Courrier International - 26.09.2019

(Tina Sui) #1

  1. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1508 du 26 septembre au 2 octobre 2019


FOCUS

Chine.


Ce qui pourrait


gâcher la fête


pour Xi Jinping


Économie, conflit sino-américain,


manifestations à Hong Kong :


les nuages s’amoncellent pour le président


chinois à l’approche du 70e anniversaire


de la République populaire, le 1er octobre.


asie


Par suite, l’augmentation du coût de
la vie affaiblit le pouvoir d’achat des
consommateurs, sapant ainsi les efforts
du gouvernement, qui cherche à restruc-
turer l’économie chinoise [dont la crois-
sance a fortement ralenti]. L’idée est de
la rendre moins dépendante des investis-
sements en capital et des exportations,
et de mettre l’accent sur la consomma-
tion des particuliers.
Pour l’instant, l’inflation reste sous le
seuil de 3 % fixé par le gouvernement,
mais elle va augmenter considérablement
au cours des prochains mois. Le minis-
tère de l’Agriculture a averti que le prix
du porc pourrait croître de 70 % d’ici à
la fin de 2019.
Naturellement, des échecs politiques
ont contribué à la survenue de cette
crise. La propagation de la peste por-
cine en Chine peut être attribuée à la
“diplomatie du porc” menée par Pékin,
qui a décidé de ne plus importer cet ali-
ment des États-Unis et du Canada (deux
nations exemptes de la maladie), mais de
la Russie, pays le plus touché par ce virus.
Le 1er septembre, la Chine a entériné
une hausse de 10 % des tarifs douaniers
sur les importations agricoles venant
des États-Unis, élevant à 72 % la taxe
sur le porc en provenance de ce pays.
Pendant ce temps, les exploitations por-
cines chinoises subissent de plein fouet
les tarifs applicables au soja importé
des États-Unis, qui ont rendu la nourri-
ture des cochons élevés en Chine d’au-
tant plus coûteuse. Le pays a également
restreint les importations canadiennes,
car Pékin reproche à Ottawa l’arrestation
de la directrice financière de l’entreprise
de télécommunications Huawei, Meng
Wanzhou, à la demande de Washington.
La Chine est quasiment autosuffisante
en matière de production porcine, mais
les pouvoirs publics pourraient remédier
aux difficultés d’approvisionnement en
se tournant vers l’un de ces deux pays.
Les États-Unis sont le deuxième pro-
ducteur mondial de porc et le premier
exportateur, tandis que le Canada est à
la sixième place.
Et les erreurs de Pékin n’ont pas seu-
lement été géopolitiques. En 2016, une
campagne nationale a limité la reproduc-
tion des porcs aux grandes exploitations,
dans le but d’améliorer la rentabilité et
la protection de l’environnement. Cela
s’est soldé par la fermeture de plus de
150 000 exploitations parmi les plus
petites. La pénurie s’est donc amorcée
bien avant que n’éclate l’épidémie de
peste porcine.
Ces erreurs se révèlent aujourd’hui très
coûteuses. Pendant des années, la Chine
s’est peu souciée de l’inflation, car elle
cherchait avant tout à éviter un ralentis-
sement de la croissance. Mais aujourd’hui,
les économistes avertissent qu’il faut se

La question du prix
du porc est une priorité
de l’État chinois
sur le plan national
et international.

—South China Morning Post
Hong Kong

C


e n’est peut-être pas une coïnci-
dence : 2019 est l’année du Cochon.
Rarement un aliment a joué, à lui
tout seul, un rôle aussi important dans
la vie politique d’un pays.
Depuis le début de l’épidémie mor-
telle de peste porcine africaine, pendant
l’été 2018, les craintes liées à ce virus se
sont progressivement intensifiées, au
point que la question du porc est désor-
mais une priorité de l’État chinois sur le
plan national et international. On parle
de “politique du porc”, d’“économie du
porc” ou encore de “diplomatie du porc”.
Et tout ce tapage n’est pas injustifié. La
viande de porc est la principale source de
protéines dans l’alimentation des Chinois,
qui consomment la moitié de la production
mondiale. Depuis un premier cas décelé
dans une exploitation proche de la fron-
tière sino-russe en août 2018, le virus s’est
propagé dans les 31 provinces de la Chine
continentale et a infecté 200 000 cochons


  • soit près de 50 % du cheptel chinois –,
    qui sont morts de la maladie ou ont été
    abattus.
    L’augmentation spectaculaire des prix
    qui en a découlé a fait des dégâts, à com-
    mencer par des dégâts économiques, car
    l’industrie porcine contribue à hauteur
    de 128 milliards de dollars à l’économie
    nationale, d’après les estimations.


Mais dans les hautes sphères du pouvoir
à Pékin, on appréhende encore davantage
l’effet de la hausse des prix sur le coût de
la vie – en particulier au moment où l’in-
flation est dopée à la fois par la guerre
commerciale opposant les États-Unis et
la Chine et par la dépréciation du yuan.
La viande de porc, premier poste de
dépense dans le panier de l’indice des prix
à la consommation (IPC), est un facteur
clé de l’inflation. Elle représente 10 points
de pourcentage des prix alimentaires et
plus de 3 points sur l’IPC chinois dans
son ensemble. Voilà pourquoi l’augmen-
tation de 46,7 % du prix du porc entre
août 2018 et août 2019 a entraîné une
hausse de 2,8 % de l’IPC (un record ces
vingt derniers mois).
Et encore, c’est sans compter que, quand
le prix du porc augmente, il entraîne
d’autres aliments avec lui. Les prix du
poulet, du bœuf et de l’agneau grimpent
aussi à vue d’œil, à mesure que les consom-
mateurs se tournent vers d’autres viandes
moins chères.
Free download pdf