Le Monde - 03.10.2019

(Michael S) #1

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JEUDI 3 OCTOBRE 2019 france| 9


crois pas que vous y adhérez non plus, que les peuples soient interchangeables. Et
bien que je crois fondamentalement à l’assimilation, je pense qu’il faut des conditions
pour que cette assimilation fonctionne, et je pense en premier lieu que pour s’assimi­
ler, il faut s’assimiler à quelqu’un et à quelque chose.
Le deuxième défi qui est largement d’actualité, du moins tous les samedis, c’est le
grand déclassement, celui que subit la France périurbaine et rurale, mais pas seule­
ment, une partie aussi des grandes villes, en proie à l’insécurité. (...) Je pense que trois
axes pourraient être investis face à ce phénomène de la France à deux vitesses qui se
développe : d’une part, baisser le poids des impôts et des taxes, mettre fin à une spolia­
tion étatique, et je pèse mes mots, qui freine et fragilise prioritairement l’économie
non délocalisable, ce qui impliquera nécessairement de recentrer l’Etat sur ses fonc­
tions régaliennes. Il faudra également réguler la concurrence internationale en impo­
sant davantage la voix française, j’y reviendrai plus tard, dans les négociations com­
merciales de l’Union européenne. Il faudra aussi, et j’insiste sur ce point, lancer une
nouvelle politique d’aménagement du territoire. Soyons ambitieux, plus ambitieux
que les progressistes aux affaires. Eux visent la France des vingt métropoles, la France
des vingt villes­mondes (...). Je pense que nous pouvons au contraire viser la France des
cent villes, miser sur les villes intermédiaires pour remailler l’emploi sur le terri­
toire et désengorger des métropoles devenues économiquement inaccessibles. (...)
Le troisième défi est le plus omniprésent dans le débat public. Il s’agit du grand épuise­
ment écologique. C’est vrai, notre environnement est épuisé par un modèle producti­
viste, imposé, et c’est là d’ailleurs la grande incohérence des écologistes, par la pression
de la concurrence mondiale, et un modèle de consommation devenu internationalisé,
des paysans qui se suicident, des champs devenus stériles à force de produire, des éco­
systèmes qui disparaissent, saturés de déchets et de produits chimiques. Ce modèle, en
plus de détruire, est un échec économique. Pour la première fois de son histoire, un rap­
port du Sénat annonce que d’ici 2023 la France pourrait importer davantage de produits
agricoles qu’elle n’en exporte. Je l’affirme aujourd’hui : l’écologie en réalité est un con­
servatisme. Préserver des paysages, préserver des terroirs, préserver des modes d’ali­
mentation, tout ceci en réalité est un combat identitaire. C’est nous qui sommes légiti­
mes pour porter ce combat, loin des lobbys, loin des effets d’aubaines, des éclats média­
tiques, des grand­messes internationales, d’une fiscalité punitive aussi inefficace qu’in­
juste. Ce ne sont pas les internationalistes libres­échangistes à la Macron ou les zadistes
antinucléaires qui pourront répondre de manière cohérente à ce grand défi. Nous som­
mes les plus légitimes à proposer des modèles économiques alternatifs qui encoura­
gent à produire et à consommer local : permaculture, biomimétisme, recyclage, sys­
tème naturel de dépollution, création d’algo­plastique. Quand je vois toutes ces innova­
tions technologiques qui avancent, je suis très très loin du catastrophisme ambiant (...),
bien au contraire, je suis incroyablement optimiste sur ce que la science va nous per­
mettre de révolutionner en termes de production et de consommation pour, demain,
mieux respecter la nature. Mais tout ceci ne peut fonctionner que dans une logique de
consommation locale, fondée largement sur l’initiative entrepreneuriale, et dans le ca­
dre, évidemment, de frontières protectrices.
L’actualité législative nous conduit au quatrième défi : le grand basculement
anthropologique, qui n’est pas sans lien, d’ailleurs, avec la question écologique que je
viens d’évoquer. Dans ce temps de la consommation, les désirs deviennent des droits,
tout s’achète et tout se vend, de l’utérus à l’enfant. Pardon pour ceux qui nous quali­
fient de bioconservateurs, j’admets, j’avoue humblement, sans fantasmer sur le
fait que ce soit mieux avant, que je souhaite pour ma fille une société dans laquelle
l’enfant ne soit pas un produit à acheter, à commander, à consommer, à jeter,
d’ailleurs, s’il déplaît. Je souhaite en effet ne pas être, moi en tant que femme, un pro­
duit à commander et à livrer. Je dois dire que je goûte assez peu la promotion qui a été
faite ces dernières semaines, non pas tellement de la PMA [procréation médicalement
