Courrier International - 26.09.2019

(Tina Sui) #1

Courrier international — no 1508 du 26 septembre au 2 octobre 2019 les sCénarios du pire. 17


Le nucléaire protège les mollahs


Pendant toutes les années de confrontation entre les États-Unis
et l’Iran, Téhéran a appris comment traiter avec Washington,
mais la réciproque n’est pas vraie, constate The Hill. Pourtant,
assène le journal politique de Washington, “aucune connaissance
particulière de la doctrine musulmane chiite n’est nécessaire
pour comprendre deux faits fondamentaux.
1) Le programme nucléaire iranien est nécessaire pour garantir
l’avenir de la république islamique. Aucun régime avec une bombe
n’a été renversé. Si vous abandonnez votre programme nucléaire,
à l’instar de Kadhafi en Libye, le régime peut s’effondrer.
2) Pour Téhéran, la sécurité de l’acheminement du pétrole
devrait incomber aux seuls pays du Golfe. Un constat qui exclut toute
intervention américaine ou étrangère. Et donc si l’Iran
ne peut pas exporter de pétrole, les autres pays du Golfe
ne le peuvent pas non plus.”

Décryptage


qui ne serait pas simplement une pause dans les
hostilités, mais un repli.
Téhéran demande désormais que Washington
lève les sanctions avant qu’une rencontre puisse
avoir lieu : Rohani ne peut pas rentrer à Téhéran
après avoir serré la main de celui-là même qui se
vantait d’écraser l’économie iranienne, menaçait
l’Iran d’anéantissement et cherchait à déstabiliser
le pays. Malgré cela, une rencontre États-Unis –
Iran, sous une forme ou une autre, n’est pas inen-
visageable. Téhéran et Washington risquent de
perdre du capital politique s’ils ne dialoguent pas.


Responsabilités. L’économie iranienne a
énormément souffert des sanctions qu’a impo-
sées le gouvernement Trump, mais il n’y a guère
de signes d’effondrement. Au contraire, Téhéran
a bien mieux tenu le choc que Trump ne l’avait
apparemment prévu.
En outre, l’hostilité ouverte que la Maison-
Blanche a montrée envers l’Iran – depuis le refus
de délivrer des visas aux Iraniens, mesure extrê-
mement pénalisante pour la population, jusqu’au
fait d’imposer les “sanctions les plus fortes de l’his-
toire”, tout en affirmant hypocritement que le
peuple iranien n’allait pas en souffrir – fait qu’ap-
paremment ce sont les États-Unis qui sont tenus
pour responsables des difficultés du pays.
La population iranienne paraît peu dispo-
sée pour l’instant à descendre dans la rue pour
protester contre son gouvernement. En fait,
un rapport israélien révèle que les manifesta-
tions en Iran ont fortement diminué depuis
octobre 2018, malgré la détérioration de la
situation économique.
Mais le fait que Trump ait renvoyé Bolton et
qu’il cherche à tout prix à négocier pourrait com-
pliquer les choses pour Téhéran. Si des pour-
parlers n’ont pas lieu et que Trump renforce les
sanctions économiques, la population pourrait
en conclure, à tort ou à raison, que l’Iran a laissé
échapper une belle occasion de désescalade.


Ce sont apparemment
les États-Unis - et non
le gouvernement iranien
qui sont tenus pour
responsables des difficultés.

