Libération - 05.10.2019 - 06.10.2019

(Steven Felgate) #1

france


dins par la Conférence des évêques
de France (CEF) pour dire son
­opposition à la loi bioéthique.
«Le cœur de l’activité des AFC est la
défense du modèle familial tradi-
tionnel», explique Sophie Rétif. A la
base, les militants sont très investis,
ce qui donne aux AFC une réelle
­capacité de mobilisation. Et des
troupes de terrain, celles qui ont
toujours manqué à la Manif pour
tous. Pour dimanche, les AFC ont af-
frété des cars dans une cinquan-
taine de départements et quelques
trains spéciaux.

Alliance Vita
En 2012-2013, Tugdual Derville, le
délégué général d’Alliance Vita, était
avec Frigide Barjot l’un des porte-
parole de la Manif pour tous, une
sorte de mariage de la carpe et du la-
pin tant leurs deux personnalités
diffèrent. Peu importe, le quinqua-

génaire a acquis, à cette ­occasion, la
notoriété qui lui manquait. Celle-ci
lui a manifestement ouvert la porte
des médias, donnant une visibilité
à son officine, Alliance Vita, peu
connue jusqu’alors du grand public.
Celle-ci a été créée en 1993 par la pa-
sionaria catholique ultraconserva-
trice Christine Boutin, à la tête de la
­bataille contre le pacs en 1989, pour
défendre ses positions hostiles
à l’avortement.
Portant volontiers une écharpe
rouge, Derville est l’une des têtes
pensantes des milieux opposés, en
France, à l’IVG et à l’euthanasie. Il
a été d’ailleurs très présent dans les
manifestations, organisées en sou-
tien aux parents de Vincent Lam-
bert. Alliance Vita est à la fois un
think tank et un organisme de
­lobbying. Il participe à ce que les
milieux conservateurs appellent le
«combat culturel», formant de nou-
veaux jeunes militants à ses causes.
Notamment en organisant une
«université de la vie» et des master
class pour répandre ses idées. En
avril 2014, l’intervention au lycée
(privé) Gerson à Paris d’Alliance
Vita, qui était venu y développer ses
thèses opposées à l’IVG, avait sus-
cité la polémique. Son service
d’écoute téléphonique «SOS Bébé»
a lui aussi été régulièrement mis en
cause et soupçonné de propagande
antiavortement.

La Communauté
de l’Emmanuel
Officiellement, l’Emmanuel n’ap-
pelle pas à manifester ce dimanche.

Elle ne l’avait pas fait non plus
en 2012-2013 lors de la bataille
­contre la loi Taubira. Ses responsa-
bles de la communication jurent
d’ailleurs la main sur le cœur qu’ils
n’ont rien à voir avec ces affaires-là.
Ces professions de foi n’arrivent
pourtant pas à convaincre le polito-
logue Gaël Brustier, pas plus que la
sociologue des religions Céline Bé-
raud. «En 2013, la Communauté de
l’Emmanuel était partout», souligne
Brustier, fin observateur de ces
mouvances ultras et auteur, en 2014,
du livre le Mai 68 conservateur : que
restera-t-il de la Manif pour tous?
«L’Emmanuel œuvre depuis long-
temps pour que les questions de bio­-
éthiques soient à l’agenda du catholi-

cisme français», explique de son
côté Céline Béraud.
L’organisation, puissante financiè-
rement et présente dans des hauts
lieux comme l’église de la Trinité-
des-Monts à Rome, pèse de plus en
plus lourdement sur les milieux
­catholiques. Son influence dépasse
largement les 5 000 membres qu’elle
revendique en France, ses 160 prê-
tres et sa poignée d’évêques en
­activité. Parmi les prélats issus de
­l’Emmanuel, figure notamment
l’ultraconservateur évêque de Tou-
lon et de Fréjus, Domi­nique Rey,
qui a d’ailleurs annoncé sa partici-
pation à la manifestation de
­dimanche.
Créée en 1972, la Communauté de
l’Emmanuel incarne ce qu’on
­appelle les «tradismatiques»,
­l’alliance idéologique entre les tra-
ditionalistes et la mouvance charis-
matique qui a revivifié le catholi-
cisme français dans les années 70
et 80. Portant un discours masculi-
niste, elle organise les camps Opti-
mum destinés à «reviriliser» les
hommes.

