Le Monde - 10.10.2019

(vip2019) #1

8 |france JEUDI 10 OCTOBRE 2019


0123


D


es ambitions revues à
la baisse. Au lende­
main des élections
européennes, les diri­
geants de La République en mar­
che (LRM) rêvaient d’une vague
macroniste lors du scrutin muni­
cipal de mars 2020, en nourris­
sant des espoirs de conquête dans
plusieurs grandes villes, comme
Paris, Lyon ou Marseille. Cinq
mois plus tard, le discours a
changé. Les stratèges de la forma­
tion présidentielle se montrent
beaucoup moins enthousiastes,
et envisagent désormais peu de
victoires dans les métropoles.
« C’est le paradoxe de la Macronie :
on va être faibles là où se trouvent
la majorité de nos électeurs », ob­
serve un responsable du parti.
Ces dernières semaines, l’équa­
tion s’est sérieusement compli­
quée à Paris, par exemple, où les
chances de l’emporter de Benja­
min Griveaux se sont amoindries
du fait de la dissidence de Cédric
Villani. A Lyon, la perspective
d’un duel fratricide entre Gérard
Collomb et David Kimelfeld n’est
toujours pas écartée. A Bordeaux,
LRM et son allié MoDem soutien­
nent des candidats différents,
tandis qu’à Marseille, le parti n’a
toujours pas validé sa stratégie ni
trouvé le bon candidat.
Sans parler de Lille, Rennes ou
Nantes, où les chances de l’em­
porter face à l’édile sortant socia­
liste paraissent bien minces...
« On sait qu’on va prendre une cla­
que dans les grandes villes, sou­
pire un dirigeant. Il faut limiter la
casse, en gagnant Strasbourg sous
nos propres couleurs, et Montpel­
lier, Toulouse et Nice grâce à des
alliances. »
Les premiers sondages donnent
des sueurs froides aux macronis­
tes : à Reims, leur candidat ne ré­

colterait que 6 % au premier tour,
contre 53 % pour le maire Les Ré­
publicains sortant, selon un son­
dage IFOP diffusé début septem­
bre. Même scénario à Saint­
Etienne (7 % contre 43 %) et à Caen
(8 % contre 44 %). « Le dégagisme
est toujours à l’œuvre dans la so­
ciété, mais comme LRM est
aujourd’hui le parti majoritaire, il
est considéré comme faisant par­
tie du système, estime Jérôme
Fourquet, directeur du départe­
ment opinion à l’IFOP. Il ne de­
vrait donc pas y avoir de vague
macroniste aux municipales, mais
plutôt une prime aux sortants. »
Les élus de la majorité antici­
pent une lecture médiatique défa­
vorable des résultats, au soir du
second tour. Avec le risque d’avoir
« une carte de France avec quasi­
ment aucun drapeau En mar­
che qui flotte sur les grandes vil­
les », craint un député. Pour éviter
ce scénario noir, un proche du
chef de l’Etat juge que le parti
aurait dû assumer de « faire l’im­
passe » sur le scrutin municipal,
plutôt que de risquer une déroute
potentiellement handicapante en
vue de la présidentielle de 2022.

« Cynisme du soutien »
Ces dernières semaines, un argu­
mentaire s’est donc imposé à
LRM : la conquête des grandes vil­
les ne serait plus une priorité. Le
« critère de réussite » pour cette
jeune formation, qui ne compte
quasiment aucun maire, réside­
rait désormais dans sa capacité à
faire émerger une « nouvelle géné­
ration ». Le délégué général du
parti, Stanislas Guerini, se donne
comme objectif « près de 10 000
élus locaux à l’issue du scrutin ».
Un chiffre finalement assez bas,
rapporté au nombre total de con­
seillers municipaux, estimé à plus

de 500 000. Son mot d’ordre?
« Changer le système par le bas. »
Avec l’idée de combler le manque
d’implantation locale pour les
scrutins à venir, en particulier
dans l’optique des sénatoriales.
La crainte d’une déroute a égale­
ment poussé à un changement de
stratégie : après avoir surtout in­
vesti de purs « marcheurs » en
juillet, LRM noue davantage d’al­
liances avec des maires sortants
depuis la rentrée. Ces élus LR,
UDI, MoDem ou PS « macron­
compatibles » ayant l’avantage
d’être bien implantés.
« Il vaut mieux jouer placé avec
des élus de l’ancien monde que
jouer gagnant avec des candidats
LRM inconnus », reconnaît un ca­
dre de la majorité, évoquant « une
immense opération de fusions­ac­
quisitions ». Une stratégie qui ne
passe pas chez certains « mar­
cheurs ». « Le danger, c’est le cy­
nisme du soutien. Attention à ne
pas investir des sortants qui ne par­
tagent pas nos valeurs », met en
garde un proche du chef de l’Etat.
L’opposition, elle, fustige « l’oppor­
tunisme » du parti présidentiel.
M. Macron intervient, lui, par
petites touches. A chaque déplace­
ment en province, il fait désor­