Les Iraniens pourraient alors diriger leur colère
contre le pouvoir religieux. Et même si Téhéran
a prouvé qu’il pouvait résister aux sanctions de
Trump, il n’est pas certain qu’il puisse tenir face à
la colère de la rue, si un grand nombre d’Iraniens
estiment que ce sont les dirigeants iraniens – et
non Trump – qui sont la cause des tourments
économiques du pays.
Afin de ne pas être perçu comme ayant manqué
une occasion de désescalade, le gouvernement
Rohani pourrait amorcer un mouvement pru-
dent dans le sens d’une rencontre avec le pré-
sident américain. Certes, on est fondé à penser
que l’Iran prépare depuis quelque temps des
négociations, qui pourraient avoir lieu dans un
avenir plus ou moins proche, en multipliant les
moyens de pression.
Ces derniers mois, l’Iran a cessé de respecter
certaines des limitations prévues par l’accord
sur le nucléaire, notamment celles concernant
ses stocks d’uranium faiblement enrichi. Il se
peut qu’il soit à l’origine des attaques contre

des pétroliers dans le golfe Persique, attaques
qui ont ébranlé les marchés et accru le risque
de guerre. Il a abattu un drone américain très
perfectionné en affirmant que ce dernier avait
violé son espace aérien, témoignant de capaci-
tés et d’une volonté politique qui ont surpris les
États-Unis et leurs alliés.
La plupart des pays auraient fermé les yeux sur
un drone américain venu espionner leur territoire.
En abattant un tel engin, l’Iran a démontré qu’il

était prêt à faire la guerre avec les États-Unis en
cas d’attaque.
Puis il y a eu les raffineries de pétrole incendiées
en Arabie Saoudite. Ces attaques ont provoqué la
plus forte baisse de production pétrolière de l’his-
toire, entraînant une hausse de 19 % du prix du
pétrole. Si les prix continuent de monter, le monde
va se rapprocher dangereusement d’une réces-
sion, ce qui pourrait notamment coûter sa réélec-
tion à Trump. Si l’Iran est derrière ces attaques,
directement ou indirectement, cela montre qu’il
peut causer des dommages importants, ayant des
conséquences désastreuses pour tous.
En démontrant ses capacités, Téhéran cherche
à la fois à augmenter ses moyens de pression et à
dissuader un éventuel agresseur. Mais de même
que Trump n’a pas pu transformer ses sanc-
tions en vrais moyens de pression sans mener
des négociations directes avec l’Iran, Téhéran va
aussi devoir venir avec des arguments s’il veut
obtenir des résultats. Les moyens de pression
sont parfois piégeux : si l’on ne s’en sert pas, on
peut les perdre.
Quand le président Obama a réussi à sortir de
l’impasse avec les Iraniens pendant les négocia-
tions secrètes d’Oman, en 2012-2013, ce n’était
pas parce que les États-Unis avaient des moyens
de pression écrasants contre l’Iran. Le progrès
décisif a pu avoir lieu parce que l’Iran, lui aussi,
détenait des moyens de pression [notamment son
influence en Irak, en Syrie et au Liban] et que,
par conséquent, les deux parties étaient moins
réticentes à dialoguer.
Washington comme Téhéran avaient le senti-
ment de venir à la table de négociations en posi-
tion de force, et les deux pays avaient également
compris qu’ils pourraient perdre leurs meilleurs
atouts s’ils ne négociaient pas. Trump et Rohani
sont sans doute dans des situations comparables
aujourd’hui.
—Trita Parsi
Publié le 19 septembre

sur notre site
courrierinternational.com

Pour le juriste libanais
Chibli Mallat,
c’est l’accord nucléaire
lui-même qui est à
l’origine de la crise
actuelle. Ce texte
a laissé s’étendre une
influence iranienne
“malsaine et démesurée”
sur l’ensemble
du Moyen-Orient,
écrit-il dans “Logique
de guerre”, un article
à lire sur notre site.
L’Orient-Le Jour.

← Dessin de Herrmann paru dans La Tribune de Genève, Suisse.


← “On dirait que
le méchant Iran
a sans doute bombardé
la méchante Arabie
saoudite qui veut sans
doute que les États-Unis
bombardent le méchant
Iran dès maintenant,
même si l’Arabie
saoudite est sans doute
plus méchante que
l’Iran. – T’as sans doute
raison.” Dessin
de Daryl Caggle,
Etats-Unis.
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