Courrier International - 26.09.2019

(Tina Sui) #1

Repères


Courrier international — no 1508 du 26 septembre au 2 octobre 2019 360 o. 49


Bacon a traversé le e siècle et ses atrocités.
Un siècle de progrès techniques et d’avancées
sociales où l’homme moderne  t pourtant
preuve d’une violence et d’une cruauté inima-
ginables. Un siècle terrible que Bacon, à l’égal
des grands tragiques grecs, enlumine grâce à
la composition magistrale de ses tableaux et
à la somptuosité de leurs coloris, grâce à son
regard sensible sur le monde et à son amour
passionné de la vie. Un homme généreux
et un peintre magni que dont ce hors-série
retrace la vie chaotique et le parcours artistique
singulier.

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Des stars à l’affiche
Sacha Baron Cohen n’est pas
le seul poids lourd à figurer
au générique de The Spy : son
créateur n’est autre que Gideon
Raff, “un maillon culturel crucial
entre Tel-Aviv et Hollywood”,
lit-on sur le site The Times of
Israel. C’est à lui que l’on doit
notamment la série israélienne
Hatufim (“Kidnappés”) et sa
célèbre adaptation américaine
sous le titre de Homeland.
Comme l’explique le scénariste
et réalisateur, l’histoire de l’espion
israélien Eli Cohen, démasqué
et exécuté en place publique
à Damas en 1965, l’a toujours
passionné : “Cette histoire était
dans l’air du temps pendant
mon enfance”, souligne-t-il.

le quotiDien Ha’aretz
pas convaincu
L’histoire d’Eli Cohen est bien
connue des Israéliens,
et ils n’apprendront rien de
véritablement nouveau sur le sujet
avec The Spy, juge le critique
du quotidien israélien de centre
gauche Ha’Aretz, qui regrette
comme son confrère du site
libanais Daraj (lire page ci-contre)
une vision trop partiale de
l’histoire : “Malgré ses défauts,
je n’ai pas détesté The Spy
et j’ai la certitude que certains
apprécieront cette série [...],
écrit le journaliste. Mais j’espérais
quelque chose de moins
manichéen, qui ne réduirait pas
l’histoire à un espion israélien
héroïque déjouant les plans
d’ignobles Arabes.”

SourCe

Daraj
Beyrouth, Liban
daraj.com
“Escalier” est un site d’information
alternatif né en 2017. Sa rédaction
est composée de journalistes du
Liban et d’autres pays arabes. Le
site tranche avec les médias
arabes traditionnels, en accordant
une vraie place au reportage et à
l’enquête. Plusieurs de ses sujets
sont aussi rares, voire inexistants,
dans les autres médias de la
région : droits civiques, gender,
libido, homosexualité, fake news...

“La mer est un miroir,


un espace de fantasme”


La Franco-Sénégalaise Mati Diop nous parle de son film
Atlantique, Grand Prix du jury au dernier Festival de Cannes.
Un long-métrage bouleversant sur la tentation de l’exil
qui ronge la jeunesse de Dakar. En salle le 2 octobre.

COURRIER INTERNATIONAL : Votre f ilm
vous a entre autres été inspiré par un
article de la presse sénégalaise sur les
“veuves de la mer”, que vous avez lu
dans Courrier international. Quelles
informations cet article vous a-t-il
apportées?
MATI DIOP : Dès le départ, mon projet a
été de faire un film fantastique sur cette
période, dans les années 2000, où des
jeunes se sont embarqués par milliers
depuis les côtes sénégalaises pour gagner
l’Espagne [ils ont été nombreux à périr
en mer]. Cet article m’a donné des visions
très précises. Une femme y racontait
qu’à Thiaroye [un quartier de pêcheurs
en banlieue de Dakar, l’un des points de
départ de cette vague d’émigration], il ne
restait plus assez de jeunes hommes pour
former une équipe de football, et ça m’a
marquée. J’ai même un moment envisagé
de pousser cette situation à l’extrême :
dans mon film, à partir du moment où les
garçons auraient pris la mer, on ne verrait
plus un seul homme dans le quartier. Mais
j’ai renoncé, je n’ai pas voulu faire un film
fantastique conceptuel, plutôt travailler
sur le fantastique inhérent au réel.

Vous ne montrez rien des filières de
passeurs, des pirogues sur lesquelles
embarquaient les jeunes. Pourquoi?
Ces garçons partaient sans prévenir.
À tout moment, une mère, une amou-
reuse, une sœur pouvait se retrouver
devant une chambre vide, une absence.
Cela m’intéressait d’en parler du point
de vue de celles qui restent, qui font
l’expérience de la disparition subite de
leurs proches, qui attendent leur retour et
qui les voient [dans le film] revenir sous
forme de fantômes. Ce sont elles mes
personnages principaux. Et je voulais
absolument évacuer tout un imaginaire
lié à l’immigration dite clandestine –
j’insiste bien sur cette expression, “dite
clandestine”. Le sujet a été traité par
les médias de manière parfois juste et
rigoureuse, parfois scandaleuse, raciste
et erronée. Mais il a surtout été surtraité.
L’immigration clandestine est devenue
une formule, vidée de toute dimension
tragique et individuelle. J’ai voulu offrir
un imaginaire qui permette d’approcher
cette réalité d’un peu plus près.

L’appel du large est un motif récurrent
dans l’histoire culturelle. Comment
vous l’êtes-vous approprié?
La ville de Dakar est encerclée par l’océan :
c’est à la fois un huis clos et un appel perma-
nent vers l’ailleurs, vers l’autre, vers
l’inconnu. Le départ des jeunes est
certes motivé par des raisons économiques
implacables, rationnelles : le chômage, la
précarité, l’exploitation. Mais il participe
aussi d’un besoin de se réinventer ailleurs
qui est propre à l’humanité depuis la nuit
des temps. Pour moi, la mer est un miroir,
un espace de fantasme. Les jeunes qui
partent sont eux-mêmes confrontés à un
inconnu insondable, leur périple est aussi

intérieur. Les plans de l’océan que j’ai filmés
sont une manière de respecter cette part
de secret qui entoure leur décision. C’est
important que le cinéma ne donne pas de
réponse et nous remette face au grand
mystère de l’existence.

Cette génération perdue ne va-t-elle pas
manquer au Sénégal pour construire
l’avenir?
Cette tragédie a laissé en moi une part
d’inconsolable. Elle m’a suffisamment mar-
quée pour que j’en fasse un film. Mais le
Sénégal et l’Afrique ne se résument pas à
cette réalité. Il y a une autre jeunesse, pleine
de vie, qui veut rester à Dakar. C’est pour ça
qu’il était important de rendre hommage
aux disparus à travers les vivants, à travers
la possibilité d’une réinvention et
d’une transcendance. Mon film
repose sur l’idée que la mort et la tragédie
ne signent pas forcément l’arrêt d’un peuple.
Elles peuvent et doivent être dépassées.
Mais pour les dépasser, il faut s’en souvenir.
—Propos recueillis
par Courrier international

Retrouvez l’intégralité de cet entretien
sur notre site Internet à partir du 1er octobre.

Cinéma
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