Courrier International - 26.09.2019

(Tina Sui) #1

  1. À LA UNE Courrier international — no 1508 du 26 septembre au 2 octobre 2019


L’Iran en position


de force


Avec ses attaques contre des sites pétroliers saoudiens, le régime
iranien a démontré sa capacité de nuisance, et se trouve maintenant
en meilleure posture pour ouvrir un dialogue avec Donald Trump,
constate ce magazine américain.

—Foreign Affairs Ne w Yo rk

L


e président Donald Trump ne croit plus que
sa politique de “pression maximale” mettra
l’Iran à genoux. Le fait qu’il ait limogé [le
10 septembre] John Bolton, son conseil-
ler à la Sécurité nationale, en est un bon
indice. Et les récentes attaques contre des
sites pétroliers saoudiens laissent à penser que
la stratégie de Bolton, censée amener à une capi-
tulation de l’Iran, n’aura fait au contraire que
susciter une escalade iranienne et nous amener
très près d’une guerre.
En limogeant Bolton, Trump envoie un mes-
sage clair : il serait prêt à atténuer les sanctions
contre l’Iran, dans le but d’obtenir au moins un
succès en politique étrangère avant que sa cam-
pagne pour la réélection [en 2020] ne passe à la

vitesse supérieure. Mais le succès d’une main
tendue américaine dépendra de la manière dont
elle sera perçue par Téhéran, où un intense
débat est en cours sur la question de savoir s’il
faut ou non négocier directement avec Trump.

Le piège de la diplomatie. Jusqu’à présent,
Téhéran s’est refusé à engager des négociations
tant que les États-Unis ne respecteraient pas l’ac-
cord sur le nucléaire. Ayant déjà conclu un accord
risqué avec Washington, les Iraniens n’ont aucune
envie de faire des concessions pour un pays qui a
violé ce traité et tourné en dérision les négocia-
tions délicates qu’il a fallu mener pour y aboutir.
Par ailleurs, Téhéran est convaincu que l’objec-
tif final de Trump n’est autre qu’un changement
de régime à Téhéran, suivi d’une capitulation
totale. Depuis des années, c’est par ce prisme

Les Iraniens ont observé
que Donald Trump
s’avérait souvent incapable
d’aller jusqu’au bout
des négociations.

que Téhéran analyse toutes les actions de Donald
Trump. Si Washington proposait de dialoguer,
les dirigeants iraniens estimaient que Trump
avait sans doute l’intention de faire échouer les
pourparlers, d’attribuer l’échec à Téhéran, puis
de mobiliser la communauté internationale pour
mener sa guerre économique. La diplomatie avec
Trump n’était qu’un piège. Même si Téhéran
pouvait imaginer que les intentions de Trump
n’étaient pas si suspectes, il n’avait aucune raison
de croire que des négociations puissent aboutir
à un accord, et encore moins à un accord que
Trump respecterait.

De plus, Trump a traité avec déférence les
opposants farouches à des négociations entre
Washington et Téhéran, notamment le Premier
ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Les
dirigeants iraniens jugeaient le président améri-
cain non seulement indigne de confiance, mais
aussi assujetti aux ennemis de la diplomatie à
l’intérieur de son cercle.
Quand le président américain s’est montré prêt
à négocier, les Iraniens ont observé qu’il s’avérait
souvent incapable d’aller jusqu’au bout : Téhéran
a étudié de près les relations de Trump avec les
Nord-Coréens et en a conclu que le président
des États-Unis n’avait ni les aptitudes ni la capa-
cité de concentration suffisante pour s’assurer
que sa propre bureaucratie mettrait en œuvre
ses promesses.
Et même si certains, à Washington, font valoir
que les présidents américains “légitiment” les
États étrangers en rencontrant leurs dirigeants,
les leaders iraniens perçoivent tout autrement de
telles rencontres. Être considéré comme redevable
de quelque chose envers les États-Unis est poli-
tiquement désastreux dans le contexte iranien.
Pour cette raison, les séances photo avec des
responsables américains ont un coût très élevé, et
n’offrent que peu d’avantages, voire aucun. Aussi,
le président iranien Hassan Rohani a-t-il refusé
de rencontrer le président Barack Obama à New
York, alors même que l’accord sur le nucléaire
était signé. Une poignée de mains avec Trump
serait bien plus risquée pour Rohani.
Trump a indiqué qu’il aimerait rencontrer
Rohani à l’occasion des réunions de l’Assem-
blée générale des Nations unies [du 17 au 30 sep-
tembre]. Il s’imagine peut-être qu’il va obtenir
une bonne séance photo et qu’il pourra ensuite
déclarer qu’il est le premier président américain
à avoir rencontré son homologue iranien depuis
la révolution [iranienne] de 1979.
Mais il en faudrait beaucoup plus à Rohani
pour qu’une telle rencontre (et les risques qu’elle
comporte) en vaille la peine. Le président iranien
devrait pouvoir dire à son retour qu’il a rempli
les objectifs de désescalade de son pays et qu’il
a mis fin à la guerre économique de Trump – ce

TriTa Parsi
Né en 1974 en Iran,
Trita Parsi grandit
en Suède où sa famille
s’est installée pour fuir
le régime islamique.
Il travaille pour
la Mission permanente
de Suède auprès
des Nations unies
à New York, où il siége
au Conseil de sécurité
puis il est professeur
auxiliaire en relations
internationales
à la Johns Hopkins
University. Trita Parsi
a fondé en 2002 
le Conseil national
irano-américain (NIAC),
“dont le but est de faire
entendre la voix
des Irano-Américains
et de promouvoir
une meilleure
compréhension entre
les peuples américain
et iranien”.

L’auteur

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