Courrier International - 26.09.2019

(Tina Sui) #1

  1. À LA UNE Courrier international — no 1508 du 26 septembre au 2 octobre 2019


Nous Ne sommes pas


les merceNaires de riyad


Trump devrait jouer la désescalade et faire revenir les États-Unis
dans l’accord sur le nucléaire iranien, affirme ce chroniqueur.

—The New York Times (extraits) New York

R


obert Gates, qui fut ministre de la Défense [de
George W. Bush puis de Barack Obama], disait
de l’Arabie Saoudite qu’elle était “prête à com-
battre les Iraniens jusqu’au dernier Américain”.
C’est un cauchemar dans lequel nous pour-
rions bien sombrer. Le secrétaire d’État,
Mike Pompeo, estime que l’Iran a commis un “acte
de guerre” en attaquant des installations saou-
diennes de raffinage du pétrole [le 14 septembre].
Plusieurs va-t-en-guerre influents à Washington,
comme le sénateur républicain Lindsey Graham,
plaident désormais pour des frappes contre des
raffineries iraniennes. De son côté, Téhéran aver-
tit qu’en cas d’attaque sa riposte sera
“immédiate et écrasante”.
Si l’Iran est bien à l’origine de l’at-
taque contre l’Arabie Saoudite, c’est
une provocation grave. Mais on peut
se demander si ce n’est pas précisé-
ment parce qu’ils ne voient que fan-
faronnades et menaces en l’air chez
Trump que les dirigeants iraniens font preuve
d’une telle audace. “Ce n’est pas un lion, c’est un
lapin”, résumait récemment Ali Bigdeli, analyste
politique à Téhéran, dans un article publié dans
nos pages. En l’absence de vraie réaction après les
attaques de pétroliers [en mer d’Oman] en mai-
juin, ni quand un drone américain a été abattu
par l’Iran en juin, il est tentant de conclure que le
président américain est poltron comme un lièvre.
Résultat : les faucons exhortent aujourd’hui
Trump à durcir le ton et à envisager des frappes
contre des cibles en Iran. Mais cela pourrait se
révéler plus dangereux encore que de proje-
ter une image de faiblesse, car l’escalade pour-
rait aller très vite. L’Iran serait tenté de riposter
par des attaques contre l’Arabie Saoudite, les
Émirats arabes unis ou Bahreïn, et de cibler les
troupes américaines stationnées en Irak ou en
Afghanistan. Une guerre ouverte contre l’Iran
serait catastrophique. Ce pays deux fois plus
peuplé que l’Irak est un adversaire infiniment
plus redoutable que son voisin.
Trump est donc face à un vrai dilemme : ne
rien faire et passer pour un faible, ou lancer
des actions militaires qui risquent de dégéné-
rer en cataclysme. Mais c’est un dilemme dans
lequel il s’est enfermé tout seul. Si nous sommes
dans cette panade aujourd’hui, c’est parce que
Trump a jeté aux orties l’accord de 2015 sur le
nucléaire iranien. L’idée des faucons était qu’en
intensifiant au maximum la pression sur l’Iran,

Téhéran finirait par courber l’échine – sauf que
c’était oublier que les Iraniens, aussi, pouvaient
accroître leur pression sur nous.
Hélas, hors de l’accord sur le nucléaire, il n’y a
point de salut. Nous devrions chercher des moyens
de renouer avec cet accord, et des astuces pour que
Trump comme le chef suprême iranien puissent
sauver la face et crier victoire. Je crains pourtant
que nous n’allions droit au conflit. Personne ne
veut la guerre, mais sortir de cette crise néces-
siterait des trésors de diplomatie, et l’équipe de
Trump n’excelle vraiment pas dans ce domaine.
Nous ne sommes ni le chien de garde de l’Ara-
bie Saoudite ni son toutou. Certes, l’Iran est un
danger pour la sécurité internationale – mais
l’Arabie Saoudite aussi. C’est Riyad qui
a causé la rupture avec le Qatar et créé
au Yémen la pire crise humanitaire du
monde. Attaquer des installations pétro-
lières saoudiennes constitue une viola-
tion du droit international – tout comme
le fait d’assassiner et de démembrer le
chroniqueur du Washington Post Jamal
Khashoggi [en octobre 2018].
L’Arabie Saoudite détient toujours dans ses
geôles Loujain Al-Hathloul, nommée pour le prix
Nobel de la paix, torturée et agressée sexuelle-
ment pour sa lutte pour les droits des femmes.
Le royaume lui aurait proposé la liberté à condi-
tion qu’elle déclare publiquement n’avoir jamais
été torturée ; la militante, courageuse, a refusé.
S’il veut prendre un avis en Arabie Saoudite
avant de partir en guerre contre l’Iran, Trump
serait bien avisé de passer un coup de fil non seu-
lement au meurtrier qui occupe le trône, mais
aussi à cette héroïne emprisonnée.
Si le prince Mohammed ben Salmane sou-
haite réagir par la force aux frappes aériennes
contre ses installations pétrolières, qu’il envoie
les avions de chasse et les missiles de son pays.
Ce combat n’est pas le nôtre. Aucun Américain
ne doit y laisser la vie.
C’est une lutte entre deux régimes répressifs et
misogynes qui tous deux déstabilisent leur région.
Et quand Trump évoque une rétribution pour la
défense de l’Arabie Saoudite, il insulte nos sol-
dats en les présentant comme des mercenaires
à la solde d’un potentat voyou.
Au lieu de tout cela, nous devrions coopérer
avec les pays européens pour nous sortir de cette
sale affaire et trouver le moyen de revenir dans
l’accord sur le nucléaire iranien.
—Nicholas Kristof
Publié le 18 septembre