mais le point sur les investitures,
comme ce fut le cas à Marseille, le
24 juin. Le 17 juillet, il a aussi con­
vié M. Collomb et M. Kimelfeld à
l’Elysée, pour tenter de trouver un
modus vivendi entre les deux
hommes. Le chef de l’Etat devrait à
nouveau croiser le maire de Lyon
mercredi, en marge d’un déplace­
ment dans la capitale des Gaules.
La veille, il a convié à déjeuner à
l’Elysée les responsables de LRM
et de la commission d’investiture
pour préparer le scrutin munici­
pal. Le 16 octobre, M. Macron aura
également l’occasion de rencon­
trer le maire LR sortant de Tou­
louse, Jean­Luc Moudenc – avec
lequel LRM entend s’allier – en
marge de la tenue d’un conseil
des ministres franco­allemand
dans la Ville rose.
Mais, contrairement aux légis­
latives et aux européennes, où le
scrutin revêtait un enjeu natio­
nal, pas sûr que l’implication du
chef de l’Etat permette des victoi­
res locales. « Cette fois, nos candi­
dats ne pourront pas gagner seu­
lement grâce à la tête de Macron
sur leur affiche de campagne! »,
juge un élu LRM. Un sentiment
largement partagé au sein du
parti, où l’on souligne que les mu­
nicipales reposent avant tout sur
des enjeux locaux.
« Construire une implantation
territoriale, cela prend du temps »,
souligne M. Guerini. « Comme le
général de Gaulle, qui n’avait pas
remporté les municipales en 1959
malgré sa popularité et avait dû at­
tendre 1964 pour que l’UDR décro­
che des grandes villes, on va mettre
deux scrutins pour s’implanter »,
anticipe un cadre. Comme s’il
s’agissait de préparer les esprits à
un résultat décevant.
alexandre lemarié
et cédric pietralunga

Guillaume Larrivé,


la droite décomplexée


en campagne


Le député de l’Yonne et ancien conseiller
de Nicolas Sarkozy, candidat à la présidence
de LR, assume son ambition présidentielle

A


quelques jours de l’élec­
tion du prochain prési­
dent du parti Les Répu­
blicains, Guillaume Larrivé n’est
« pas du tout déprimé ». « Mais je
veux être lucide », ajoute le candi­
dat devant une centaine d’adhé­
rents, réunis le 2 octobre au siège
de LR, à Paris. « Un parti politique,
c’est mortel aussi. »
Pour décrire la situation de la
droite comme l’état de la France, il
y aura ce soir­là du sang et des ba­
tailles. Le fils de colonel aime les
métaphores militaires, cite les
principes de la guerre du maré­
chal Foch. De l’histoire de France,
il affectionne aussi la seconde
guerre mondiale. « Vive la France
libre! », lance­t­il au cours de ses
« rencontres avec les militants »
(pas de meetings, il revendique
des « conversations »). La période
lui fournit aussi d’autres images.
« Je n’oublie pas que les traîtres, on
les fusille à la libération. Il faut
d’abord que la libération ad­
vienne », dit­il, distillant un léger
malaise face à un militant qui l’in­
terpelle sur les « trahisons » des
cadres ayant quitté le parti.
M. Larrivé a trouvé son public.
Devant les militants parisiens,
l’ancien conseiller d’Etat déroule
une droite décomplexée, d’acides
propositions sur l’immigration,
le tout avec le laissez­passer
conféré par son expérience de
conseiller de Nicolas Sarkozy et
de bonnes manières sous lesquel­
les perce une certaine impa­
tience. « On n’a pas à s’excuser de
vouloir rester français », déclare­
t­il sous les applaudissements.
« Qu’on suspende le regroupement
familial », poursuit­il, avant de
préconiser la fin du droit du sol et
l’organisation d’un référendum
constitutionnel pour en finir avec
« un système bureaucratique
devenu fou ».

« Bataille de France »
« Cette ligne que vous proposez, je
trouve ça fantastique! », réagit un
sympathisant. Une dame au pre­
mier rang lui demande son avis
sur la réindustrialisation, c’est
moins son créneau. Pour le social,
demandez Julien Aubert (député
de Vaucluse) dit en substance l’an­
cien conseiller juridique aux ap­
pétits régaliens. Pour sortir de
cette image de « techno », il tente
pourtant d’occuper d’autres ter­
rains et prône notamment une
remise de la France « au travail »
en réformant le revenu de solida­
rité active. L’éducation? « Fran­
çois­Xavier Bellamy ministre de
l’éducation, ça me va très bien. »

