Le Monde - 10.10.2019

(vip2019) #1
0123
JEUDI 10 OCTOBRE 2019 france| 9

A Frontignan,


l’extrême droite


ne dit plus


son nom


Le conseiller régional RN


Gérard Prato a opté pour une liste


« sans étiquette » aux municipales


REPORTAGE
frontignan (hérault) ­
envoyée spéciale

L


e rideau qui se lève laisse
apparaître deux portraits
grandeur nature. Gérard
Prato sur fond de vignes,
côté droit de la vitrine. Gérard
Prato face au canal de Frontignan,
sur l’autre flan. Devant sa perma­
nence de campagne, inaugurée le
28 septembre, le candidat aux mu­
nicipales de Frontignan affiche
son sourire le plus éclatant... mais
aucun logo partisan. Un « Agir »,
tracé en bleu, blanc, rouge, laisse à
peine deviner le mouvement
pour lequel l’inspecteur des finan­
ces publiques se présente à la mai­
rie de cette ville de l’Hérault de
près de 23 000 habitants.
A 57 ans, Gérard Prato n’est pas
exempt de tout engagement. An­
cien délégué départemental du
Rassemblement national (RN), il
est toujours conseiller régional
RN d’Occitanie et siège depuis
bientôt six ans au conseil munici­
pal de Frontignan sous l’étiquette
« bleu marine ». A moins de six
mois du scrutin municipal, le
voilà prendre ses distances avec
son extrême droite d’origine.
« Plus adhérent. » Et ce alors que
Frontignan incarne justement
l’archétype de ces villes moyen­
nes accrochables par le parti de
Marine Le Pen : une commune dé­
sindustrialisée à l’électorat an­
ciennement ouvrier ancré plus à
gauche que ses voisines, subissant
la double périphérie de Sète et de
Montpellier, où moins de la moi­
tié de la population est imposable
et où les fermetures en chaîne ont
laissé place à un taux de chômage

de plus de 12 %. Presque un copier­
coller du bassin minier sous le
soleil de la Méditerranée.
Les scores parlent d’eux­mê­
mes : le Front national y a fini en
tête à la présidentielle (51,2 %) ;
même pole position aux euro­
péennes de mai (36,9 %), cette fois
vingt points devant la République
en marche (LRM)... Gérard Prato,
encore lui, avait même bien failli
ravir un siège de député en 2017,
mais la vague macroniste avait
sauvé le candidat de la majorité
présidentielle, élu avec moins de
trois points d’avance sur son rival
frontiste. En mars 2020, le candi­
dat Prato compte bien prendre sa
revanche en s’appuyant sur deux
modèles voisins : « la jurispru­
dence Aliot » – le député RN candi­
dat à Perpignan ayant « jeté un
pavé dans la mare » en se déta­
chant de son étiquette – et l’écho
du maire de Béziers, Robert
Ménard, son « exemple à suivre » à
une cinquantaine de kilomètres.

« Personne n’assume qui il est »
L’équipe de campagne de Gérard
Prato a bien reçu une ou deux cri­
tiques de cadres marinistes


  • « comme quoi on était un peu
    trop ménardisés » –, mais revendi­
    que tout de même l’investiture du
    parti lepéniste. Une marque à qui
    il doit tous ses mandats... mais
    désormais trop lourde pour briser
    le plafond de verre, qui l’avait
    stoppé à 43,1 % au second tour lors
    des municipales de 2014.
    « Je n’ai jamais caché que j’étais
    sur la ligne du Front au national,
    mais faut pas tout mélanger. Le lo­
    cal, c’est le local. » A ses côtés, des
    « déçus » de l’échec présidentiel,
    comme Guilaine Touzellier qui