Les événements dans le golfe


Persique ont montré aux


dirigeants iraniens qu’ils


pouvaient aller toujours plus


loin, en toute impunité.


gênante soit-elle – n’est pas le moteur
de cette relation. L’Égypte et le canal de Suez
sont des éléments clés dans cet ordre régional
assuré par les États-Unis, ordre qui leur permet
de défendre leurs intérêts, la libre circulation
des ressources énergétiques notamment.
Néanmoins, l’importance – vitale – du pétrole
pour les États-Unis pourrait très bien décliner,
à mesure que la technologie évoluera et rendra
les énergies alternatives, les véhicules élec-
triques et le stockage des batteries plus efficaces
et moins coûteux. En attendant, les ressources
en énergie du Moyen-Orient sont d’un intérêt
capital pour le pays. Les croissances améri-
caine et mondiale (qui sont inextricablement
liées) restent fondées sur les énergies fossiles,
rendant d’autant plus étonnante la passivité
de l’administration Trump face aux menaces
qui pèsent sur ces ressources fondamentales.
Les événements dans le golfe Persique ont
montré aux dirigeants iraniens qu’ils pouvaient
aller toujours plus loin, en toute impunité. Au
cours du printemps et de l’été, le corps des
Gardiens de la révolution islamique [la milice
du régime iranien] a commencé par poser des


mines sur des pétroliers, avant d’abattre un
drone américain puis de perturber la circu-
lation des pétroliers dans le détroit d’Ormuz.
La réaction de l’administration Trump a été
plutôt timorée, avec la mise en place d’une
nouvelle mission de sécurité maritime et de
sanctions [peu efficaces] à l’encontre des res-
sortissants iraniens. Ce qui, à en croire Mike
Pompeo, a encouragé l’Iran à frapper les infras-
tructures pétrolières de l’Arabie Saoudite, et
donc à priver le marché mondial de quanti-
tés importantes de brut. C’est ce qui arrive
quand vous laissez Téhéran se persuader que
le golfe Persique lui appartient.
Les Iraniens – et les autres opposants aux
États-Unis dans la région – ont toutes les rai-
sons de croire que Trump est surtout un fort
en gueule. Personne ne veut la guerre, mais si
les États-Unis avaient riposté après la perte
de leur drone abattu par l’Iran, les Iraniens
auraient peut-être réfléchi à deux fois avant
d’attaquer Abqaiq et Khurais.
Bien sûr, aucune décision n’est sans risque, et
les risques d’un embrasement du conflit régio-
nal ne manquent pas, pourtant les Iraniens
mettent à rude épreuve toute la logique des
investissements américains au Moyen-Orient
de ces soixante-dix dernières années. Si Trump
ne réagit pas militairement, les États-Unis
n’auront plus qu’à faire leurs valises et à ren-
trer chez eux.
—Steven A. Cook
Publié le 17 septembre


La discrétion
d’o’Brien
Quatrième conseiller
à la sécurité nationale
de Donald Trump
en trois ans, Robert
O’Brien devra
“s’adapter au style
de management peu
orthodoxe de Trump
et trouver comment
influencer le président
sans se l’aliéner”,
indique The Hill. 
Pour le quotidien
de Washington, O’Brien,
nommé le 18 septembre,
partage avec son
prédécesseur, John
Bolton, une vision
“de faucon” et défend
lui aussi l’idée
d’une présence
américaine “robuste”
à l’étranger. Mais
il devrait se distinguer
par une approche
plus “discrète” et plus
en phase avec Trump,
notamment pour
“faire face à la menace
chinoise et poursuivre
les efforts diplomatiques
sur le programme
nucléaire de la Corée
du Nord”.

Repères


opiNioN

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