L’objectif pour le
parti présidentiel :
10 000 élus
locaux.
Un chiffre assez
bas rapporté
aux 500 000
conseillers
municipaux
Le gouvernement, actuel no­
tamment, est un peu l’obsession
du député quadragénaire, qui ra­
conte qu’« en juin 2017, dans les dî­
ners, on vous prenait pour un
semi­demeuré si vous n’étiez pas
ministre de Macron ». Aussi
l’auteur du Coup d’Etat Macron. Le
prince contre la nation (Editions
de l’Observatoire, 2018) assume­
t­il de concentrer ses espoirs sur


  1. « Soyons obsédés, obnubilés,
    concentrés sur l’élection reine »,
    dit­il, avant de nouveaux élans
    martiaux. « La bataille suprême, la
    bataille de France, c’est 2022! »
    Au­delà de l’élection interne qui
    sera tranchée, à moins d’un se­
    cond tour, dimanche 13 octobre, le
    député de l’Yonne se projette plu­
    tôt, pour l’heure, dans des habits
    de ministre. De la justice notam­
    ment – « Si un jour j’étais garde des
    sceaux, je mettrais un portrait du
    chancelier Maupeou dans mon
    bureau », auteur sous Louis XV
    d’une réforme de la justice visant
    à restaurer l’autorité du roi. A
    moins que ce ne soit Matignon
    qui l’intéresse...
    Des trois candidats à la prési­
    dence de LR, il est celui qui a dans
    ses tiroirs les propositions les
    plus structurées, appétit et réseau
    « techno » obligent. Ces dernières
    l’emmènent, avec des Tweet et
    lors des matinales, à la droite de
    cette campagne interne en forme
    de course à la surenchère, au ris­
    que de se faire des ennemis au fil
    des prises de position. Ainsi son
    soutien à la candidature éven­
    tuelle d’Eric Ciotti à la mairie de
    Nice lui a­t­il valu vendredi les
    foudres du président de la région
    Sud, Renaud Muselier. « Cette ini­
    tiative malheureuse devrait toute­
    fois t’autoriser un repos forcé et sa­
    lutaire », lui conseille ce proche de
    Christian Estrosi.
    Bientôt la fin, et Guillaume
    Larrivé n’est toujours pas
    déprimé : « Si je ne suis pas élu, je
    ne vais pas me barrer de LR pour
    bouder dans mon coin. Je ne suis
    pas du tout à la recherche d’un
    sous­titre, je serai libre. »
    julie carriat


La République en marche craint


la déroute aux municipales


Les premiers sondages, défavorables, poussent LRM à renoncer


à certaines grandes villes et à nouer des alliances avec les maires sortants


Des trois
candidats, il est
celui qui a les
propositions les
plus structurées,
appétit et réseau
« techno » obligent

S A N T É
Huit cas de cancers
pédiatriques dans
deux villages de l’Eure
Selon le quotidien Paris Nor­
mandie, l’Agence régionale
de santé a lancé une enquête
épidémiologique après
le signalement de huit cas
de cancers pédiatriques dans
deux communes voisines
de l’Eure, Igoville et Pont­
de­l’Arche. Inquiète, la mère
d’une petite fille atteinte
d’un neuroblastome, soignée
comme les autres jeunes
malades au CHU de Rouen,
a donné l’alerte.

P O L I C E
Six policiers
de Seine-Saint-Denis
en garde à vue
Six policiers de Seine­Saint­
Denis ont été placés en garde
à vue, mardi 8 octobre, dans
les locaux de l’inspection gé­

nérale de la police nationale,
soupçonnés d’être impliqués
dans l’interpellation violente
d’un jeune homme début
août à Saint­Ouen, ainsi que
de « faux en écriture publi­
que » et vol, a­t­on appris
auprès du parquet
de Bobigny. – (AFP.)

F A I T D I V E R S
Le rappeur Samat
tué par balles dans
le Val-d’Oise
Le rappeur Samat a été tué
par balles, lundi 7 octobre
en début de soirée, à Garges­
lès­Gonesse (Val­d’Oise) dans
un probable règlement de
comptes, a­t­on appris auprès
du parquet de Pontoise.
Connue des services de police
pour trafic d’armes et de
stupéfiants, la victime était
en permission de sortie,
incarcérée à la maison d’arrêt
de Nanterre. – (AFP.)

