Courrier international — no 1508 du 26 septembre au 2 octobre 2019 360 o. 47
chose qui ne semble pas inquiéter les
autres membres de Messi10. “Quand on
regarde autour de nous, on voit que ce sont
tous les meilleurs dans leur spécialité. Nous
jouons tous en ligue 1, plaisante Mukhtar
Omar Sharif. Le cirque, comme le football,
c’est énormément de travail. On échoue et
on recommence, on pratique jusqu’à ce que
ce soit parfait. On ne devient pas numéro 1
par hasard.”
Il arrive que tout ne soit pas parfait
ou alors qu’un artiste se blesse. “Ce sont
les risques du métier, rappelle Igor, qui
travaille avec les footballeurs freestyle.
“On n’y pense pas ; sinon, autant tout lais-
ser tomber”, commente Jimmy après avoir
réalisé des centaines de sauts depuis une
balançoire vers un filet. “Moi, j’écoute de la
musique pour rester éveillé et avoir l’esprit
clair, intervient la Chinoise Yang Huang,
qui a commencé à pratiquer l’équilibrisme
à 7 ans parce que sa mère ne voulait pas
qu’elle joue seule à la balle. Sinon, on
commet des erreurs.” Quand cela arrive,
on fait appel à un des nombreux kinési-
thérapeutes du Cirque du Soleil. “Il serait
bien étonnant que ces gens, qui chaque
jour prennent tant de risques et mettent
leur corps à si rude épreuve, ne se blessent
pa s”, note Marina, une kiné brésilienne
qui a laissé pendant un temps le Cirque
du Soleil pour participer en tant que
soigneuse aux Jeux olympiques organi-
sés par son pays, mais qui y est revenue
pour le spectacle sur Messi.
“Il y a toutes sortes de lésions, mais nous
travaillons beaucoup sur la prévention. Et
surtout, quand elles se produisent, nous fai-
sons en sorte qu’elles ne soient pas trop pro-
noncées et qu’elles durent le moins longtemps
possible.” À cette fin, le cirque a décidé
d’innover, et pour ce spectacle il travaille
avec RealTrack Systems, une entreprise
d’Almería [en Andalousie] qui propose des
gilets GPS, ceux-là mêmes qu’utilisent des
footballeurs comme ceux du Barça, dont
Messi. Ces gilets servent à mesurer des
variables cinématiques comme l’accélé-
ration, la vitesse, la distance parcourue,
et des données physiologiques comme la
fréquence cardiaque, l’attitude corporelle,
l’oxygénation musculaire... “Nous avons
toujours un plan B au cas où quelqu’un se
blesse ou tombe malade, par exemple le jour
même de la représentation, poursuit Sean
McKeown. Nous essayons d’avoir au moins
un remplaçant pour chaque numéro.”
Et Mukhtar Omar Sharif de conclure :
“Nous voulons faire passer cette idée que le 10,
cela peut être n’importe qui. Un médecin, un
avocat... Quelqu’un dont le rêve se réalise
grâce à son travail, son engagement.” Même
si Messi est unique, à l’instar du Cirque du
Soleil. Ensemble, ils ont créé la meilleure
fête qui soit pour célébrer le numéro 10.
—Jordi Quixano
Publié le 8 septembre“Le cirque, comme le
football, c’est énormément
de travail. On ne devient
pas numéro 1 par hasard.”
Mukhtar Omar Sharif,
metteur en scèneQuand on se promène
au milieu des décors,
le regard est toujours
attiré vers le haut.
↙ Spectaculaires, les numéros
de banquine ont fait la renommée
du Cirque du Soleil.
Photo Carmen Secanellaspectacle, le regard est toujours attiré vers
le haut. On est par exemple scotché par les
sauts et voltiges de Jimmy, un jeune qui
fait du trampoline et a remporté le cham-
pionnat d’Europe avec l’équipe de France.
Il a été recruté via Facebook à sa troisième
tentative. “J’avais deux rêves : aller aux Jeux
olympiques et entrer au Cirque du Soleil,
con fie-t-il. J’ai la chance d’avoir réalisé au
moins l’un des deux.”
