Libération - 05.10.2019 - 06.10.2019

(Steven Felgate) #1

MONDE


Par
François Musseau
Envoyé spécial à Lisbonne

D


ans une de ces ruelles
pentues qui partent
de la cathédrale en
­direction du château Saint-
Georges, sur les flancs de la
colline de l’Alfama, Catarina
Gomes montre les fenê-
tres de son appartement,
un 70 mètres carrés au cin-
quième étage sans ascenseur
mais avec vue imprenable
sur le Tage. Longtemps, elle
a résisté à transformer son lo-
gement en appartement tou-
ristique, comme il en existe
des dizaines dans ce quartier
­emblématique si prisé par les
étrangers. «J’ai fait mes cal-
culs, dit cette quadra, une
­architecte qui a du mal à
joindre les deux bouts. En le
louant sur Airbnb, je pourrai
respirer financièrement et
avec mes trois enfants, on
pourra déménager dans un
espace bien plus grand dans
le quartier de l’Expo.»

Visites guidées
Catarina Gomes admet être
chanceuse car maîtresse de
son destin. Ce n’est pas le cas
de beaucoup de ses voisins,
des gens modestes qui
payaient des loyers ­dérisoires


  • souvent inférieurs à 100 eu-
    ros – et qui, depuis la réforme
    libérale du marché locatif
    lancée en 2012 par le conser-
    vateur Pedro Passos Coelho,
    ont dû faire leurs valises vers
    la lointaine périphérie lis-
    boète. En lieu et place, des
    résidents européens au fort
    pouvoir d’achat, acquéreurs,
    locataires stables ou occu-
    pants temporaires de loge-
    ments touristiques. Résultat :
    le pittoresque quartier de
    l’Alfama se vide de ses cou-
    ches populaires traditionnel-
    les et voit l’arrivée d’une tout
    autre population dont la pré-
    sence a induit la multiplica-
    tion de commerces conçus


uniquement pour elle, du
lounge bar à la boutique de
souvenirs.
Le phénomène touristique
dépasse largement la gentri-
fication des quartiers typi-
ques du centre historique.
Depuis la place de Graça jus-
qu’aux flancs de São Bento,
on assiste à un continuum de
visiteurs étrangers, désor-

mais maîtres des lieux. Y
compris là où, avant le boom
d’il y a cinq ans, rôdaient
marginaux, dealers ou pros-
tituées. En ce début d’après-
midi, sur la place Luis-de-Ca-
mões, les visites guidées
accaparent l’espace. Que ce
soient dans les rues plon-
geant vers le Tage jusqu’à
Cais do Sodré, dans le mythi-

que café Brasileira, le long de
la rue Garett et dans l’entre-
lacs du Bairro Alto ou de
Baixa, il faut écarquiller les
yeux pour apercevoir des Lis-
boètes. Sur la place Pedro-IV,
Mundo fantástico, un maga-
sin de sardines à la décora-
tion féerique, contribue à
donner à l’ensemble du cen-
tre-ville l’allure d’un parc

thématique. Sofia, 47 ans,
une graphiste industrielle
qui en avait assez d’être
payée «mal et très en retard»,
se réjouit de cette massifica-
tion. Plus particulièrement
de la fièvre des touk-touks
permettant de visiter les
­attraits urbains pour envi-
ron 70 euros l’heure. «La ga-
lère, c’est fini pour moi, sou-

PORTUGAL L’alliance qui


ne gâche pas la gauche


Forte d’une bonne conjoncture économique et de l’explosion


du tourisme, la coalition du Premier ministre, António Costa, devrait


remporter les législatives de ce dimanche. Un cas à part en Europe.
100 km

Porto

Evora

Faro

Viseu

Coimbra
ESPAGNE

PORTUGAL

Océan
Atlantique
Lisbonne

rit-elle. Comme conductrice
de touk-touk, je peux gagner
jusqu’à 2 500 euros les bons
mois et, l’été, je suis cuisinière
pour des riches Américains
installés à Cascais.» La plu-
part des innombrables édifi-
ces qui étaient à l’abandon il
y a quelques ­années ont été
remis à neuf, ­acquis par
des Français, Britanniques,

4 u Libération Samedi 5 et Dimanche 6 Octobre 2019

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