Les évêques
La hiérarchie catholique est unani-
mement opposée à la loi bioéthique.
Mais son positionnement face à la
manifestation de dimanche est as-
sez flou. Les évêques ne veulent pas
donner l’impression de soutenir ex-
plicitement le rassemblement. Il y a
des raisons politiques à cette pru-
dence. L’épiscopat ne veut pas être
associé à la droite catholique dure,
celle qui devrait être mobilisée ce di-
manche, et affronter le chef de l’Etat
et le gouvernement.
En fait, la hiérarchie laisse à chaque
catholique le soin de décider, disent-
ils, «en conscience». Les manifesta-
tions de 2012-2013, auxquelles des
curés de paroisses avaient appelé à
participer, avaient soulevé des dé-
bats au sein du catholicisme. «Cela
a été l’occasion pour la hiérarchie ca-
tholique de prendre conscience qu’il
existait une diversité d’approches»,
remarque Céline Béraud. Cepen-
dant, une quinzaine d’évêques ont
clairement signifié à travers des
communiqués que ­manifester était
l’un des moyens possibles de s’oppo-
ser à la loi ­bioéthique, qu’ils soup-
çonnent de préparer un «bascule-
ment anthropologique».
Bernadette Sauvaget

L’Église catholique ne
veut la PMA pour personne
La PMA pour toutes est-elle vraiment une question pour
l’Eglise catholique? Abruptement, on pourrait dire non.
En fait, depuis un texte de 1987, Donum vitæ («le don de
la vie» en latin) publié par la Congrégation pour la doctrine
de la foi, toute procréation médicalement assistée est
formellement interdite aux couples catholiques. Et cela même
s’ils sont dans les clous aux yeux de la morale religieuse,
c’est-à-dire un couple composé de deux hétérosexuels,
dûment mariés religieusement. Pour l’Eglise catholique,
la procréation ne peut se concevoir que dans le mariage
et par un acte sexuel «effectif» (si l’on ose dire) des conjoints!
En fait, dans son opposition à la loi bioéthique, l’Eglise
catholique met l’accent sur la question de la filiation, de ce
qu’elle appelle la disparition du père et ce qu’elle considère
un détournement de la médecine au service, ­à ses yeux,
de l’assouvissement de désirs individuels. B.S.

Des membres de la Manif pour tous à Paris, le 5 octobre 2014. Photo Albert facelly


Créée en 1972,


la Communauté


de l’Emmanuel


porte un discours
masculiniste.

Elle organise les


camps Optimum


destinés


à «reviriliser»
les hommes.

en 2012-2013,
elle se place désormais sur le devant
de la scène. La semaine dernière,
elle a organisé un petit-déjeuner de
presse pour se faire connaître des
journalistes. Ce désir de visibilité
nous est confirmé par sa prési-
dente, Pascale Morinière, bien déci-
dée à devenir une actrice de pre-
mier plan dans le lobbying
politique. Selon cette dernière, «le
gouvernement n’a pas entendu la
voix des Français lors des états géné-
raux de la bioéthique. Leur avis n’a
pas été pris en compte».
Revendiquant 30 000 familles ad-
hérentes, les AFC s’appuient sur un
réseau très ancré sur le terrain. Se-
lon la chercheuse Sophie Rétif, elle
est particulièrement bien implantée
dans l’ouest de la France, mais aussi
dans les Yvelines, des terres où un
catholicisme conservateur demeure
très actif. «L’engagement aux AFC se
transmet d’une génération à l’autre,
au sein des familles», assure la cher-
cheuse. L’organisation est proche
des milieux traditionalistes, soit les
franges les plus ultras du catholi-
cisme. Dans l’Ouest, comme le re-
marque Sophie Rétif, il se trouve
même parmi ces militants des nos-
talgiques de la chouannerie. Par le
passé, notamment dans les an-
nées 70 et 80, les AFC ont été en
froid avec l’épiscopat français, plus
progressiste qu’il ne l’est au-
jourd’hui. En 2019, la roue a tourné.
L’un des responsables des AFC, Ber-
trand Lionel-Marie, a été mis en
avant, le 16 septembre, lors de la soi-
rée organisée au collège des Bernar-


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12 u Libération Samedi 5 et Dimanche 6 Octobre 2019

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