Libération - 05.10.2019 - 06.10.2019

(Steven Felgate) #1

E


lle devait rester sous le tapis, bien plan-
quée, prière de ne pas mettre le feu aux
débats, jusque-là plutôt policés, des
­députés occupés à examiner la loi qui doit
­ouvrir la PMA à toutes. Loupé. La voilà qui est
revenue jeudi soir par la fenêtre, dans l’hémi-
cycle, avant de rebondir à la Cour de cassation
vendredi. Elle? C’est la GPA ou gestation pour
autrui au très fort pouvoir crispant. Celle qui
ne manquera pas de faire courir dimanche
la Manif pour tous et ses affidés.
S’il n’est pas question de lever l’interdit dont
elle est frappée en France depuis 1994, la GPA
est sur le devant de la scène avec le vote sur-
prise d’un amendement visant à faciliter la re-
connaissance de la filiation des enfants nés de
GPA à l’étranger et, le lendemain, une décision
de justice à haute portée symbolique. Après
dix-neuf ans de combat, de guérilla, d’appels,
le couple Mennesson, Sylvie et Dominique,
parents des jumelles Fiorella et Valentina nées
d’une GPA en Californie, ont gagné : si la re-
connaissance de Dominique (père biologique)
était acquise, Sylvie, qui n’a pu ni fournir ses
ovocytes ni porter ses filles a (enfin) été consa-
crée comme leur mère. Concrètement, les ac-
tes de naissance californiens des jumelles sur
lesquels ils apparaissent comme seuls père et
mère vont être transcrits en droit français.
Champagne pour les Mennesson? Assuré-
ment. «Nos enfants ne sont plus des fantômes.
Ce sont nos enfants, légalement parlant», s’est
emballé Dominique Mennesson...
La légalisation de la GPA est-elle du coup
à portée de main, comme le serinent à l’envi

la droite et la Manif pour tous qui ont décidé
de faire fonctionner à plein régime la ma-
chine à peur en dégainant l’équation PMA
pour toutes = GPA? Au palais de justice
comme au Palais-Bourbon, il n’a jamais été
question d’une autorisation en bonne et due
forme de la GPA, mais plutôt de résoudre ces
deux questions intimement liées : quel sort
réserver aux enfants nés par GPA à l’état civil
et quel statut pour le parent non biologique
(dit parent d’intention) qui s’est lancé avec
une compagne ou un compagnon dans une
GPA dans des pays qui l’autorisent? Un vieux
casse-tête dont la France a du mal à se dépa-
touiller et que le gouvernement n’a pas envie
d’affronter en ce moment.

«Cauchemar»
De fait, l’exécutif, qui rêve de faire passer sans
vagues la PMA pour toutes, redoute le télesco-
page et rappelle en boucle que la GPA est «une
ligne rouge». Et qu’on ne vienne pas arguer
que les hommes pourraient se trouver lésés
face à toutes les femmes qui vont pouvoir
faire des PMA. En droit, l’argument ne tient
pas puisque la GPA est aussi bien interdite
pour les femmes (qui ont des soucis d’utérus)
que pour les hommes...
Mais une douzaine de députés LREM, emme-
nés par leur collègue Jean-Louis Touraine
ont fait tanguer ce profil bas sur la GPA. En
jeu : un amendement donc, visant à faciliter
la ­retranscription dans le droit français de la
­filiation – établie par un jugement – d’enfants
conçus par GPA dans un pays étranger où
cette pratique est autorisée. Touraine cogne
fort : «Nous ne sommes plus au temps où une
catégorie d’enfants que l’on appelait “bâ-
tards” n’avait pas les mêmes droits que les en-

fants ­légitimes.» Niet catégorique de Coralie
Dubost, la corapporteuse LREM, comme de
la garde des Sceaux, Nicole Belloubet. Cel-
le-ci admet qu’elle doit avancer sur une ligne
de crête : maintenir «l’interdit de la GPA»
sans laisser dans un vide juridique les en-
fants ainsi conçus. Elle s’en tient à la solution
préconisée par la Cour de cassation il y a cinq
ans : le ­parent biologique est reconnu mais
celui d’intention (qui n’a pas de lien biologi-
que avec l’enfant) doit en passer par une
adoption plénière de l’enfant. La garde de
Sceaux devrait le rappeler dans une future
circulaire.
Une procédure jugée par certains députés
trop longue, aléatoire et «humiliante», puis-
qu’elle suppose d’adopter son propre enfant.
Jeudi soir, quand les mains se lèvent dans un
hémicycle clairsemé, l’amendement est voté
d’extrême justesse. La droite, qui jusque-là
s’égosillait dans le vide, voit rouge et crie au
«cauchemar». Annie Genevard (LR) s’alarme
de voir protégés «ceux qui louent les ventres
des femmes réduites à l’esclavage procréatif».
«Triste pour notre pays», Patrick Hetzel (LR)
s’affole devant la GPA «à nos portes».

Deuxième délibération
Que de grandiloquence quand il n’y a en fait
rien à ronger. L’amendement Touraine a tou-
tes les chances de finir dans les poubelles de
l’Assemblée. Dans la foulée de son adoption,
Nicole Belloubet, mine de six pieds de long,
a demandé une deuxième délibération. En
clair, dès mercredi, les députés seront priés
de revoter : «Notre groupe est opposé à la GPA
et entend bien voter contre cet amendement»,
a assuré la coresponsable du groupe LREM
sur le texte, Aurore Bergé. De fait, dans le

groupe LREM, où l’on s’était passé le mot pour
ne pas prononcer celui de GPA, l’offensive sur
la reconnaissance des enfants nés ainsi em-
barrasse à deux jours de la mobilisation de la
Manif pour tous. «Ce n’était pas responsable
de lancer cela maintenant», souffle le député
LREM Guillaume Chiche. Jean-Louis Tou-
raine, quant à lui, tient bon : «Nous demander
de revoter est un peu déplacé. C’est perdre son
âme pour tenter de calmer les tenants d’un
­certain conservatisme.»
Quant à la victoire des Mennesson, elle
ne concerne que... les Mennesson. Comme
l’explique la juriste Laurence Brunet, de l’uni-
versité Paris-I Panthéon-Sorbonne, et le pré-
cise la Cour de cassation, «il s’agit d’une déci-
sion d’exception au regard du temps écoulé» :
le lien tissé entre Sylvie Mennesson et ses
filles depuis dix-neuf ans. Bref, cette décision
sur mesure rend avant tout justice à une mère
qui l’était déjà.•

Par
Laure Equy
et Catherine Mallaval

Analyse


La gestation pour autrui a fait une apparition surprise jeudi à


l’Assemblée par le biais d’un amendement sur la question des enfants


nés d’une GPA à l’étranger. Le lendemain, elle était aussi au cœur


d’une décision de la Cour de cassation. De quoi réveiller la droite et les


cathos, qui manifestent ce dimanche contre la loi de bioéthique.


Bioéthique


La GPA s’invite et


l’Assemblée s’agite


france


Marche des fiertés LGBT à Paris,

10 u Libération Samedi 5 et Dimanche 6 Octobre 2019

Free download pdf