n’a pas renouvelé sa carte fron­
tiste, côtoient des marinistes tou­
jours très investis, tel Gilles Ardi­
nat, transfuge du parti de Nicolas
Dupont­Aignan devenu conseiller
régional RN... et d’autres colistiers,
l’un « sans parti », l’autre venu de
l’UDI. Le candidat Prato a même
nommé un ancien de l’UMP
comme directeur de cabinet.
Son étiquette RN, il l’enfouit
aujourd’hui sous la liste de ses
autres soutiens : Debout La
France ; Robert Ménard ; la « droite
populaire », coquille vide de l’an­
cien ministre Thierry Mariani, élu
sur la liste du RN aux européen­
nes, qui sert surtout de sas à ceux
qui n’osent pas (encore) afficher le
label d’extrême droite... « Avec
tout ça, ils vont être obligés de nous
classer divers droite à la préfec­
ture », s’amuse­t­il.
« Mais vous êtes quel parti? C’est
pas marqué! » Un Frontignanais
souffle la fumée de sa cigarette
électronique sur une brochure à
l’effigie de Gérard Prato, au cœur
du marché. « Liste d’ouverture », lui
répond Mathias Liszka. A 31 ans,
cet ancien militaire fait partie des
sarkozystes désabusés passés
chez Marine Le Pen. Devant la
moue du passant, il précise : « On

est sans étiquette, mais tendance
droite », avant d’entamer sa litanie
de soutiens « Rassemblement na­
tional, Debout la France, Thierry
Mariani, Robert Ménard... »
Une fois le potentiel électeur
parti, un autre militant confie :
« Moi c’est pareil, on n’arrête pas de
me demander quel parti! » Lui pré­
fère répondre « les responsables de
l’opposition à la mairie. C’est plus
facile... » et a le mérite d’être vrai.
Au conseil municipal, l’ex­Front
national représente depuis cinq
ans et demi la seule opposition au
maire socialiste élu avec l’union
de la gauche en 2014, Pierre Boul­
doire. L’édile achève son qua­
trième mandat et l’équipe de
Gérard Prato compte bien miser
sur l’usure née de ce « quart de siè­
cle » au pouvoir.
Pierre Bouldoire se représente­
ra­t­il une nouvelle fois? Peut­
être, peut­être pas. « Que j’y aille
ou pas, l’unité de la gauche res­
tera », assure­t­il, confiant en son
bilan et ses « solides » 57 % réunis
au second tour en 2014. Olivier
Boudet, le candidat investi par
LRM, est moins optimiste : « Prato
est “le” favori », selon lui. Ici, « on se
bat pour la deuxième place », ajou­
te­t­il, espérant que les autres se

rangeront derrière le mieux placé
dans l’entre­deux­tours, pour évi­
ter une triangulaire plus favorable
au RN. Attaché parlementaire
du député macroniste dans la
circonscription de Frontignan,
M. Boudet se présentera pourtant
sous l’étiquette « divers », alignant
lui aussi un chapelet de « sou­
tiens » enrobant le label présiden­
tiel : Agir, MoDem, Mouvement
radical social libéral de l’Hérault...
« C’est les divers lâches. Ici, per­
sonne n’assume qui il est », accuse
le maire. Ce qui ennuie un peu Ju­
lien, désappointé devant les bacs
de moules à farcir du marché. « A
fond FN », il examine le tract qu’on
lui tend en grimaçant : « Y’a un
truc qui me paraît bizarre, Prato ne
se présente pas pour le Front natio­

nal? » L’équipe intervient : « Mais
on est soutenus par le RN! » Pas
convaincu, Julien s’éloigne en
grommelant. « Y’a une combine,
j’aime pas ça. » Peut­être même
bien qu’il s’abstiendra.
Pied à terre, une promeneuse à
vélo se fiche bien de ce « foutoir »,
elle votera « Prato, le candidat du
FN ». « Pour qu’on retrouve un peu
la sécurité! », acquiesce un mem­
bre de la liste. « Oh non, ça, ça va
ici », rétorque du tac au tac la
cycliste, s’inquiétant davantage
pour la sécurité des militants :
« Mais vous, vous êtes bien ac­
cueillis? » Mathias Liszka sourit,
« facile ici ». Pas comme cette fois,
lors de la campagne pour les euro­
péennes, où les insultes avaient
fusé sur le même marché. Les
tracts portaient alors la flamme, et
le visage de Marine Le Pen. « C’est
sûr que sans l’étiquette, on est
moins stigmatisés. »
Depuis le début de matinée, les
rares qui refusent les tracts
s’excusent dans un sourire :
« Nous sommes touristes. » Les
bras grands ouverts, le militant
lepéniste se fait déjà premier ma­
gistrat de la ville : « Alors bienve­
nue chez nous! »
lucie soullier

