artallait de soidans
n’importe quelle famillebour-
geoi se.Maiscette clientèleadis-
paru .Aujourd’hui, le téléphonene
sonne presqueplus,celafaitdes
années qu’onnem’a pas appelé
pour me demander,“ciao Carlo,
qu’est-ceque tu as ence
moment?” Désormais,nousfai-
sons unedizaine d’op érationspar
an.Maisc’est pl us précis,chaque
venteest un travaildel ongue
haleine.»Trouverdes œuvres à
vendre,publierdes cataloguesrai-
sonnés,chercher l’acheteuridéal...
Telest le quotidiend’unmarchand
d’art.«Aujourd’hui,résume-t-il,on
travaille surmesure.»
Letravails’est ralenti,donc,mais
cela n’exclut pasdes momentsde
frénésie.C’est ce quevit CarloOrsi
depuisquelques semaines.
Premiercoupd’éclat lorsde
la Biennale desantiquairesde
Florence (21-29septembre) :l’annoncedelavented’unbuste du
papeUrbain VIII (MaffeoBarberini)
réalisépar le Bernin –l’œuvre
appartient àlacollectionperma-
nentedupalaisCorsini.Saisissant
deperfection,cebronzed’unmètre
dehauttrônedans le standde
l’antiquaire,situéàl’entréedela
biennale.«Cette pièce aune vale ur
historique considérable.Elle est
restéedanslamêmefamillepen-
dant troi ssiècles et demi .Sad esti-
nationnaturelle estung randmusée
italien, çaparaîtévident»,juge
CarloOrsi. Lemarchandd’art
espèrela vendre environ10mil-
lionsd’euros.«Mais,si elle arrive
à8ou9,jepense qu eCarlo sera
déjà content»,estimeunconcur-
rent.Le20septembre, la galerie
Borghèse,àRome, afaitpartde
son«grandintérêt», et annoncé
qu’ellelançait unprojet de finance-
mentparticipatif.
Àl’échelle dumarchéitalien, une
telletransactionestdéjàconsidé-
rable.«Cequ’il fau tcomprendre,
expliqueValentinaRossi,historiennedel’art et collaboratrice
deCarloOrsi,c’estque le sœuvres
“notifiée s” parleministère des
biens culturel snepeuvent plus sor-
tir d’ Italie sans qu el’Étatsoitobligé,
commeen France,del es préemp-
ter. Résu ltat :ilyadeux marchés,
l’italien, où le sœuvresàvendre
sont nombreusesetl es acheteurs
potentiels rares ,etl es œuvres hors
d’It alie,pourlesquellesles cotes
s’envolent.»Selon lesprofession-
nels,les prix destransactions,sur
le marchémondial,sontcinqàdix
fois plus importants queles prix
italiens.Pources raisons,Carlo
Orsi aégalementdes bureaux au
Royaume-Uni,etc’est àLondres
qu’ils’apprêteàtenteruncoup
plus retentissant encore:lavente
surlemarchémondial du dernier
Botticelli àapparteniràdes mains
privées. Àl’évocation deceprojet,
le flegmatiqueantiquaire semble à
deuxdoigts desortir desa réserve.
«Une ventecommeçan’arrive
qu’une foisdans la vie»,souffle-t-il.
Sortid’Espagneavecunepermis-
siontemporaire,lefascinant por-
traitdeMichelMarulleappartient
auxquatorze descendants de
l’hommepolitique etcollection-
neurFrancescCambó(1876-
1947). Exposédepuisvingt ansà
Madrid aumuséeduPrado, il sera
présentédu3au6octobredans
le cadredeFriezeMasters,une
grandefoired’art londonienne.
Deuxansaprès la venterecord
duSalvatorMundideLéonardde
Vinci, pour 450millions de dollars
(382millionsd’euros) lorsd’une
vented’art contemporain,la
tentationestforte de suivrecet
exemple.«Biensûr,Botticelli,ce
n’estpas Léonard,convient Carlo
Orsi,mais c’esttoutdemêmeun
nommagique.Etp uisceportr ait
estsip uissantqu’il pourraittrouv er
un ac heteur en dehors descercl es
traditionnels.»L’ antiquaire afait
savoir qu’ilenattendaitaumoins
30 millionsd’euros,maisleprix
de la transactionrisqued’être
beaucoupplus élevé.«Entre nous,
ce Botticelli,mêmeà50million s,
quandoncompare avec lesprix
desgrands de l’ artcontempor ain,
c’estunprixd’ami.»Carloorsi,l’art de la vente.
TexteJérômeGauThereT
PhotoPietroPaolini/TerraProjectà65a ns,cem archand d’artitalien s’apprête àréaliserl’undes plus
beauxcoupsdesacarrière:lav ente ,àLondres, du dernier Botticelli
détenupar un privé. Unetransaction de plusieursmillions d’euros.
Carlo Orsi,
le 28 septembre,
àFlorence.Àdroite,
un buste du pape
Urbain VIII par
le Bernin, qu’il
espèrevendre
10 millions d’euros. Pietr
oPaolini/TerraProject pourMLemagazine du Mondelasemaine