Libération - 05.10.2019 - 06.10.2019

(Steven Felgate) #1

Ciné / «Gwen» au clair de dune


«O


n oublie vite les lé-
gendes.» Les pre-
miers mots de
Gwen, le livre de
sable résonnent étrangement, plus de
trente ans après sa sortie originelle,
tant ce splendide film semble au-
jourd’hui émerger du néant. On avait
effectivement oublié la splendeur de
ces silhouettes de nomades perchées
sur des échasses, la monumentalité de

ce voyage à travers un désert qui recra-
che les vestiges d’une civilisation en-
gloutie. La quiétude majestueuse de
ces gouaches vibrantes et l’humour dé-
sespéré de ces derniers humains qui
s’accrochent aux mots d’un catalogue
de VPC comme on révère un livre saint.
Premier long métrage de Jean-Fran-
çois Laguionie et première adresse à
un public qui ne serait plus celui des
seuls festivals, cette fable écolo, qui

emprunte davantage à René Laloux
qu’à Walt Disney, fut ­conduite par une
équipe de moins de dix personnes du-
rant quatre ans. «Une éternité d’images
à faire bouger» pour un poème dont
l’urgence n’a jamais semblé si grande.
Marius chapuis

Gwen et le livre de sable
en salles. Livre-DVD
(la Traverse, éditions de l’œil).

Ciné / Les belles errances


de ­Kira Mouratova


Longtemps
censurées en URSS,
les œuvres de la
cinéaste ukrainienne
portées par une
esthétique unique
font l’objet d’une
rétrospective
et de ressorties
en salles.

P


endant que la
C i n é m a t h è -
que française
consacre une
rétrospective intégrale à la
grande et trop méconnue
Kira ­Mouratova (lire Libéra-

tion du 9 juillet), cinq de ses
plus beaux films ressortent
cette semaine en salles : ses
magnifiques Brèves Rencon-
tres (1967), ses sublimes
Longs Adieux (1971), le déchi-
rant Parmi les pierres grises
(1983), le délirant Change-
ment de destinée (1984) et le
décapant Syndrome asthéni-
que (1989). Cinq splendeurs
qui ont traversé les entraves
et bouleversements des der-
nières décennies de l’URSS
avec une grâce souveraine, et
qui en ont violemment payé
le prix, celui d’une censure
quasi systématique. Bien sûr,
ce qui valut à ces films d’être
alors considérés comme trop

amoraux, ­confus et désespé-
rants est ce qui en fait toute
la beauté : leur mélange de
noire lucidité et d’humour
acerbe, la liberté et le déta-
chement de ses personna-
ges, et une ­invention for-
melle souvent sidérante.
A partir de trames simples,
Mouratova suit à chaque fois
les déambulations ou erran-
ces d’êtres (souvent des fem-
mes) affectés par une sépara-
tion, un deuil ou mus par la
nécessité de larguer les
amarres. Ses films sont sur-
tout des merveilles de musi-
calité, où le montage, les
mouvements de caméra, la
profondeur de champ tradui-

sent les circonvolutions de la
mémoire, les intermittences
du temps, les errements des
cœurs et le désordre d’une
société dont elle prend tou-

jours le parti des exclus, des
sentimentaux, des dépres-
sifs, des flâneurs, des
­inefficaces.
Marcos Uzal

KIRA MOURATOVA
à la Cinémathèque française
(75012), jusqu’au
20 octobre,
et en salles.

vidéo


club Un peu plus que la reproduction haute-fidélité d’une catastrophe
vieille de plus de trente ans, ce qui exsude de chaque plan dans
Chernobyl, c’est à quel point la menace ne semble pas une affaire
du passé. La mini-série, coproduite par HBO et Sky, colle aux
premières heures de la catastrophe nucléaire, dans le déni des
autorités et la stupeur des ingénieurs.

Après Victoria, Virginie Efira revêt un rôle de psy
tourmentée dans une folle comédie
des sentiments dont les personnages mirent tous
à l’héroïne quelque chose d’elle-même, failles et
grandeurs, doutes et douleurs, en ronde éclatée
de bons diables et mauvais génies. Dément.

Chernobyl
de JOHAN RENCK (HBO)

Sibyl
de JUSTINE TRIET (Le Pacte)

éditions de l’œil


Brèves Rencontres (1967). Photo DR

Libération Samedi 5 et Dimanche 6 Octobre 2019 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 31

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