De gauche à droite : Jean­Louis Cousin, candidat RN aux municipales à Agde, Gilles Pennelle, délégué aux fédérations du RN,
et Gérard Prato, candidat aux municipales à Frontignan, dans les locaux du RN à Béziers, en mai. RENÉ FERRANDO

Logements insalubres : des pistes pour simplifier la lutte


Le député LRM Guillaume Vuilletet, dans un rapport rendu mardi à Edouard Philippe, propose de clarifier le droit


L


e drame de la rue d’Auba­
gne, à Marseille, le 5 no­
vembre 2018, lors duquel
l’effondrement de deux immeu­
bles insalubres a causé la mort de
huit personnes, a poussé le
gouvernement à faire de la lutte
contre l’habitat indigne une prio­
rité. La loi ELAN, adoptée quel­
ques jours plus tard, le 23 novem­
bre 2018, a durci les sanctions
contre les marchands de som­
meil, mais l’exécutif doit trouver
des procédures efficaces et rapi­
des pour aller plus vite que la
dégradation des immeubles. C’est
le sens de la mission confiée à
Guillaume Vuilletet, député
(LRM) du Val­d’Oise, qui a, mardi
8 octobre, remis au premier mi­
nistre et aux ministres de la santé
et du logement son rapport, inti­
tulé « Pour simplifier les polices
de l’habitat indigne et promou­
voir l’habitabilité pour tous ».
Le constat de M. Vuilletet est
assez déprimant. Nul ne connaît,
explique­t­il, en préambule, le
nombre exact de logements indi­
gnes : il varie de 420 000, selon le
gouvernement, à 600 000, selon
la Fondation Abbé Pierre, voire
800 000, si l’on considère les « lo­
gements dégradés » recensés par

l’Insee. Plus grave est la com­
plexité du droit sur ce sujet, avec
treize administrations différentes
concernées, comme l’agence ré­
gionale de santé (ARS), la préfec­
ture, la mairie, la police, la justice...
M. Vuilletet recense 21 procédures
différentes, sur l’amiante, le
plomb, la vacance des logements,
l’insalubrité, le péril remédiable
ou irrémédiable, l’urgence...

« Certificat d’habitabilité »
Tout cela s’appuie sur des textes
dispersés dans des codes variés,
de la santé publique, de la cons­
truction et de l’habitation, des
collectivités locales, et d’innom­
brables règlements. « Je me suis
trouvé face à des agents perdus,
découragés, impuissants à tel
point qu’ils renoncent, confie
M. Vuilletet. A l’exception de quel­
ques collectivités locales, qui ont
réussi à accumuler une expérience
et réunir des experts très pointus
pour se faire aider. » Fin 2016, pas
moins de 5 475 arrêtés d’insalu­
brité restaient sans suite. « Il y a
donc un enjeu majeur à clarifier le
droit », conclut le député.
Dans son rapport, M. Vuilletet
propose d’abord de mettre fin à la
multiplicité des notions liées aux

logements, tout à tour « indi­
gnes », « indécents », « insalu­
bres » ou « en péril », pour renver­
ser la logique et proposer une dé­
finition unique et claire du « loge­
ment habitable » : « Nous devrions
parvenir à un certificat d’habitabi­
lité, un peu à l’image du contrôle
technique des automobiles. »
La loi ALUR du 24 mars 2014 a
offert aux collectivités la possibi­
lité d’instaurer, dans les secteurs
jugés à risque, un permis de louer
qui préfigure ce certificat. Plu­
sieurs municipalités s’en sont em­
paré, comme Bagnolet et bientôt
Bobigny et Aubervilliers (Seine­
Saint­Denis), Mantes­la­Jolie (Yve­
lines), Gennevilliers et Clichy