assistée], parce qu’en réalité cela est déjà acquis pour la plupart des progressistes, mais
de la gestation pour autrui [GPA], que je trouve profondément indécente. Je le dis avec
beaucoup de force, je trouve profondément indécent que des couples aujourd’hui, qui
sont allés sciemment violer la loi française, louer le ventre d’une femme, acheter un
bébé, reviennent aujourd’hui avec ce bébé dans les bras, se défaussent de leurs respon­
sabilités et nous accusent, nous, d’être inhumains et de ne pas défendre les droits de
l’enfant. Une chose est sûre, il ne faut pas se voiler la face, l’eugénisme et l’intelligence
artificielle sont les prochains terrains de compétition des grandes puissances. La
France a longtemps et souvent inspiré le monde. Je crois qu’elle a encore un grand rôle
à jouer dans ce domaine. (...)
Enfin, le [dernier] défi, et non des moindres, le grand affrontement des puissances. La
fin de l’histoire n’a pas eu lieu. Aujourd’hui des nations autrefois en sommeil réinves­
tissent le jeu mondial, la Chine, et plus largement l’Asie, mais aussi la Russie, devien­
nent de plus en plus offensives tandis que les Etats­Unis défendent bec et ongles leur
place. Le gouvernement ne semble pas comprendre que l’économie est aujourd’hui
devenue le nouveau terrain d’affrontement des superpuissances. Il semble, comme
les pacifistes en 1940, ne pas vouloir regarder et affronter l’adversité où elle se trouve
(...). Notre territoire, notre géographie et la francophonie nous offrent aujourd’hui des
opportunités exceptionnelles, mais inexploitées, qui pourraient demain se retourner
à notre avantage.
L’échelle européenne, enfin, je m’attarde un peu sur ce sujet car je sais qu’il fait très
largement débat, à juste titre d’ailleurs, dans nos familles politiques. Je ne suis pas de
ceux qui défendent bec et ongles l’Union européenne, et je suis la première à
admettre volontiers que c’est un projet mal pensé, mal conçu et philosophiquement
délétère. Néanmoins, en politique, c’est le terrain qui commande, et le terrain
aujourd’hui a créé des dépendances mutuelles dont il est difficile de se départir sans
avoir préalablement reconstruit un certain nombre de choses au niveau national. Je
vous le dis aussi très sincèrement, je ne crois pas une seule seconde que la réforme tant
espérée, tant défendue, y compris par les européistes, passera par la Commission euro­
péenne ou par le Parlement européen. La réforme de l’Union européenne passera par
des stratégies d’alliances gouvernementales, en vue de rééquilibrer le rapport de force
avec l’Allemagne. (...)
C’est là aussi où je suis très optimiste, puisque c’est la France qui a la clé du destin
européen. C’est nous qui avons la clé. Depuis que l’Union européenne existe, la France
n’a quasiment jamais été mise en minorité sur un texte qu’elle ne voulait pas. La
réalité, c’est que notre servitude a toujours été volontaire, les gouvernements succes­
sifs ont voulu accompagner, défendre, militer pour les politiques européennes qui se
font aujourd’hui contre les intérêts français. Nous avons les moyens, plus que quicon­
que au sein de l’Union européenne, de renverser ce système de l’intérieur. (...)
Je le répète, puisque certains ont eu un discours un peu différent aujourd’hui, je
suis très optimiste. Je suis très optimiste parce qu’en regardant, en analysant tous ces
sujets, je vois des voies de rédemption, je vois des axes à travailler, je vois des réponses
politiques à apporter, et je ne vois absolument rien d’inéluctable. Néanmoins, je vois un
obstacle, peut­être le principal d’ailleurs, qui se trouve dans cette petite musique du
renoncement, cette tentation permanente du désespoir, ce sentiment de fatalité d’un
combat déjà perdu. Nous sommes censés être le camp des réalistes. Nous sommes
censés être le camp des conservateurs. Nous sommes censés être les défenseurs de la
nation, de la famille, de la tradition, de l’autorité. Nous sommes le
camp de l’expérience. Nous ne sommes pas le camp de la table
rase. Nous avons l’humilité de nous retourner et de regarder ce qui
a été fait par nos ancêtres de juste, de bon et de vrai, pour tenter
d’en tirer les leçons et les transmettre à notre tour humblement à
l’échelle de notre civilisation. (...) Vous qui êtes des Français patrio­
tes, vous savez mieux que quiconque que la France a connu, c’est
vrai, de terribles chutes. Mais elle a aussi et surtout vécu d’incroya­
bles et sublimes résurrections. Je comprends évidemment qu’il
puisse y avoir du doute, mais je ne comprends pas du tout qu’on
puisse perdre espoir. (...) Demain, j’en suis intimement convain­
cue, nous serons au pouvoir.

