France
E
ncore. Deux ans après
l’adoption d’un pre-
mier «plan d’action»
sur le sujet, treize mois après
la promulgation de sa loi asile
et immigration, l’exécutif se
prépare à rouvrir le dossier
migratoire. Voulu par lui, et
prélude à de nouvelles
mesures, un débat parlemen-
taire sur le sujet aura lieu,
sans vote, lundi à l’Assemblée
et mercredi au Sénat. Officielle-
ment, rien n’est tranché : ni la
teneur du débat ni les mesu-
res qu’il en tirera ne sont écri-
tes, assure le gouvernement.
Mais les dernières semaines
ne laissent guère de doute sur
les intentions du camp prési-
dentiel, qui veut voir baisser
le nombre de demandes
d’asile déposées en France –
condition, assure-t-il, du bon
accueil des étrangers autori-
sés à y demeurer.
Préparé par l’exécutif et
adressé jeudi soir aux parle-
mentaires pour poser les
bases du débat, un docu-
ment compile «dix faits sur
la situation migratoire». Et
presque autant d’invitations
implicites à limiter le nom-
bre des demandes d’asile dé-
posées dans l’Hexagone,
passées de 76 000 en 2015
à 120 000 en 2018, à rebours
de la tendance européenne.
Sont notamment pointés le
taux d’acceptation de ces
demandes (29 % en France
en 2018, contre 22 % en Alle-
magne et 12 % en Italie) ou le
dynamisme des flux géor-
giens et albanais, deux pays
pourtant jugés «sûrs» par
l’Office français de protec-
tion des réfugiés et apatrides
(Ofpra). Et si «l’attraction des
talents» étrangers et un
accompagnement renforcé
des bénéficiaires de l’asile
figurent parmi les axes de
travail retenus par Matignon,
les autres visent à découra-
ger l’entrée en France ou
à faciliter les procédures
d’éloignement.
Soins. Aucune mesure pré-
cise n’a été arrêtée à ce stade,
assure un conseiller gouver-
nemental, mais plusieurs
pistes sont à l’étude. L’exécu-
tif n’exclut pas, notamment,
de diminuer le montant de
l’allocation pour demandeur
d’asile (ADA), une aide ver-
sée aux personnes dont la
demande a été enregistrée
par l’Ofpra et dont les
ressources sont inférieures
au RSA. Variable selon la
situation du bénéficiaire, son
montant est de 14,20 euros
par jour pour une personne
seule hébergée : 53 % de plus
que le dispositif équivalent
en Allemagne, selon le
document adressé aux dépu-
tés. Ce montant «est l’un des
sujets en jeu», confirme ce
conseiller.
Autre piste, régulièrement
évoquée depuis la rentrée par
le camp présidentiel : une ré-
vision du panier de soins
couvert par l’aide médicale
d’Etat (AME), un dispositif
ouvert aux étrangers en si-
tuation irrégulière. Suppri-
mer totalement celui-ci,
comme le réclament Les Ré-
publicains et le Rassemble-
ment national, serait «ridi-
cule», a récemment jugé
auprès d’Europe 1 Emmanuel
Macron, tout en s’interro-
geant sur la nature des soins
indemnisés : «Il faut un débat
pour regarder ce qu’on fait
par rapport à notre voisin [...]
et est-ce qu’il n’y a pas parfois,
un peu, des excès.» Mais un
autre examen est jugé priori-
Immigration : l’exécutif prépare
son coup de frein
Avant les débats
à l’Assemblée
et au Sénat prévus
lundi et mercredi,
le gouvernement
a fourni aux
parlementaires
un document
incitant à limiter
les demandes d’asile.
Par
Dominique
Albertini
Le pouvoir n’exclut pas,
notamment, de diminuer
le montant de l’allocation pour
demandeur d’asile et de réviser
l’aide médicale d’Etat.
Macron dans le Puy-de-Dôme :
«On est des couillons nous-mêmes»
Des Aveyronnais inquiets pour leur retraite, des
éleveurs auvergnats exaspérés par l’agribashing, des salariés du quotidien
la Montagne et des chefs d’entreprise du Puy-de-Dôme interrogatifs sur
les projets du gouvernement : à Rodez jeudi puis à Clermont-Ferrand
vendredi, Macron était, selon la formule de son entourage, «en immersion»
dans les territoires. Une pratique censée caractériser l’esprit de l’acte 2
du quinquennat, tout en «bienveillance» et en «proximité». Photo AFP
LIBÉ.FR
taire par plusieurs membres
de l’exécutif, interrogés par
Libération : celui de la pro-
tection universelle maladie
(Puma), système ouvert, lui,
aux demandeurs d’asile, sitôt
leur demande enregistrée au-
près de l’Ofpra, et auquel
l’exécutif attribue les arrivées
de migrants provenant de
pays sûrs. C’est ici l’instaura-
tion d’un délai de carence – la
durée de trois mois est par-
fois citée – qui est envisagée,
à l’exclusion des «soins ur-
gents». Certaines de ces me-
sures pourraient être intro-
duites dès cet automne dans
les projets de budget de l’Etat
et de la Sécurité sociale
pour 2020.
A plus long terme, l’exécutif
souhaite enfin simplifier et
accélérer les procédures à
l’encontre des étrangers en
situation irrégulière. C’est
l’objet d’une mission con-
fiée dès le 31 juillet au
Conseil d’Etat par Edouard
Philippe, qui déplore la
«complexité croissante» de
ces contentieux. Les conclu-
sions du groupe de travail
sont attendues pour mars,
à quelques jours des prochai-
nes municipales.
Tribune. En revanche,
l’idée de «quotas» fixant le
nombre d’immigrants admis
en France selon leur origine
ou leur profession semble
moins en faveur auprès du
gouvernement. Et ce bien
qu’elle ait été évoquée
par Emmanuel Macron lui-
même, dans sa «lettre
aux Français» publiée durant
la crise des gilets jaunes,
où il envisageait des «objec-
tifs annuels définis par le
Parlement».
Dans une tribune parue ven-
dredi dans le Monde, plu-
sieurs figures de la majorité,
dont le délégué général
d’En marche, Stanislas Gue-
rini, plaident à leur tour pour
des «objectifs chiffrés» en
matière d’immigration, liés
notamment aux «besoins
économiques» du pays. Mais
du côté de Matignon, on était
plutôt porté, ces derniers
jours, à suivre l’avis de l’an-
cien président du Conseil
constitutionnel Pierre Ma-
zeaud : dans un rapport
remis en 2009 au ministère
de l’Intérieur, ce dernier se
déclarait franchement dé-
favorable à de tels quotas,
jugés «irréalisables ou
sans intérêt».•
Au Centre d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile, à Saint-Denis de la Réunion, le 8 janvier. Photo Romain Philippon
14 u Libération Samedi 5 et Dimanche 6 Octobre 2019