(Hauts­de­Seine), Nangis (Seine­
et­Marne), Roubaix et Tourcoing
(Nord) ou encore Marseille.
Le rapport suggère aussi de
substituer aux 21 procédures exis­
tantes actuelles trois dispositifs
administratifs : la première en cas
de locaux impropres à l’habita­
tion ; la deuxième pour forcer des
travaux de mise aux normes ; la
troisième en cas d’urgence. Enfin,
il propose la création d’une « po­
lice administrative unique d’habi­
tabilité » dont le pilote reste à
trouver : la commune? L’inter­
communalité? Le département?
« Tout est encore ouvert, cela peut
varier d’un territoire à l’autre et
relever du choix des élus, selon leur
implication », précise M. Vuilletet.
« Ce rapport est intéressant et
nourrira la future ordonnance, à
prendre d’ici à mai 2020 comme l’a
prévu la loi ELAN, pour refonder le
droit sur ce sujet, se félicite Julien
Denormandie, ministre du loge­
ment. D’ores et déjà, la justice s’est
saisie des nouvelles mesures de la
loi ELAN qui ont durci les sanctions
contre les marchands de sommeil,
à qui nous avons déclaré la guerre,
et les juridictions prononcent,
aujourd’hui, des condamnations
exemplaires », confie­t­il. Le mi­

nistre fait référence, entre autres,
à la décision du tribunal de
grande instance de Paris du
27 septembre, qui a gelé l’indem­
nité d’expropriation de près de
900 000 euros d’un propriétaire
d’immeuble insalubre, en atten­
dant son jugement au pénal.
Autre avancée : six départe­
ments tests (la Seine­Saint­Denis,
le Val­de­Marne, l’Essonne, les
Alpes­Maritimes, les Bouches­du­
Rhône et le Nord) ont créé début
2019 des groupes locaux de traite­
ment de la délinquance consacrés
à la lutte contre l’habitat indigne.
Ils réunissent tous les acteurs,
jusqu’aux syndics et agents
immobiliers qui ont désormais,
grâce à la loi ELAN, la mission de
dénoncer les marchands de
sommeil au procureur de la Répu­
blique : « Les professionnels de
l’immobilier jouent le jeu et pren­
nent attache avec les procureurs »,
constate M. Denormandie.
Le rapport de M. Vuilletet ne dit
cependant rien des moyens à
consacrer à ce chantier. Tout juste
se risque­t­il à chiffrer la réhabili­
tation des 300 000 logements
concernés à 13,2 milliards d’euros,
sur dix ans.
isabelle rey­lefebvre

Olivier Boudet, le
candidat investi
par La République
en marche,
se présente, lui,
sous l’étiquette
« divers »

Nul ne connaît
le nombre exact
de logements
indignes : il varie
de 420 000, selon
le gouvernement,
à 600 000, selon
la Fondation
Abbé Pierre

M U N I C I PA L E S
Le PS investit près
de 30 candidats
Mardi 8 octobre, le Parti socia­
liste a investi près de 30 can­
didats pour les municipales
de mars 2020, dont la
vice­présidente de la région
Occitanie Nadia Pellefigue à
Toulouse. A Reims, l’ancien
premier adjoint Eric Quénard
a été investi ; à Besançon, le se­
cond adjoint et universitaire
Nicolas Bodin ; dans les Hauts­
de­Seine, à Nanterre, l’adjoint
Zacharia Ben Amar et à Cour­
bevoie, le conseiller territorial
Alban Thomas. Dans le Nord,
Yazid Lehingue est candidat
à Somain et Romain Merville
à Douchy­les­Mines. – (AFP.)

Salve d’investitures
chez Les Républicains
LR a procédé, le 9 octobre, à
une salve d’investitures pour
les municipales. Jean­Pierre
Brenas, conseiller municipal
et conseiller régional, est in­
vesti à Clermont­Ferrand ;
Aurane Reihanian, président
des Jeunes Républicains,
à Bourg­en­Bresse ; Ludovic
Fagaut, conseiller municipal
et vice­président du conseil
départemental, à Besançon ;
Maxime Gaconnet et Bruno
Basso, conseillers munici­
paux, à Annemasse et
Annecy, et Jean­Philippe
Vetter à Strasbourg.
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