Le Monde - 10.10.2019

(vip2019) #1

20 |culture JEUDI 10 OCTOBRE 2019


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Eric Burdon, le chant d’un Animal


Gloire des sixties, l’artiste britannique a fait ses adieux au public français, mardi 8 octobre, à l’Olympia


MUSIQUES


D


e Joan Baez à Elton
John, en passant par
Paul Simon, la tour­
née d’adieu est de sai­
son chez les enfants du baby­
boom devenus célèbres grâce au
pouvoir narratif du folk ou explo­
sif du rock. En comparaison avec
les stars précitées, celle d’Eric
Burdon, qui s’arrêtait, mardi 8 oc­
tobre à l’Olympia, est passée ina­
perçue, pourtant accompagnée
du chaos qui aura suivi le chan­
teur des Animals dans sa carrière.
Une dispute avec un promoteur a
entraîné l’annulation des cinq
concerts prévus en Allemagne
(les deux parties se renvoient la
responsabilité, non­paiement du
cachet contre refus de chanter)
après un épisode surréaliste à
Amsterdam : « Très embarrassé »,
le vétéran des sixties a fait une
brève apparition sur scène, lundi
30 septembre, pour indiquer à ses
fans qu’il ne pouvait exercer son
métier dans de telles conditions.
Rien pour améliorer la solide ré­
putation de lad caractériel et in­
gérable associée à Burdon.
« Il y a désormais une procédure
pénale, grommelle­t­il dans le sa­
lon d’un hôtel cinq étoiles près de
l’Olympia, la veille de son concert
parisien. Et je suis trop vieux pour
vouloir me coltiner toute cette
merde. » Voilà la principale raison
de sa retraite annoncée. « Ma
voix? Je n’ai aucun problème avec
elle. Je chante même mieux
qu’autrefois, je peux attraper des
notes plus graves, et aussi aiguës. »
Le plus incroyable est, qu’à 78 ans,
Burdon exagère à peine. Après
l’affaire amstellodamoise, ce n’est
pas sans appréhension que l’on
prend place dans la salle de
Coquatrix, mais l’Animal se pré­
sente avec orchestre. Son cof­
fre s’empare majestueusement


  • non sans ironie, vu les circons­
    tances – de Mama Told Me Not To
    Come (« Maman m’avait dit de ne
    pas venir »), chanson écrite pour
    lui en 1966 par Randy Newman.
    Quand Eric Burdon est bien dis­
    posé, cela vaut la peine de se dépla­


cer. Le contraire d’un jean­foutre,
entouré, comme à la grande épo­
que, de six musiciens (sax baryton
et trombone, claviers vintage, gui­
tare, basse, batterie), que sa voix
couvre sans peine – « A l’école, on
me sortait de la classe parce que je
chantais trop fort », se souvient­il.

Hommages aux maîtres
Au programme, rhythm’n’blues
et blues avec hommages aux maî­
tres, Blind Willie Johnson (Soul of
a Man), Memphis Slim (Mother
Earth), qu’il précise avoir entendu
jadis « dans un club de Saint­Ger­
main, Aux Trois Maillets », et Lead­
belly (In The Pines, mis au goût du
jour « unplugged » par Nirvana
sous le titre Where Did You Sleep
Last Night, ici interprété en mar­
che funèbre Nouvelle­Orléans).
Le répertoire passe évidemment

en revue ses moments de gloire
avec les Animals, sans oublier sa
conversion au funk latino en 1969
avec le groupe californien War (le
hit Spill The Wine), qu’il planta ra­
pidement en pleine tournée euro­
péenne. Le point d’orgue de­
meure le titre le plus célèbre qu’il
ait interprété, le traditionnel
House of The Rising Sun, numéro 1
en Grande­Bretagne et aux Etats­