Le scrutin de mars 2020 devrait être


« globalement favorable aux sortants »


Selon une étude IFOP­Fiducial, près de deux tiers des électeurs d’Emmanuel Macron en 2017
souhaitent que leur maire, pas forcément issu de La République en marche, soit réélu

L


e « dégagisme » ne passera
pas par les municipales.
C’est ce que pourrait laisser
augurer le sondage réalisé par
IFOP­Fiducial pour la société Ter­
ritoires formation et conseil et le
cabinet de lobbying Public & Pri­
vate Link. Cette étude, significa­
tive par la taille de son échan­
tillon (10 129 personnes interro­
gées dans des villes de plus de
10 000 habitants, du 28 août au
13 septembre), montre que, majo­
ritairement, les électeurs sont
prêts à renouveler leur confiance
aux maires sortants.
Ainsi, 54 % des sondés disent
souhaiter qu’à l’issue de son man­
dat, en 2020, leur maire actuel
soit réélu (+ 4 points par rapport à
octobre 2017). Pour Frédéric Dabi,
directeur général adjoint de
l’IFOP, « ce scrutin municipal de­
vrait être globalement favorable
aux sortants ». De quoi doucher
quelque peu les ambitions de
conquête de La République en
marche (LRM) à l’approche des
élections de mars 2020.
Paradoxalement, c’est chez les
électeurs d’Emmanuel Macron à
l’élection présidentielle de 2017
que ce pourcentage est le plus
élevé (61 %), alors qu’ils n’ont pas
ou peu de maires issus de leurs
rangs. Et pour cause puisque le
mouvement n’existait pas
en 2014, si l’on excepte la sensibi­

lité MoDem de la majorité. C’est
aussi chez eux que se trouve le
plus fort taux de satisfaction à
l’égard de leur maire (70 % pour
une moyenne nationale de 64 %)
ou de satisfaits du travail accom­
pli par l’équipe municipale sor­
tante (71 % pour une moyenne de
63 %). Les électeurs macronistes
ne semblent pas vouloir renver­
ser la table à l’occasion de ces élec­
tions municipales.
Une donnée à prendre avec pré­
caution. En mars 2014, à la veille
des précédentes élections muni­
cipales, le pourcentage d’élec­
teurs se disant satisfaits de l’ac­
tion de l’équipe municipale sor­
tante était rigoureusement iden­
tique (63 %). « Bon nombre d’élus
socialistes avaient des sondages
très flatteurs, rappelle l’ancien
président de l’Assemblée natio­
nale, Claude Bartolone. Souvent,

des certitudes aux élections muni­
cipales sont battues en brèche à
l’heure du choix. » Résultat, ce
scrutin s’est traduit par une débâ­
cle historique de la gauche, qui a
perdu 196 villes de plus de
9 000 habitants en n’en gagnant
que 34, soit un solde négatif de
162 communes sur 1 052 villes de
plus de 9 000 habitants. Le vote
sanction contre le Parti socialiste
avait été déterminant.

« Stratégies d’étiquette »
Qu’en sera­t­il dans six mois,
alors que les élections présiden­
tielle et législatives de 2017 ont
provoqué une recomposition en
profondeur du champ politique
qui est loin d’être stabilisée? Pour
l’ancien ministre Jean­Louis Bor­
loo, observateur détaché de la
scène politique, « tous ceux qui
ont des stratégies d’étiquette, dont
la légitimité provient d’un appa­
reil, ont perdu avant de commen­
cer ». Lui aussi est persuadé qu’« il
y aura beaucoup de reconduc­
tions » et qu’« une lecture stricte­
ment politique de ces élections se­
rait totalement déconnectée ».
« On a une impression bizarre de
non­consistance politique », con­
firme M. Bartolone, qui prédit
« des seconds tours surprenants ».
L’autre volet de l’enquête IFOP­
Fiducial porte sur les attentes des
électeurs. Au premier rang des

enjeux déterminants pour le
choix aux municipales arrive la
sécurité des biens et des person­
nes (68 %), suivie par le niveau
des impôts locaux (64 %) – et ce,
alors qu’a été engagée une sup­
pression progressive de la taxe
d’habitation –, la gestion des fi­
nances et de la dette de la ville
(62 %), l’offre de soins et les servi­
ces de santé (59 %), la propreté et
l’entretien de la ville (57 %), l’em­
ploi et le développement écono­
mique (53 %).
L’étude montre aussi une muta­
tion de l’opinion quant au trans­
fert d’une partie des services pu­
blics vers le secteur privé : 67 %
des sondés s’y déclarent désor­
mais favorables, soit une progres­
sion de 13 points par rapport à
mars 2017. « Les verrous idéologi­
ques ont sauté », estime M. Dabi,
même si c’est chez les électeurs de
François Fillon et d’Emmanuel
Macron que cette opinion est la
plus largement partagée.
Cette évolution sensible reflète
d’une certaine manière la
tendance de plus en plus mar­
quée à ce que l’électeur se posi­
tionne vis­à­vis de ses élus en tant
que consommateur de services.
« Les gens en veulent pour leur ar­
gent », souligne M. Bartolone.
C’est aussi une donnée à prendre
en compte.
patrick roger

Au premier rang
des attentes
des électeurs,
la sécurité
(68 %), suivie
par le niveau
des impôts
locaux (64 %)
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