Le Monde - 03.10.2019

(Michael S) #1
0123
JEUDI 3 OCTOBRE 2019
styles

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paris se porte


comme un charme


Du Chanel version quotidien sublimé, du Miu Miu


minimaliste et touchant, de l’Alexander McQueen


irrésistible... Opération séduction réussie pour les


derniers défilés de la semaine parisienne de la mode


MODE


E


n quête de sens, la mode
d’aujourd’hui tend à
multiplier les messages
et les concepts. Mais pour
les deux derniers jours de la
fashion week parisienne, lundi
30 septembre et mardi 1er octobre,
elle revient à l’essentiel : des vête­
ments immédiatement désira­
bles, avec du charme et de la
personnalité.
Le défilé Chanel prend de la
hauteur. Dans le Grand Palais, un
décor « toits de Paris » emmène le
public voir ce qui se passe au­des­
sus du bruit et de la fureur de la
ville. Là­haut, Virginie Viard
orchestre un ballet plein de fraî­
cheur. Minirobes, manteaux
courts et combinaisons shorts en
tweed ont la légèreté et l’opti­
misme contagieux d’un matin de
printemps. Partout, on reconnaît
les codes Chanel en version
« quotidien sublimé » : les grands
cardigans en mailles se portent
avec des jeans ou des pantacourts
taille haute, les mélanges de noir
et blanc sont proposés sur des vo­
lumes fluides et soufflés.
Dans ces aristochats à la démar­
che féline et bondissante, on re­
trouve un peu de l’innocence des
années 1960 et 1970 dans un Paris
de cinéma auquel on veut croire.
Derrière le chic « comme il faut »,
on devine le caractère : quand une
youtubeuse réussit à s’incruster
dans le final du défilé, le top­mo­
dèle Gigi Hadid, en femme Chanel

à poigne, la raccompagne vite fait
bien fait en backstage. Moderne,
cool, désirable et chic, cette collec­
tion prouve que Virginie Viard est
le parfait choix pour la maison.
Tant pis si cela contrarie les
spéculateurs du très instable
« marché des designers ».
Désormais membre de la ga­
laxie LVMH, Stella McCartney est
une pionnière de la durabilité et
du combat écologique dans la
mode. S’il y a une créatrice pour
laquelle ces sujets ne sont pas des
« mots du moment » jetables et
vides de sens, c’est bien elle.
Comme depuis ses débuts, il n’y a
ni cuir ni produits tirés d’ani­
maux dans sa collection, et 75 %
de celle­ci est fabriquée à partir de
matériaux respectueux de l’écolo­
gie. Mais la créatrice militante fait
avant tout de jolis vêtements fé­
minins, cool, faciles à porter ; tout
est souple et fluide dans ses sil­
houettes, des vestes tailleurs am­
ples aux pantalons et aux combi­
naisons brodées d’ondulations
décoratives. Que l’on cherche un
jean large mais flatteur, un trench
ou une robe lingerie sexy mais
tout confort, il y a tout cela chez
Stella McCartney. Et tout se garde
bien plus d’une seule saison, his­
toire de gaspiller le minimum.
Sur la bande­son de Sacai , le
pape du funk George Clinton
brille avec son One Nation Under a
Groove. De quoi mettre la salle de
bonne humeur et souligner dis­
crètement le message d’unité dé­
fendu par la créatrice Chitose Abe.

Sa mode elle­même est, techni­
quement, un rassemblement ou
plutôt une fusion de différents vê­
tements pour en faire un nou­
veau. Et le résultat de cette hybri­
dation est particulièrement fluide
cette saison. Robes­pulls et robes
en soie ne font qu’un, trench et
blouse de mousseline se muent
ensemble en combinaisons. Les
volumes sont souples, délicats ;
tout à l’air facile, évident, alors
qu’il faut une grande maîtrise
technique pour réaliser chacune
de ces pièces très originales mais
jamais intimidantes.
Pour le final très applaudi du
show Alexander McQueen, Sarah
Burton est venue saluer avec tout
son atelier. Un geste rare dans la
mode mais logique puisque la
collection est dédiée au travail
d’artisanat, le « fait main », à la jus­
tesse et à la perfection du geste qui
permet à une idée de prendre
forme, de prendre vie.
Dans une salle entièrement ha­
billée de bois brut à la couleur
miel apaisante passent des sil­
houettes qui incarnent toute la
dramaturgie et la virtuosité du
tailleur anglais « à la McQueen » :
vestes aux épaules aiguës ou
soufflées comme une fleur qui
éclôt, origami de cuirs et dentelles,
robes carapaces qui dessinent une
silhouette de guerrière somp­
tueuse. Et puis, dans les pétales de
soie plissés à la main qui trans­
forment le corps en bouquet vi­
brant au fil des pas, les robes aux
volants qui frissonnent comme