Unis en 1964. Et même au hit­pa­
rade français, avant que le relais
ne soit pris par Le Pénitencier, son
adaptation locale par Hugues
Aufray et Vline Buggy pour les
besoins de Johnny Hallyday.
« J’ai découvert récemment que
les paroles avaient été réécrites,
pas la musique, qui est une copie
de celle des Animals, glisse Bur­
don. C’est devenu une histoire très
française, un criminel qui devient
un saint... Le sens a été changé, ce
que nous­mêmes avions fait puis­
que j’ai transformé l’histoire d’une
femme [pensionnaire d’une mai­
son close de La Nouvelle­Orléans]
pour un homme [un débauché].
Ce qu’a fait Johnny est tout à fait
respectable, mais soyons honnête :
la scène française a toujours été
complètement à l’écart de la
sphère anglo­saxonne et la seule

qui m’ait touché dans votre pays,
c’est Edith Piaf, sans doute en rai­
son de son milieu d’origine. » A ses
fans français, ce fils d’un électri­
cien de Newcastle offre d’ailleurs
No Regrets, version anglaise de
Non, je ne regrette rien.
De fait, Le Pénitencier demeure
un épiphénomène quand on me­
sure l’impact de son modèle : « Les
Animals ont sans doute inventé le
folk­rock, d’autres que moi l’ont
dit », rappelle Burdon, en convo­
quant Bob Dylan, qui aurait eu
une illumination pour sa conver­
sion à l’électricité en entendant
les Animals sur son autoradio.
Puissance, expressivité, déchire­
ment, Burdon est à ce moment le
plus impressionnant shouter du
British Blues Boom, alors que
Mick Jagger est encore en rodage.
Un destin flamboyant lui est pro­

mis, mais le ver est déjà dans le
fruit. Son inimitié avec Alan Price
entraîne, dès 1965, le départ de
l’organiste. « Après qu’il s’est assuré
que les droits de l’arrangement de
House of The Rising Sun iraient
dans sa seule poche, complète Bur­
don. On a été sabotés par une cin­
quième colonne! »
Il y aura d’autres fantastiques
singles des Animals, exposés
comme des trophées à l’Olympia :
Don’t Let Me Be Misunderstood,
emprunté à Nina Simone, et ces
joyaux de l’école du Brill Building
que sont It’s My Life, We Gotta Get
Out of This Place et Don’t Bring Me
Down. Mais jamais de grand
album. En 1966, il ne reste du
groupe originel que son chanteur
et le batteur Barry Jenkins. La po­
pularité des Animals décline alors
que croît celle des Rolling Stones
et des Who. Explication? « Le ma­
nagement, principalement [en
l’espèce Michael Jeffery, mort
en 1973 dans la collision aérienne
de Nantes]. Un exemple : pendant
que nous jouions en Pologne en
hiver, suivis partout par la police
dans un Etat communiste, les
Stones étaient en Irlande devant
un public extraordinaire, ce qui les
a aussi mis en contact avec le
patrimoine musical irlandais. »
Mais, comme Piaf, Burdon ne
regrette rien : « Je veux faire désor­
mais des audio books, il est temps
de raconter mon histoire. C’est la
prochaine chanson que je veux
chanter. » Sa vie, donc, et d’elle,
comme clame le refrain d’It’s My
Life, il fait ce qu’il veut.
bruno lesprit

A Saint­Ouen, expulsion surprise


de l’association artistique Mains d’Œuvres


Le préfet de Seine­Saint­Denis a tranché en faveur du maire de la ville, William Delannoy (UDI)


Q


uand on a vu passer une
vingtaine de camions de
police, vers 8 h 30, on ne
s’est pas doutés que
c’était pour nous! » Juliette Bom­
point, la directrice de Mains
d’Œuvres, raconte le choc mati­
nal, mardi 8 octobre, d’assister à
la pose de plaques de fer devant
les entrées de ses locaux à Saint­
Ouen (Seine­Saint­Denis), juste
avant l’ouverture.
L’association, qui est un pilier
dans la ville, à la fois pépinière et
lieu de diffusion artistique pluri­
disciplinaire, était en conflit avec
la mairie depuis l’élection de
William Delannoy (UDI), qui veut
récupérer le bâtiment industriel
de 4 000 m^2 où l’association est
installée depuis 2001.
La mairie a publié un communi­
qué dans la foulée de l’interven­
tion policière pour préciser que le
bâtiment municipal était « oc­
cupé sans droit ni titre par l’asso­
ciation depuis le 31 décem­
bre 2017 » alors que « la ville devait
lancer les travaux d’un nouveau
conservatoire municipal mo­
derne ». Le texte rappelle égale­
ment que l’association a tenté de
faire renouveler le bail devant la
justice, mais que, par un juge­
ment rendu le 2 juillet, elle « a été

