Courrier International - 26.09.2019

(Tina Sui) #1

Courrier international — no 1508 du 26 septembre au 2 octobre 2019 13


des exportations de pétrole en provenance du
Moyen-Orient. L’opération Tempête du désert,
en 1991 [lorsque l’Irak avait envahi le Koweït],
n’était ni une “guerre pour le pétrole” ni une
guerre destinée à protéger le transport de cette
précieuse ressource. Comme le président amé-
ricain George H. W. Bush l’avait clairement
indiqué à l’époque, la décision de déployer
540 000 Américains en Arabie Saoudite, puis
d’utiliser la force pour bouter le président ira-
kien Saddam Hussein hors du Koweït, était jus-
tifiée par certains principes, notamment cette
violation flagrante des règles internationales
qui consiste pour un pays à vouloir s’en appro-
prier un autre.
Le précédent que Saddam allait créer était tout
simplement trop dangereux. Cette explication
se tenait, mais la violation du droit internatio-
nal menaçait également les intérêts américains.
S’il s’en était tiré, Saddam aurait probablement
commencé à menacer Israël, l’Arabie Saoudite
et d’autres pays – engendrant des perturbations
dans l’approvisionnement en pétrole – et ainsi
défier l’hégémonie américaine.

Il n’y a pas qu’en période de crise que les
États-Unis surveillent de près la manne pétro-
lière. Toute leur stratégie dans la région, depuis
les affaires diplomatiques courantes jusqu’aux
dossiers brûlants, est destinée à assurer le pas-
sage des pétroliers dans le détroit d’Ormuz en
toute sécurité.
Les parlementaires à Washington sont depuis
longtemps obligés de composer avec des géné-
raux, des rois et des présidents qui tyrannisent
leur propre peuple, se moquent des valeurs
chères aux Américains et exigent que les États-
Unis assurent leur sécurité, le tout à cause du
pétrole. Au sommet du G7 à Biarritz, en août
dernier, le président américain Donald Trump a
déclaré que le dirigeant égyptien, Abdel Fattah
Al-Sissi, était son “dictateur préféré”. Mais l’at-
tirance personnelle du président – aussi

—Foreign Policy Washing ton

D


epuis la fin de la Seconde Guerre mon-
diale, la politique américaine au Moyen-
Orient est motivée par trois intérêts
stratégiques fondamentaux : assurer la
libre circulation des ressources en énergie
de la région, préserver la sécurité d’Israël
et veiller à ce qu’aucun État ou regroupement
d’États ne puisse contester la puissance amé-
ricaine et mettre les deux autres intérêts en
péril. En d’autres termes, outre les raisons stra-
tégiques, historiques, morales et politiques de
la relation “spéciale” entre les États-Unis et
Israël, le pétrole est l’unique raison pour laquelle
les États-Unis sont investis au Moyen-Orient.
Après l’attaque perpétrée contre les plus gros
sites pétroliers d’Arabie Saoudite, le moment
est donc décisif. La façon dont réagira l’admi-
nistration Trump permettra de savoir si les
élites américaines considèrent toujours les res-
sources énergétiques comme fondamentales
aux intérêts du pays et si les États-Unis sont
vraiment en train de se désinvestir complète-
ment du Moyen-Orient, comme beaucoup le
soupçonnent dans la région.
Quand on a appris le 14 septembre que les
sites saoudiens d’Abqaiq et de Khurais avaient
été pris pour cible et que les coupables étaient
probablement les houthistes [ce sont eux qui ont
revendiqué les attaques, attaques qui semblent
pourtant provenir du territoire irakien ou ira-
nien], les spécialistes de politique étrangère
ont commencé à débattre de la responsabilité
de l’Arabie Saoudite dans la crise au Yémen,
de l’influence que l’Iran exerce sur ces hou-
thistes et des adversaires réels des Saoudiens.
Ce questionnement n’a fait que s’intensi-
fier quand le secrétaire d’État américain Mike
Pompeo a accusé l’Iran d’être l’auteur de ces
attaques. D’après certains commentateurs,
Mike Pompeo – partisan d’une ligne dure contre
l’Iran – est dans l’exagération quand il incri-
mine les Iraniens, alors que Téhéran n’était sans
doute qu’indirectement responsable. Une posi-
tion qui se tient, étant donné que l’Iran a tou-
jours cherché à éviter la confrontation directe,
fournissant à ses intermédiaires argent, avan-
cées technologiques et armes pour faire le sale
boulot à sa place dans la région.
Depuis 1945, les États-Unis adoptent des stra-
tégies destinées à garantir le bon acheminement

On ne peut plus compter


sur l’Oncle Sam


Washington a toujours réagi lorsque la libre circulation du pétrole
du Moyen-Orient était menacée. Le silence actuel de Trump
montre-t-il que cette région n’intéresse plus les États-Unis?

