Le Monde - 10.10.2019

(vip2019) #1

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INTERNATIONAL

JEUDI 10 OCTOBRE 2019

0123


Impeachment : Trump joue l’obstruction


La Maison Blanche refuse de coopérer à l’enquête lancée par les démocrates sur l’affaire ukrainienne


washington ­ correspondant

L


a lettre est signée du
conseiller juridique de
Donald Trump, mais son
ton est celui d’une décla­
ration de guerre. Dans le courrier


  • expédié mardi 8 octobre à la
    speaker (présidente) démocrate
    de la Chambre des représentants,
    Nancy Pelosi, ainsi qu’à trois prési­
    dents de commissions impliquées
    dans la mise en accusation (im­
    peachment) qui vise le président
    des Etats­Unis –, Pat Cipollone
    a annoncé que la Maison Blanche
    entendait désormais s’opposer à
    toutes leurs requêtes, qu’il s’agisse
    d’auditions de témoins ou de re­
    mises de documents.
    « Le président ne peut permettre
    que vos procédures constitution­
    nellement illégitimes le détour­
    nent, lui et les autres représentants
    du pouvoir exécutif de leur travail
    pour le compte des Américains. Le
    président a un pays à diriger », dé­
    clare le conseiller juridique. « A la
    lumière des nombreuses lacunes


que nous avons identifiées dans
votre procédure, poursuit­il, nous
espérons que vous abandonnerez
ces efforts (...) et que vous vous
joindrez au président pour vous
concentrer sur les nombreux ob­
jectifs qui comptent pour le peuple
américain. »
Donald Trump avait donné un
avant­goût de sa décision en em­
pêchant, le matin même, l’am­
bassadeur des Etats­Unis auprès
de l’Union européenne (UE),
Gordon Sondland, arrivé la veille,
de témoigner à huis clos devant la
Chambre des représentants. Le
président des Etats­Unis s’était
justifié en dénonçant le « tribunal
de pacotille » devant lequel ce ri­
che donateur nommé à Bruxelles
devait se produire.

La réplique de Pelosi
Le grief d’inconstitutionnalité fi­
gure parmi les arguments avan­
cés mardi par le conseiller juridi­
que de la Maison Blanche. Il dé­
nonce notamment l’absence d’un
vote solennel ouvrant la procé­

dure de mise en accusation. Selon
certains constitutionnalistes, ce
vote n’est pas obligatoire, la Loi
fondamentale américaine étant
particulièrement lapidaire sur ce
point. Le conseiller déplore aussi
le fait que la minorité républi­
caine n’ait pas été autorisée jus­
qu’à présent à solliciter les témoi­
gnages qu’elle juge importants.
Dans une conférence téléphoni­
que avec la presse, mardi, un haut
responsable de l’administration a
refusé de dire si la Maison Blan­
che réviserait son jugement dans
le cas où ces critiques seraient pri­
ses en compte.
La controverse est en effet prin­
cipalement politique. « En termes
simples, vous cherchez à annuler
les résultats de l’élection de 2016 et
à priver le peuple américain du
président qu’il a choisi libre­
ment », affirme le conseiller dans
sa lettre de huit pages. « Et de
nombreux démocrates considè­
rent apparemment maintenant
que la mise en accusation est non
seulement le moyen d’annuler les
résultats démocratiques de la der­
nière élection, mais aussi une stra­
tégie pour influencer la prochaine,
qui se déroulera dans moins d’un
an », ajoute­t­il.
La réplique de Nancy Pelosi n’a
guère tardé. « Pendant un temps, le
président a tenté de normaliser
l’illégalité. Maintenant, il essaie
d[’en] faire une vertu », a­t­elle as­
suré. La speaker a dénoncé la let­
tre comme « une autre tentative de
cacher les faits à propos des efforts
éhontés de l’administration Trump
pour faire pression sur des pou­
voirs étrangers afin qu’ils interfè­
rent dans les élections de 2020 ».
Tout part d’une conversation
téléphonique entre Donald
Trump et son homologue ukrai­
nien, Volodymyr Zelensky, le
25 juillet. Elle a provoqué ulté­
rieurement, en août, le signale­

ment d’un lanceur d’alerte tout
d’abord bloqué par le départe­
ment de la justice. Un compte
rendu de cette conversation et le
contenu du signalement ont fi­
nalement été rendus publics les
25 et 26 septembre.
Au cours de cette conversation,
Donald Trump a demandé à son
interlocuteur, qui sollicitait une
aide militaire, d’enquêter sur
une hypothétique collusion en­
tre l’Ukraine et le camp démo­
crate lors de la présidentielle de


  1. Il lui a aussi suggéré de
    s’intéresser aux affaires du fils
    de l’un de ses adversaires politi­
    ques, l’ancien vice­président dé­
    mocrate Joe Biden, membre du
    conseil d’administration d’une
    société gazière ukrainienne de
    2014 à 2019.