déboutée et condamnée à quitter
les lieux ». Il ne mentionne pas, ce­
pendant, que la cour d’appel a été
saisie, et que, face à l’urgence,
Mains d’Œuvres s’est tournée vers
le juge de l’exécution du TGI de
Bobigny pour demander l’octroi
d’un délai avant l’expulsion, juge
qui doit trancher le 3 décembre.
« Je suis abasourdi, réagit Jean­
Louis Péru, l’avocat de l’associa­
tion. Sur un dossier de ce type,
avec d’un côté une activité foison­
nante, et de l’autre le projet balbu­
tiant d’un nouveau conservatoire,
qui n’a été ni voté ni budgété,
pourquoi le préfet n’a­t­il pas at­
tendu l’arbitrage du juge? Le cou­
peret s’abat alors que le débat juri­
dique est loin d’être terminé, et
empêche une solution de repli. Ça
ne fait que des dégâts. »

« Le matériel des artistes est ver­
rouillé à l’intérieur, certains doi­
vent annuler des représentations.
La méthode est très violente et n’a
aucun sens », renchérit Juliette
Bompoint, qui espère que les né­
gociations avec les huissiers per­
mettront rapidement à chacun de
récupérer ses outils de travail.

Nouvelle échéance électorale
Si le bras de fer de Mains d’Œuvres
avec le maire remonte à 2014, la
nouvelle échéance électorale est
en ligne de mire. La veille de l’ex­
pulsion, le maire a fait face à une
vague de démissions lors du
conseil municipal, avec le départ
de trois adjoints et de trois
conseillers délégués, qui ont évo­
qué des problèmes d’« autorita­
risme ». L’élu, qui n’a plus de ma­
jorité, semble isolé à cinq mois
des municipales, où il est candi­
dat à sa propre succession.
« Le maire est entré en campa­
gne, mais les autres candidats
nous soutiennent, note Juliette
Bompoint. Mains d’Œuvres, c’est
250 résidents, 300 événements
par an, 70 emplois, notamment
dans des structures d’économie
sociale et solidaire, en chômage
technique, et 125 bénévoles. C’est
aussi 21 studios de musique et

300 élèves qui fréquentent l’école
de musique Momo, dont les cours
vont être organisés chez les habi­
tants. C’est un lieu rassembleur :
nous avons de nombreux sou­
tiens, aussi bien dans les ré­
seaux professionnels que de la
part des habitants, quand le
maire essaie de diviser. »
Le mot d’ordre est donc de « res­
ter actifs pour tenir jusqu’aux élec­
tions municipales, en mars », sou­
ligne la responsable, qui précise
que les activités de l’association
sont soutenues financièrement
par quatre services de l’Etat, la
région, le département et les vil­
les de Paris et de Saint­Denis.
Malgré la pluie, les soutiens se
sont déplacés en masse, mardi en
début de soirée, devant Mains
d’Œuvres et une marche a été
organisée jusqu’à la mairie. L’avo­
cat a précisé au Monde avoir saisi
en urgence le juge de l’exécution.
Contacté, le ministère de la culture
a indiqué que la DRAC (direction
régionale des affaires culturelles)
doit recevoir, dès ce mercredi, les
responsables de la structure, et
précisé que celle­ci « est prête à
accompagner Mains d’Œuvres
pour redéfinir un nouveau projet
dans un nouveau lieu ».
emmanuelle jardonnet

« Mains
d’Œuvres, c’est
250 résidents,
300 événements,
70 emplois et
125 bénévoles »
JULIETTE BOMPOINT
directrice

Sur la scène
de l’Olympia,
à Paris,
le 8 octobre.
MANONVIOLENCE

« La seule
qui m’ait touché
dans votre pays,
c’est Edith Piaf,
sans doute
en raison de son
milieu d’origine »

« Je chante
même mieux
qu’autrefois,
je peux attraper
des notes
plus graves,
et aussi aiguës »
ERIC BURDON
chanteur

CANDIDE


Voltaire|Arnaud Meunier


création le 2 octobre 2019 |


La Comédie de Saint-Étienne


en tournée jusqu’en mai 2020


Production créée à La Comédie

© Sonia Barcet

Licences d’entrepreneur de spectacle : 1 – 1-1051707 | 2 – 1-1051708 | 3 – 1-

http://www.lacomedie.fr | 04 77 25 14 14
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