- 360 o Courrier international — no 1508 du 26 septembre au 2 octobre 2019
Lionel Messi fait
son numéro
La star mondiale du foot a inspiré le nouveau
spectacle du Cirque du Soleil. Reportage lors
des dernières répétitions, avant la grande
première, le 10 octobre, à Barcelone.
sport.
—El País Semanal (e x t r a i t s) Madrid
U
n ballon blanc aux hexagones
rouges. Voilà le cadeau qu’a reçu
Lionel Messi le 24 juin 1991 pour
son quatrième anniversaire. C’est aussi
le jour où le mythe est né, car en attra-
pant ce ballon il a commencé à faire des
pirouettes incroyables. Des virevoltes iné-
galables qu’il ne se lassait pas de perfec-
tionner et qui l’ont rendu célèbre avant
l’heure. À Rosario, sa ville natale, en
Argentine, il ne mesurait pas encore un
mètre qu’on annonçait son nom dans les
haut-parleurs, à la mi-temps des matchs
et ce spectacle plaira à tout le monde, pas
uniquement aux amateurs de foot.”
Qui a eu cette idée? José Manuel Pinto,
ancien gardien de but au Barça et grand ami
de Messi. “J’ai toujours pensé qu’il y avait de
nombreuses similitudes entre la musique et le
sport, que les deux se nourrissaient”, raconte
le sportif, qui s’est reconverti en ingénieur
du son. “Et si nous concevions un spectacle fai-
sant la part belle au football ?” a-t-il demandé
un jour à Afo Verde, PDG de Sony pour
l’Amérique latine, l’Espagne et
le Portugal, qui avait déjà tra-
vaillé avec le Cirque du Soleil sur un autre
projet. “On peut raconter une histoire comme
celle de Michael Jackson ou des Beatles”, a pro-
posé le PDG de Sony. Et l’ancien footbal-
leur de répondre : “Mais j’ai un ami qui est le
plus grand de tous et qui est vivant. Ce serait
génial de le faire avec une personne en vie.”
“Ce serait génial !” s’est enthousiasmé
Afo Verde, qui est venu au Camp Nou, le
stade de Barcelone, avec les directeurs du
Cirque du Soleil afin d’assister à quelques
matchs de Messi et d’imaginer un spec-
tacle. À partir de ce moment, des numé-
ros ont commencé à prendre forme, mais
il fallait tout de même obtenir l’aval du
footballeur. “Je suis allé le voir pour lui pré-
senter le projet. Je savais que ça lui plairait,
car nous avions vu une représentation avec
nos familles respectives”, raconte Pinto.
“J’adore !” a répondu Messi, fier mais un
peu inquiet, car il ignorait comment asso-
cier les deux disciplines.du Newell’s Old Boys [l’un des deux clubs
de la ville] : il descendait alors les esca-
liers du stade en dribblant et arrivait au
milieu du terrain sans avoir perdu une
seule fois le ballon.
Messi a une âme d’artiste que le Cirque
du Soleil retranscrira à partir du 10 octobre
à Barcelone sous la forme d’un spectacle
inédit, intitulé Messi10 [10 étant le numéro
porté par l’attaquant au Barça]. “Messi est
le meilleur du monde et nous voulons mettre
en valeur les talents qu’il exprime sur le
terrain, tels que la force, la détermination,
explique Mukhtar Omar Sharif, le met-
teur en scène. Mais nous restons un cirque“Messi a été très impliqué tout au long
de la création, affirme le directeur artis-
tique, Sean McKeown, au siège de Cirque
du Soleil, à Montréal, où les artistes tra-
vaillent d’arrache-pied du matin au soir.
Nous nous sommes vus cinq fois et il n’a for-
mulé que deux requêtes : il fallait parler de sa
famille, car il sait que sans elle il ne serait pas
arrivé au sommet, et faire des choses inédites
dans un spectacle de cirque.” Un défi que le
Cirque du Soleil a bien l’intention de rele-
ver. “Messi a battu tous les records et continue
de le faire, c’est donc à notre tour de mettre au
point une représentation mémorable, admetSean McKeown. Et nous y arriverons, car nos
artistes sont dingues. Il est incroyable de voir
ce qu’ils arrivent à faire dès qu’on leur pro-
pose quelque chose.” Le mérite revient aussi
à la compagnie elle-même, qui [comme elle
le fait en amont de chacun de ses spec-
tacles] a recruté des artistes de 46 natio-
nalités (Taïwan, Éthiopie, Chine, Ukraine,
Royaume-Uni, Russie, Kazakhstan, Espagne,
États-Unis, etc.). Tous sont des athlètes de
haut niveau qui sont référents dans leur
spécialité, que ce soit la corde, le trapèze,
le diabolo, les contorsions ou la voltige.
Ce n’est pas étonnant quand on sait que
Cirque du Soleil a une équipe de 60 per-
sonnes chargée du casting, ainsi que 20 chas-
seurs de têtes dans le monde. “J’ai su qu’il
y avait des auditions, j’y suis allée et ça s’est
bie n pa ssé”, résume Catalina Vega pendant
une pause, le sourire aux lèvres. Elle a joué
dans la sélection de foot chilienne, mais elle
a tout laissé tomber pour se consacrer au
football freestyle, discipline qui
associe acrobaties et jongleries
avec le ballon, et qui occupe une grande
place dans le spectacle. “C’est une occa-
sion qu’on ne peut pas laisser passer, car les
représentations pourraient se prolonger pen-
dant dix ans [si le show rencontre le succès
escompté], ajoute-t-elle. Même si ça néces-
site de travailler énormément, car on ne fait
pas uniquement du freestyle, on fait de tout.”
En témoigne le Français Gautier Fayolle,
sept fois champion du monde dans cette
catégorie et recruté par le Cirque du Soleil.
“J’adore cette expérience, car pour la première
fois j’ai un entraîneur qui me guide, et je peux
tester toutes sortes de nouveautés [venues de
l’univers du cirque] qui me seraient inacces-
sibles chez moi”, affirme-t-il entre deux res-
pirations, car il était suspendu dans les airs
quelques secondes plus tôt pour tester ses
acrobaties.
En tout cas, quand on se promène au
milieu des gigantesques installations à
Montréal et des décors prévus pour ceFOOTBALLLe footballeur voulait
qu’on parle de sa famille.
Sans elle, il ne serait pas
arrivé au sommet.↙ Le metteur en scène
Mukhtar Omar Sharif, de dos,
donne ses instructions.
Photo Carmen Secanella