Conservatisme et


rapport à la « nature »
En liant son quatrième « défi », « le grand bascu-
lement anthropologique », à l’écologie, Marion
Maréchal dévoile une idéologie posant la « na-
ture » comme fondement d’un ordre immuable à
préserver. Une idéologie selon laquelle, déve-
loppe la chercheuse en sciences politiques Cé-
cile Alduy, « il faut respecter des “lois naturelles”,
et non un contrat social tiré d’un progrès des cul-
tures humaines. L’ordre de la “nature” dicte une
hiérarchie des êtres et des “peuples” fondée sur
la “naissance” et des interdits (procréation médi-
calement assistée, avortement, mariage pour
tous). C’est la négation des acquis de la Révolu-
tion française et des valeurs républicaines qui
fondent la citoyenneté et les droits sur la culture,
le contrat social et l’égalité quelles que soient les
origines. » D’où cette étiquette, assumée par Ma-
rion Maréchal, de « bioconservateurs ». « Derrière
ce label, il y a un argument ancien de l’extrême
droite, employé depuis les années 1990 au moins :
lutter contre le “métissage” “contre-nature” entre
les peuples – à l’époque on disait “entre les ra-
ces”. Aujourd’hui c’est étendre la lutte pour pré-
server la “biodiversité” à l’échelle des peuples »,
explique Cécile Alduy.

Une vision


ethnique
Le discours de Marion Maréchal traduit
une vision identitaire du monde, dans la-
quelle l’identité est souvent synonyme
d’identité ethnique. « Ici, ce sont les ancê-
tres, donc le sang, la lignée, qui justifient
un droit de rejeter les étrangers », note la
chercheuse en sciences politiques Cécile
Alduy. D’où la référence de Marion Maré-
chal à la « politique nataliste », ajoute la
chercheuse, pour qui il s’agit d’« encoura-
ger les naissances grâce à des Français
“de souche” de nouveaux Français
“purs” ». « Les implicites de ce discours sont
glaçants, poursuit-elle. Le but est un “peu-
ple” sans mélange car les “peuples” – en-
tendre les ethnies – ne sont pas “inter-
changeables”. » Ce passage du discours
montre également que pour Marion Ma-
réchal, le rejet du multiculturalisme est
en réalité « un rejet du métissage démo-
graphique, précise Cécile Alduy. Comme
le montre la fin du passage, où toutes
les solutions consistent à interdire que des
non-Français deviennent français,
via la réforme du code de la nationalité,
de la Constitution qui inscrit l’égalité des
citoyens et le droit du sol, et via la politi-
que nataliste. »