une écume, ou les broderies de
cristaux comme voilés de la pous­
sière du temps, on retrouve l’élan
romanesque de la maison. Il y a
là les vêtements que l’on peut
porter tous les jours, et ceux que
l’on rêve de porter pour devenir
cette femme­là, irrésistible, tou­
chante, une héroïne comme on
n’en fait plus assez.
De Miu Miu, on connaît le côté
mignon, pop, flirtant parfois avec
le kitsch qui fait sourire et donne
envie de se rouler dans le mohair
couleur bonbon ou de gambader
en talons strassés. Cette fois,
Miuccia Prada casse la bulle bub­
ble gum pour un réalisme sous in­
fluences années 1940. Le mohair
est grisé et bouilli, les fronces po­
sées comme au hasard sur les ju­
pes, les broches et talons compen­
sés sont taillés dans un bois sans
apprêt, des bouquets de fleurettes
maigres animent des cuirs vernis
texturés. Tout cela cherche à évo­
quer une poésie du dénuement.
Mais ce sont les pièces les plus
simples (jupes plissées à bretelles,
tailleurs jupes bleu marine, man­
teaux sans manches) qui ont un
vrai charme. Leur côté minimal et
quotidien légèrement doux­amer
est original et touchant.
Lacoste reçoit dans son biotope
naturel à Roland­Garros. Direc­
trice artistique de la maison, la ta­
lentueuse Louise Trotter cherche
encore sa place dans cette marque
sportive qui flirte avec la mode du
bout de la raquette. Sa collection
alterne beaucoup de combinai­

sons improbables (des costumes à
pantalon jogging couleur saumon
portés avec des mocassins de ville,
les pulls sans manches à col V ren­
trés dans un bas de sport) et quel­
ques pépites comme le trench
kaki en peau esprit seventies ou
de longues jupes plissées ultragra­
phiques à l’allure intemporelle.
En clôture de la fashion week,
dans une grande structure posée
au milieu de la cour carrée du Lou­
vre, Nicolas Ghesquière propose
pour Louis Vuitton un défilé ovni.
Sur le mur du fond est projetée
une vidéo de la pop star anglaise
transexuelle Sophie. La collection
est une ode à une nouvelle Belle
Epoque, tourbillon d’idées gran­
dioses, rencontre du dandysme et
de l’esprit décadent.
Chaque silhouette est un collage
complexe, les manches dites gigot
symptomatiques de l’esthétique
du début du XXe siècle, sont un
peu comme un fil rouge, une ba­
lise. Le reste est un télescopage de
brocards, formes déconstruites,
dentelles, costumes trois pièces et
microjupes à volants. Rayures
Lurex et imprimés Art nouveau
revisités rivalisent d’éclat, tandis
que des couleurs très seventies
(mauve, marron caramel, vert
pomme) imposent leur présence.
C’est un drôle de paradis artificiel
qui est proposé là. Il plairait sans
doute à Jean des Esseintes, l’anti­
héros de A rebours ; mais d’autres
hésiteront plus longuement à pé­
nétrer cet univers.
carine bizet

QUE L’ON CHERCHE


UN JEAN LARGE MAIS 


FLATTEUR OU UNE ROBE 


LINGERIE SEXY


MAIS CONFORT,


IL Y A TOUT CELA


CHEZ STELLA MCCARTNEY.


ET TOUT SE GARDE BIEN 


PLUS D’UNE SEULE SAISON


Alexander McQueen.
VICTOR VIRGILE/GAMMA-RAPHO
VIA GETTY IMAGES

PARIS | PRÊT-À-PORTER PRINTEMPS-ÉTÉ 2020


Chanel.
CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP

Louis Vuitton.
GONZALO FUENTES/REUTERS
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