Toute la stratégie des
Américains dans la région
est destinée à assurer
le passage des pétroliers
dans le détroit d’Ormuz
en toute sécurité.

Les trois impossibles


options américaines


L’Orient-Le Jour décrypte les trois
options à disposition de Washington,
qui semble pour le moment vouloir
gagner du temps...

Ne pas répondre militairement
à la frappe attribuée à l’Iran. Cette
option s’accorde avec l’intention
de Washington de ne pas s’engager dans
un conflit ouvert. D’autant que l’Arabie
Saoudite n’a plus la cote auprès des
Américains. Donald Trump semble miser
pour le moment sur une guerre verbale
par tweets interposés avec les officiels
iraniens et une riposte limitée aux
secteurs économique et financier. Mais
s’en tenir à cette stratégie présenterait
pour Washington le risque de voir
la crédibilité de son parapluie sécuritaire
remise en question – non seulement par
ses alliés arabes, mais aussi occidentaux.

Frapper directement l’Iran. C ’es t
l’option la plus radicale. Pour le New York
Times, les planificateurs militaires
u Pentagone ont transmis une liste
de cibles iraniennes pouvant constituer
une réponse proportionnelle : la raffinerie
de pétrole d’Abadan, en Iran, ou l’île
de Kharg, la plus grande installation
d’exportation de pétrole du pays. Parmi
les autres cibles potentielles : les sites
de lancement de missiles balistiques
et des bases sous la direction des Gardiens
de la révolution. Toutefois, “attaquer
directement l’Iran pourrait entraîner
une réaction immédiate de Téhéran.
Le ministre iranien des Affaires étrangères,
Mohammad Javad Zarif, a prévenu qu’une
frappe directe américaine ou saoudienne
contre l’Iran entraînerait inévitablement
une ‘guerre totale’ dans toute la région.”

Frapper la présence iranienne
au Moyen-Orient. En Syrie, les Américains
pourraient cibler des positions
des Gardiens de la révolution. Mais deux
éléments compliquent cette opération :
le parapluie militaire russe – notamment
les missiles S-300 et S-400 implantés
n Syrie – et la symbolique plus faible
de cette option – la Syrie est en guerre,
et Israël mène déjà des frappes sur
les positions des combattants iraniens
ou pro-iraniens. C’est donc chez le voisin
irakien qu’une réponse américaine semble
la plus “appropriée”. “Mais une telle
frappe mettrait en danger des milliers
de soldats américains présents en Irak.
Bagdad pourrait aller jusqu’à demander
le départ des troupes américaines”,
conclut le quotidien de Beyrouth.

Analyse


← Appel d’urgence
de l’Arabie Saoudite :
“Allô, le Pentagone?
Envoyez-nous deux
milliers d’hommes,
v ite.”
Dessin de Danziger
paru dans The Rutland
Herald, états-Unis.

À la une


→ 

“Les bariLs
de La guerre”,
titre Expert
à Moscou.
“Les houthistes
vont-ils déclencher
la Troisième Guerre
mondiale ?” Selon
le journal conservateur,
“l’Iran et la coalition
américaine vont jouer
la carte du pétrole
cher et de provocations
régulières, jusqu’à
ce que l’un des camps
craque”.

“Le trio
infernaL”
Le fanatique [Ali
Khamenei], la tête
brûlée [Mohammed
ben Salmane] et
l’imprévisible [Donald
Trump] : ce qu’une guerre
dans le Golfe signifierait
pour le monde entier”,
titre Der Spiegel
le 21 septembre.
Une escalade du conflit
serait “un danger sérieux
pour la conjoncture
internationale”, analyse
l’hebdomadaire.
Free download pdf