Courrier International - 26.09.2019

(Tina Sui) #1

  1. Courrier international — no 1508 du 26 septembre au 2 octobre 2019


↗ Bataille navale
d’Actium, bas-relief
décrivant le choc
entre les deux flottes.
Un vaisseau est
représenté en train
de couler.
Photo José Lucas/Alamy/
Photo12


HISTOIRE


Les éperons de certains
des navires étaient de
dimensions gigantesques.

—The Independent Londres

S


ur la côte occidentale de la Grèce, il y a
plus de deux mille ans, Octave, victo-
rieux, a fait construire un temple dédié
à son succès, qui surplombe le sanctuaire reli-
gieux antique d’Actium. Grâce à l’étude méti-
culeuse de ses vestiges, les historiens et les
archéologues sont en mesure de mieux com-
prendre comment il a gagné cette bataille dont
l’issue a changé la face du monde.
On a toujours cru que nombre des vaisseaux
de Cléopâtre et Marc Antoine étaient plus gros
que ceux d’Octave, et par conséquent moins
maniables. Or les fouilles réalisées ces dernières
années sur le site du monument de la victoire
ont confirmé que les navires du couple étaient
effectivement de dimensions inhabituelles. Ce
qui aurait conféré à Octave, qui disposait de
bateaux plus petits et plus rapides, un avan-
tage crucial. Ces trouvailles permettent éga-
lement aux archéologues d’en savoir plus sur
le raisonnement tactique d’Octave.
Ces découvertes proviennent de quelque
35 niches situées au pied du grand monument
consacré au triomphe d’Octave. On sait, entre
autres grâce à un poème du ier siècle de notre
ère, que ces niches avaient été creusées pour
accueillir les grands rostres, ou éperons de
bronze, de certains des vaisseaux les plus impor-
tants de Marc Antoine et Cléopâtre. Octave en
avait capturé 350, et a choisi les rostres de seu-
lement 35 d’entre eux, trophées de guerre des-
tinés à être exposés en permanence dans son
monument dédié à la défaite de ses ennemis.
L’analyse des niches (dont certaines n’ont
été mises au jour qu’au cours des deux der-
nières années) montre qu’elles sont toutes de
tailles différentes, et qu’elles ont donc été creu-
sées pour recevoir des rostres de dimensions
et de formes diverses. Qui plus est, le détail
de l’agencement des niches permet de déduire

la hauteur de chaque rostre et la forme de ses
flancs ; grâce à cela, les archéologues ont pu com-
mencer à calculer que les bords de la proue des
navires, qui absorbaient l’impact lors de l’épe-
ronnage, étaient particulièrement massifs. On
peut tout à fait supposer que certains des vais-
seaux de guerre d’Antoine et Cléopâtre aient
mesuré jusqu’à 40 mètres de long.
Jusqu’à présent, historiens et archéologues
ne disposaient d’aucun moyen pour évaluer “la
puissance de feu”, en matière d’éperonnage,
des vaisseaux impliqués dans cet affrontement
capital qui a abouti à la naissance de l’Empire
romain. Toutefois, les dimensions mêmes des
niches laissent entrevoir la possibilité que les

rostres de bronze des navires d’Antoine et
Cléopâtre aient été quatre fois plus grands
que les plus imposants jamais retrouvés par les
archéologues. La plus grande des niches aurait
été creusée pour abriter un énorme éperon
large de 1,7 mètre. D’autres niches auraient
accueilli des rostres de 1,6 mètre de haut sur
2,5 mètres de long.
Ces éperons géants avaient généralement
pour fonction de forcer les défenses à l’entrée
des ports, mais durant la bataille d’Actium ils
ont dû servir à percer la coque des vaisseaux
ennemis sous la ligne de flottaison afin de les
envoyer par le fond. Sur les 35 rostres ennemis
qu’Octave a fait exposer dans son monument,
20 étaient simplement de grande taille. Mais
15 étaient de dimensions absolument gigan-
tesques, les plus monstrueux étant situés aux
extrémités occidentale et orientale du monument.
Avant que les niches ne fassent l’objet d’une
analyse détaillée, l’une des principales sources

d’information sur le monument provenait d’une
épigramme de Philippe de Thessalonique, poète
grec du ier siècle de notre ère. Elle décrit le monu-
ment du point de vue des rostres eux-mêmes :
“Béliers aux mâchoires de bronze, aventureuse
armure des vaisseaux, ici nous gisons, témoins
de la guerre à Actium.”
Octave ne s’est pas contenté de faire ériger
ce monument pour célébrer sa victoire histo-
rique et commémorer la création officielle de
l’Empire romain. À peu de distance, il a égale-
ment ordonné la construction d’une ville bapti-
sée Nicopolis (“la ville de la victoire”, en grec),
qui a fini par compter jusqu’à 20 000 habitants
(pour la plupart des Grecs venus de bourgades
environnantes). Ses portes et ses remparts
spectaculaires (dont environ cinq kilomètres
sont toujours visibles), ses théâtres, ses bains,
son stade et ses villas romaines, ainsi que son
remarquable système d’aqueducs ont été pré-
servés et sont ouverts aux touristes. Ce sont les
ruines urbaines antiques les plus étendues de
Grèce, situées à un peu plus de six kilomètres
de la petite ville de Preveza, en Épire.
Si le monument à la victoire et une grande
partie des impressionnants édifices de la cité
ont survécu à la marche du temps, les 35 rostres
de bronze ont tous disparu depuis longtemps
(à l’exception de quelques fragments retrouvés
par les archéologues). Seules subsistent leurs
niches vides, témoignage du destin tragique
d’Antoine et Cléopâtre et de la naissance d’un
des plus grands empires que le monde ait connus.
Quant à ce qu’il est advenu des rostres eux-
mêmes, il est probable que les habitants ou des
envahisseurs barbares les aient fait fondre au ive
ou ve siècle de notre ère, époque qui vit s’effon-
drer l’Empire romain affaibli. En ce sens, le site
n’est pas seulement le symbole de la naissance
de ce puissant empire, mais aussi celui de sa fin.
—David Keys
Publié le 28 mars

Actium,


la sanglante défaite


de Cléopâtre


31 av. J.-C. — Grèce


C’est sur mer qu’Octave, le futur premier
empereur de Rome, a gagné la guerre qui
l’opposait à Marc Antoine et Cléopâtre. Le
temple qu’il a fait ériger en souvenir est une
mine d’informations pour les archéologues.
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