Après des heures de pratique, de gadins,
d’étirements, d’exercices, tous les artistes se
réunissent à la cantine. “Comment tu nous as
trouvés ?” demande Noé Chemel, champion
belge de trampoline et troisième d’Europe
en 2014. Il s’est consacré à cette spécialité
parce que sa mère ne supportait plus l’hy-
peractivité de son fils et l’a envoyé faire
des bonds sur un trampoline. Les artistes
sont tous avides de nouvelles et d’avis qui
ne leur viennent pas de leurs entraîneurs.
“Nous sommes si habitués à cette routine que
les choses que nous faisons nous paraissent
normales”, assure Nacho Ricci, un Argentin
spécialisé dans la corde lisse qui souhaite
que les représentations commencent bien-
tôt pour que ses amis puissent venir le voir.
Après des années d’échanges par e-mail, le
Cirque du Soleil lui a proposé de passer un
test vidéo. “Il a fallu que je leur montre mes
capacités spécifiques, et aussi que je danse le
hip-hop, ce que je n’avais jamais fait de ma
vie, se rappelle-t-il. Je ne m’en suis pas trop
mal sorti, je crois.”
Une fois que les candidats ont franchi la
première étape, le Cirque du Soleil met en
marche la machinerie. “Nous faisons tout en
profondeur, car nous savons que les détails
font toute la différence”, fait valoir Sean
McKeown. Ainsi, une fois que les artistes
arrivent à la fabrique de talents de Montréal,
on leur fait subir toutes sortes d’examens
pour vérifier leur état physique et savoir
s’ils auront besoin d’une petite interven-
tion, juger de leur réaction au stress et à
la pression, analyser leurs traits psycholo-
giques... On relève ensuite leurs mensura-
tions pour leur confectionner des tenues,
des bottines, des masques ou tout élément
textile : le Cirque du Soleil a son propre ate-
lier de couture, qui emploie 300 personnes.
De nombreux membres de la troupe sont
des athlètes qui n’avaient pas eu de forma-
tion comique ou théâtrale, n’avaient pas
participé à des chorégraphies et n’avaient
jamais travaillé l’expression faciale. Mais
pour entrer dans le monde de Messi, il faut
franchir la porte des studios Gilles Ste-
Croix. Un pavillon de 20 mètres de hauteur,
ce qui ne suffit pas à monter toute la scène
centrale, laquelle mesure 40,4 mètres de
longueur et 27 mètres de largeur. C’est la
raison pour laquelle à Barcelone, par manque
d’espace, il a fallu que le cirque s’installe
au Fòrum [qui comprend entre autres une
salle de spectacle de 15 000 places]. But
de la manœuvre : représenter un stade
de football, autour duquel les spectateurs
seront assis comme dans des gradins. Tout
un montage qui a commencé le 16 août,
quand les bateaux transportant les struc-
tures et le matériel sont partis du Canada
pour Barcelone. Et ce sera, comme l’a exigé
Messi, un spectacle unique en son genre.
“Nous ne sommes pas un cirque traditionnel,
nous créons et commandons des numéros qui
n’ont jamais été réalisés”, explique Igor, l’un
des principaux entraîneurs du show. Igor
est né au Cirque de Moscou, il est d’une
famille circassienne. “Le secret, poursuit-
il, c’est de marier le football avec nos arts,
et je crois que nous avons réussi ce mariage.Pour moi, c’est le meilleur spectacle que j’aie
jamais vu – par notre niveau d’exigence et par
la prestation des artistes.”
Cela a été aussi rendu possible par le
metteur en scène Mukhtar Omar Sharif,
passionné de football et fan de Manchester
United. “Quand on m’a proposé de diriger
le spectacle, ma femme m’a lancé : ‘Tout
ça, c’est pour voir plus de football, non ?’
raconte-t-il, amusé. Je lui ai répondu : ‘Mais
non, bon sang! C’est mon show !’ Même si
je me suis dit intérieurement : ‘Le plus diffi-
cile sera de créer un spectacle à la mesure
du meilleur footballeur du monde.’” Une