Libération - 05.10.2019 - 06.10.2019

(Steven Felgate) #1
droite que nous avons senti
l’obligation d’influer pour re-
conquérir les droits sociaux.»

Ombre au tableau
Le chroniqueur João Miguel
Tavares, de tendance libé-
rale, admet : «La geringonça
nous a bluffés. Personne ne
pensait que l’alliance à gau-
che allait durer quatre ans !»
Dans la cité universitaire, le
politologue António Pinto
Costa est lui aussi admiratif :
«Les socialistes ont infléchi
leur dynamique déclinante en
offrant une image de stabilité,
de sérieux vis-à-vis de Bruxel-
les et de sensibilité sociale.»
Face à une droite peu attrac-
tive, à l’image du leader sexa-
génaire du PSD, Rui Rio, le
socialiste António Costa a un
boulevard devant lui pour
poursuivre l’embellie avec le

d’appuyer son investiture et
son budget. C’est la naissance
de la geringonça, un terme
péjoratif désignant un dispo-
sitif fait de bric et de broc. Le
Bloco, d’obédience trotskiste,
joue le jeu. De même que le
Parti communiste (PCP) et
ses 15 députés, qui défend
pourtant depuis quatre dé-
cennies une ligne dure, allant
jusqu’à refuser de condamner
le régime nord-coréen. Or
pour la première fois depuis
la dictature de Salazar, le PCP
accepte d’appuyer un exécu-
tif socialiste.
Dans un de ses deux sièges,
un immeuble d’un autre âge
près de ­Santos, Pedro Guer-
rero, un membre du comité
central, justifie la fin de son
isolationnisme : «Le pays
avait tellement souffert du
coup de vis ultralibéral de la

créer de bonnes conditions
pour recevoir de l’argent
privé, bénéfique pour notre
économie.» Une référence aux
«visas gold», ces permis de
résidence offerts aux étran-
gers investissant au mini-
mum un demi-million d’eu-
ros ; ou aux largesses fiscales
proposées par exemple aux
résidents français, bénéfi-
ciant d’une exemption pen-
dant dix ans. Depuis 2012, de
telles mesures ont permis
aux caisses de l’Etat d’empo-
cher 3,4 milliards d’euros.
Depuis qu’il est arrivé au
pouvoir en 2015, Costa a su
mener une politique sociale
résolue tout en se pliant à
l’orthodoxie financière, au
point de recevoir les éloges
de la Commission européen­-
ne et du FMI. Ce grand écart,
souvent impensable ailleurs,
est le grand atout des socia-
listes à la veille de ce rendez-
vous ­électoral : avoir, d’une
part, ­contenté les forces de
gauche ­radicale l’ayant sou-
tenu au Parlement, et, d’autre
part, avoir satisfait les pou-
voirs économiques.
Il y a quelques jours, sur la
chaîne TVI, le comique Ri-
cardo Araújo Pereira s’amu-
sait du «couple de magiciens
Costini et Centini», autre-
ment dit le chef du gouverne-
ment sortant António Costa
et son ministre des Finances,
Mário Centeno. Le premier
pour avoir, en bonne intelli-
gence avec les communistes
et le Bloco, mené une politi-
que redistributive : hausse
des ­retraites, augmentation
du salaire minimum (505 eu-
ros en 2015, contre 600 euros
aujourd’hui) ou rétablisse-
ment des jours féries suppri-
més par les conservateurs.
Le second pour avoir, durant
la même période, réduit le
chômage de 12,4 % à 6,7 %, et
ramené le déficit public
de 11 % à 0,5 %. «C’est bien sûr
une grande performance,
mais il faut aussi rappeler
qu’avec une dette globale [pu-
blique et privée, ndlr] d’envi-
ron 300 % du PIB, c’est une
économie fragile, fortement à
la merci des aléas hors de ses
frontières», nuance le prési-
dent des Conseillers du com-
merce extérieur de la France
au Portugal, Pierre Debour-
deau.
Le coup de force d’António
Costa remonte à novem-
bre 2015. Les législatives
viennent d’être emportées
par son grand rival national
de centre droit, le PSD. Le
conservateur Pedro Passos
Coelho, qui vient pourtant
d’appliquer le bistouri dicté
par la «troïka» (laquelle sur-
veille les comptes du pays
après l’injection en 2011 d’un
prêt de 78 milliards d’euros),
s’apprête à gouverner de nou-
veau. Coup de théâtre, le
­socialiste Costa convainc ses
deux frères ennemis à gauche

­Chinois, Brésiliens...
A Lisbonne et ailleurs dans le
pays, la manne touristique et
résidentielle est une des clés
de la surprenante réussite
du gouvernement socialiste
d’António Costa, appuyé
­depuis quatre ans par les
communistes et les radicaux
du «Bloco». Une inédite «al-
liance de gauche» donnée fa-
vorite pour les législatives de
ce dimanche, et objet d’admi-
ration internationale. L’exé-
cutif socialiste a aussi profité
d’une bonne conjoncture
économique, de taux bas,
d’une relance de ses exporta-
tions vers l’Europe et de sa
consommation interne.


Coup de théâtre
Mais le boom touristique a
été crucial. Ce secteur pèse
17,3 % dans le PIB national,
contre 13 % en 2010. L’an der-
nier, le pays a vu débarquer
davantage de visiteurs
(12,8 millions) que sa propre
population (10,3 millions).
Une bonne partie des tran­-
sactions immobilières sont le
fait d’acquéreurs étrangers.
Au siège du Parti socialiste, la
numéro 2, Ana Catarina
Mendes, en est bien cons-
ciente : «Notre Etat disposant
de peu de ressources, il faut


António Costa,
le 23 septembre
à Lisbonne avant un
débat à la radio.
Photo Armando
Franca. AP

pays. «Il a montré une très
grande habileté de négocia-
teur, a su s’entendre avec le
président de la République,
Rebelo de Sousa», souligne
l’analyste António Jose
­Teixeira. Dans sa campagne,
fort de la marge de manœu­-
vre budgétaire, le Premier
ministre sortant a promis un
nouveau mandat marqué par
un «investissement public
massif». L’enjeu est de savoir
si Costa obtiendra ou non la
majorité absolue qu’il a
­appelée de ses vœux, hypo-
thèse contre ­laquelle s’épou-
mone Catarina Martins, la
bouillante leader du Bloco :
«Avec une majorité absolue,
les socialistes repartiront
dans les bras de la droite et
des pouvoirs financiers !»
Seule ombre au tableau pour
Costa : un scandale de vol

d’armes dont il aurait eu vent
sans rien en dire... Selon les
enquêtes d’opinion, une très
large majorité des électeurs
de gauche souhaitent la réé-
dition de la geringonça. «Ce
qui caractérise la démocratie
portugaise, c’est la grande ré-
sistance des partis tradition-
nels», note António Pinto
Costa. Et ce, malgré l’arrivée
de nouvelles formations,
comme le Pan, animaliste et
populaire auprès des jeunes.
Quant à l’extrême droite, elle
est confidentielle, de Chega
au Partido Nacional Renova-
dor et ses 0,5 % aux europé-
ennes. «Le taux d’immigra-
tion et les chocs culturels sont
faibles, souligne l’historien
António Araujo. Et puis, au
Portugal, il y a une culture du
rejet des extrêmes et de la
violence.»•

THAILANDE

avec la compagnie aérienne qui desse
le plus grand nombre de pays au monde

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