L’épreuve de l’opinion publique
Au cours de son audition par la
Chambre des représentants, le
4 octobre, l’ex­envoyé spécial des
Etats­Unis pour l’Ukraine, Kurt
Volker, qui a démissionné de ses
fonctions, a produit le contenu
de conversations par SMS avec
Gordon Sondland et le char­
gé d’affaires américain à Kiev,
William Taylor. Ces échanges met­
tent l’accent sur l’importance des
enquêtes pour la Maison Blanche
et suggèrent qu’une aide améri­
caine a été gelée dans l’attente

d’un engagement du président
ukrainien à ce qu’elles prennent
corps. Les républicains de la
Chambre ont dénoncé des « fui­
tes » partielles et orientées.
En dépit des dénégations de
Donald Trump, qui ne cesse d’af­
firmer qu’il n’a jamais été ques­
tion du moindre « quid pro quo »
et que ses interrogations concer­
nant une éventuelle corruption
sont légitimes, les révélations
vont toujours pour l’instant dans
le sens du signalement du lan­
ceur d’alerte, alimentant les
soupçons des démocrates.
Un second lanceur d’alerte s’est
manifesté auprès du cabinet
d’avocat qui défend les intérêts du
premier et la presse américaine a
fait état, mardi, du témoignage
d’un conseiller de la Maison Blan­
che qui aurait eu une connais­
sance directe de la conversation
du 25 juillet et qui aurait contacté
le lanceur d’alerte juste après.
Si les démocrates de la Cham­
bre ont peu de moyens à leur dis­
position pour forcer le barrage
du pouvoir exécutif, ils laissent
entendre en représailles que la
stratégie d’obstruction constitue
en elle­même un motif de mise
en accusation.
Cette stratégie va rapidement
subir l’épreuve de l’opinion publi­
que. Cette dernière a pour l’ins­
tant évolué en faveur de l’impea­
chment. Les personnes interro­
gées qui la soutenaient étaient
nettement minoritaires le jour de
son déclenchement (38,7 % contre
51,2 % d’avis contraires), le 24 sep­
tembre, selon la moyenne calcu­
lée par le site FiveThirtyEight. Ce
rapport de forces s’est inversé en
deux semaines. Le camp favora­
ble à la mise en accusation est dé­
sormais majoritaire (50,1 %, con­
tre 42,2 % d’avis opposés, le 8 oc­
tobre), selon la même source.
gilles paris

Donald Trump
à Washington,
le 8 octobre.
LEAH MILLS/REUTERS

« Vous cherchez
à priver le peuple
américain
du président qu’il
a choisi », affirme
le conseiller
juridique de
Donald Trump

LE  PROFIL


Gordon Sondland
Homme d’affaires multimillion-
naire ayant fait fortune dans
le secteur hôtelier, Gordon
Sondland a contribué à financer
la campagne et la cérémonie
d’investiture de Donald Trump,
dont il est devenu proche.
Nommé ambassadeur auprès
de l’Union européenne par le
président, en 2018, il a participé,
depuis son poste à Bruxelles,
à des échanges de SMS entre
diplomates qui sont au cœur
de l’affaire ukrainienne.
Le 8 octobre, il a été appelé
à témoigner devant la commis-
sion du renseignement du
Congrès dans le cadre de la
procédure de destitution visant
M. Trump. Venu à Washington
pour participer volontairement
à cette audition, l’ambassadeur
a découvert, selon les démocra-
tes, un message vocal laissé
par le département d’Etat
sur son répondeur à minuit
et demi pour lui signaler qu’il
ne pourrait pas s’y rendre.

Elizabeth Warren rattrape Joe Biden
dans la course à la primaire démocrate
La candidate Elizabeth Warren a rattrapé, mardi 8 octobre,
pour la première fois l’ancien vice-président Joe Biden
dans la moyenne des sondages pour la primaire démocrate.
Parti largement en tête en avril, M. Biden, 76 ans, a vu
sa courbe baisser dans les sondages jusqu’à croiser
celle d’Elizabeth Warren, 70 ans, dans la moyenne des sondages
établie par le site RealClearPolitics. La sénatrice progressiste
enregistre désormais 26,6 % des intentions de vote contre
26,4 % pour le candidat centriste.
Après un été déjà secoué par des gaffes qui ont réveillé
des doutes sur sa forme, Joe Biden s’est trouvé mêlé, par
l’intermédiaire de son fils, à l’affaire ukrainienne, qui vaut
au président Donald Trump d’être visé par une procédure
de destitution. M. Biden vient de publier un montant de dons
reçus au troisième trimestre bien en deçà de sa rivale :
15,2 millions pour Joe Biden, contre 24,6 millions pour Elizabeth
Warren. Le troisième dans les sondages, Bernie Sanders (14,6 %),
affiche un record de dons sur la période (25,3 millions).
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