Villes versus


périphéries
Sur ce « grand déclassement » et
cette idée de laisser de côté les mé-
tropoles mondialisées pour soutenir
les villes intermédiaires, Marion Ma-
réchal a tiré une leçon des élections
locales de 2014 et 2015, « qui ont
montré que cette question de l’amé-
nagement du territoire était centrale
dans le vote des électeurs alors
qu’elle est abordée, dans l’espace po-
litique et médiatique, uniquement
sous l’angle simpliste d’une France
périphérique en butte aux immigrés,
souligne l’historien Nicolas Lebourg.
Mais son enchaînement avec la rura-
lité renvoie vraiment à une question
anthropologique dans les représenta-
tions d’extrême droite... »

Optimisme et


déclinisme
Après une première salve d’applaudisse-
ments et ce qui ressemblait presque à la
fin de son discours, Marion Maréchal re-
vient à la charge pour se démarquer du
discours d’Eric Zemmour. Non pas sur le
fond... mais sur la forme. Face au décli-
nisme du polémiste, elle propose une sé-
mantique positive, affirmant que son
camp peut prendre le pouvoir, que rien
n’est « inéluctable ». La chercheuse en
sciences politiques Cécile Alduy relève
d’ailleurs que les deux mots les plus
fréquents sont « je » et « nous », à
quasi-égalité (80 et 79 fois).
Marion Maréchal « fait advenir dans son
discours cette “femme providentielle” à la-
quelle elle feint de ne pas croire : le texte
est un entrecroisement continu où le “je”
répond aux angoisses et aspirations du
“nous” et propose de l’incarner. S’y tissent
une promesse, un engagement, ce qu’elle
appelle un “optimisme” : elle est la ré-
ponse. » Jean-Yves Camus y voit une con-
tradiction importante avec le « pessi-
misme radical » d’Eric Zemmour qui,
« avec son attitude de dandy décadent à la
Houellebecq », incarne un discours extrê-
mement démobilisateur : « Ce “y’a plus
rien à faire”, c’est exactement ce qui fait
rester les gens à la maison un jour de scru-
tin. Or, ce que l’on retiendra de cette jour-
née sera surtout le discours de Zemmour. »

L’écologie


version


identitaire
La question écologique est, elle aussi,
passée sous le filtre identitaire, ce qui
est loin d’être une nouveauté à
l’extrême droite. Dès la fin des an-
nées 1960, Alain de Benoist (l’un des
principaux représentants de la nou-
velle droite) et le Grece – mouvement
pensé comme une « nouvelle droite »
identitaire et nationaliste prêchant la
différence entre les peuples – dévelop-
paient déjà les thèmes de l’écologie
radicale antimondialiste. Une thémati-
que reprise par Marine Le Pen sous le
terme de « localisme » lors de la cam-
pagne européenne, concept d’abord
axé sur le rejet de l’étranger et
de l’immigration.

L’Union européenne
Marion Maréchal s’inscrit clairement dans le cadre
d’une réforme de l’Union européenne, bien loin du
« Frexit » prôné par Marine Le Pen... avant son revire-
ment post-échec présidentiel de 2017. Le Rassemble-
ment national prône en effet désormais le change-
ment « de l’intérieur » et avait présenté lors des
élections européennes du mois de mai son « contre-
projet » à l’Europe fédérale : une « alliance euro-
péenne des nations » axée sur les « coopérations »
gouvernementales. Une vision entièrement partagée,
ici, par Marion Maréchal lorsqu’elle parle de
« stratégies d’alliances gouvernementales » et
de « renverser ce système de l’intérieur ».
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